L’heure du bilan 10 ans après la loi de 2007
samedi 26 août 2017
bilan du 10 eme anniversaire de la protection de l'enfance juillet 2017
Les Assises de la Protection de l’Enfance organisées pour la première fois à Paris fêtaient cette année un double anniversaire : leurs dix ans et les dix ans de la loi du 5 mars 2007. D’où cet intitulé volontairement incisif : « L’heure de vérité ».
L’enquête effectuée auprès des professionnels souligne donc que la question des moyens apparaît comme le gros point noir de la protection de l’enfance aux yeux de ses propres acteurs. Or, ces moyens ne sont pas négligeables. En tous cas d’après Didier Lesueur, directeur général de l’ODAS, qui s’étonne de cette angoisse exprimée par les professionnels. “ En 2016, 7,3 milliards d’euros ont été alloués, soit une très faible augmentation par rapport à 2015. Depuis la décentralisation de 1984, cette dépense a été multipliée par trois en euros constants. Ce qui est intéressant en revanche c’est que la dépense relative aux placements (six milliards d’euros en 2016) a été multipliée par deux en 18 ans. Alors que le nombre d’enfants concernés n’a lui augmenté que de 3% et alors que depuis le rapport Bianco-Lamy en 1980, on mise sur le maintien au domicile. ” Didier Le Sueur explique que les efforts de modernisation et d’humanisation des foyers, le renforcement des droits du salarié en accueil familial, l’émergence de formules novatrices peuvent expliquer en partie ces coûts. Il existe en tous cas « un hiatus entre ces budgets colossaux et la perception des professionnels ».
Cette enquête de l’ODAS a tout de même mis en exergue quelques points de bilan positifs. 61% des personnes interrogées considèrent ainsi que le système a progressé en matière de repérage des situations préoccupantes, ce qui a semblé plutôt faire consensus pendant ces Assises. Pour Gilles Seraphin, directeur de l’ONPE, le dispositif autour de l’information préoccupante avec la généralisation des CRIP a permis une réelle amélioration des pratiques. « Il faut maintenant progresser sur les critères partagés entre CRIP ». Pour Edouard Durand, tout nouveau vice-président du Tribunal de Bobigny, ” l‘information préoccupante ça a été le coup de génie de la loi de mars 2007″. “L’IP a conduit à déculpabiliser les professionnels à qui on confiait une tâche très lourde. Elle permet d’être plus sensible aux signaux faibles de la souffrance des enfants. ”
Côté constats positifs, Anne-Sylvie Soudoplatoff, directrice générale du GIP Enfance en danger, estime de son côté que ce texte a permis l’émergence d’études et de recherches qui ont notamment débouché sur la notion de « besoins fondamentaux de l’enfant », véritable changement de paradigme qui doit permettre de « dépasser le clivage avec l’intérêt des parents ». Agnès Buzyn, la Ministre des Solidarités, de la Santé (et de la famille, précise-t-elle), assure dans un discours introductif enregistré plus tôt, qu’elle s’appuiera sur la démarche de consensus sur le sujet « pour en tirer des leçons ». Pour Edouard Durand, le grand apport de cette nouvelle approche, c’est le « besoin de sécurité » qu’une conférence de consensus menée en 2017 a institué en méta besoin. « Il faut maintenant avoir une clinique de l’attachement dans notre boîte à outils, martèle-t-il. Avant, mon curseur c’était souvent « jusqu’à quel point je peux travailler avec les parents ». Cette question n’est pas la bonne. La question importante c’est : l’enfant est-il en sécurité ? Il est très important de nous professionnaliser encore dans ce que nous avons à dire sur les familles. Il faut avoir un cadre moins subjectif de ce que nous avons à rechercher quand nous entrons dans la maison des autres. » Le magistrat insiste aussi sur la « prise en charge du psycho trauma ». « Dès qu’on extraie un enfant d’un contexte violent, il faut pouvoir lui donner des soins adaptés en psycho trauma. »
Les enfants seraient donc mieux repérés, sur des critères plus objectifs. Mais sont-ils pour autant mieux pris en charge ? Deux tiers des professionnels considèrent que la protection de l’enfance a régressé sur le sujet du parcours des enfants. Pour Gilles Seraphin, on note certes « une diversification de l’offre des prestations et des mesures », mais « il reste beaucoup à faire, notamment dans l’analyse des offres ». « Il est nécessaire d’établir une typologie nationale ». Il poursuit : « il faut adapter l’accompagnement au parcours et au projet de l’enfant. Il y a de grandes marges de progrès. Le projet personnalisé pour l’enfant (PPE) est inégalement adopté par les départements. Il faut faire progresser le dispositif d’observation longitudinale en cours, articuler les rapports de situation et l’évaluation avec le PPE, amoindrir les ruptures non choisies et assurer de meilleures sorties pour les jeunes majeurs. » Brigitte Mevel Le Nair, directrice Enfance-Famille du Finistère, estime de son côté que « nos modes de prise en charge restent cloisonnés, on a du mal à faire du transversal. »
Quelques 74% d’entre des professionnels ayant répondu au sondage pensent que les liens familiaux de l’enfant sont davantage préservés mais ils ne sont plus que 44% à affirmer que les relations entre les professionnels et les familles se sont améliorées. « Les parents sont plus écoutés, ils participent plus au projet, mais leur avis pas forcément mieux pris en compte, ce qui est un peu contradictoire », résume Brigitte Mevel Le Nair. Cette contradiction est peut-être assez logique dans la mesure où cette question des liens est l’une des plus sensibles en matière de protection de l’enfance, elle est même presque intrinsèquement paradoxale (protéger un enfant de parents potentiellement dangereux tout en cherchant à maintenir voire renforcer, par principe, les liens familiaux, c’est dès le départ une équation périlleuse), elle est indissociable des questions de prévention et de parcours de l’enfant (abordés ci-dessous) et elle génère depuis longtemps de profonds clivages théoriques. Jusqu’à quel point maintenir un lien ? Jusqu’à quel point faire alliance avec les parents?
Tout le monde s’accorde aujourd’hui sur le fait que la prévention (inscrite en tant que telle dans la loi de 2007) et l’accompagnement à la parentalité, deux objectifs indissociables, doivent faire partie intégrante des missions de la protection de l’enfance. Pour Marie-Paule Martin Blachais, auteure du rapport sur les besoins fondamentaux de l’enfant et directrice de l’école de la protection de l’enfance, « nous savons que plus les intervention de prévention sont précoces et intensives et plus elles sont efficaces ». Didier Lesueur, lui, insiste : « Il faut distinguer la protection de l’enfance et l’Ase. Sinon on ne laisse pas de place à la prévention.» Il en est persuadé, « la prévention a vocation d’agir sur société, il faut créer des liens sociaux ». « Elle doit être l’affaire de toute la société, et ne pas concerner seulement les publics ciblés, les services de PMI ou les services sociaux ».
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire