lundi 26 juin 2017

avril 2017.

En effet, près d’un million de mineurs sont suivis en pédopsychiatrie, et pourtant l’État s’est rarement penché sur l’étude de leurs besoins. Le récent rapport du sénateur Michel Amiel, qui émet cinquante deux préconisations, rappelle l’enjeu capital que représentent la prévention et la prise en charge précoce.
S’ils sont accompagnés au plus tôt par des professionnels formés à cet effet, les troubles psychiques parfois très handicapants à l’âge adulte peuvent s’atténuer, voire disparaître dans l’enfance et l’adolescence.
Davantage de moyens au service de l’homme
Discipline récente – la première chaire date de 1949 – la pédopsychiatrie mérite d’être soutenue : par un pilotage plus « lisible » alors qu’elle se dilue dans de nombreuses structures sociales, sanitaires et médico-sociales mais aussi par la recherche et le développement de filières spécifiques encore trop rares.
Le rapport recommande de mieux aider les familles dès la périnatalité, notamment grâce à la diffusion d’« outils de repérage auprès des professionnels de première ligne ». Il préconise également de renforcer le développement des psychologues dans l’Éducation nationale et l’intervention des pédopsychiatres en protection de l’enfance, augmenter les capacités d’ouverture des centres médico-psychologiques (CMP) et rouvrir des lits hospitaliers là où c’est nécessaire. Michel Amiel plaide en somme pour une augmentation des moyens dévolus à cette discipline.

lien social

14 juin 2017

La protection de l’enfance demande protection

« Vous êtes là pour nous protéger, mais vous ne pouvez même pas vous protéger vous-mêmes » . Formulé par une jeune du foyer d’accueil d’urgence départemental des Hauts-de-Seine, ce constat résume l’impuissance du personnel de l’établissement. Une partie de l’équipe a constitué le collectif ASE92 pour lancer une pétition le 31 mai dernier et pousser les autorités de tutelles à prendre les décisions qui s’imposent.
Elle décrit depuis un an une situation qui se dégrade, la violence qui monte et les arrêts maladie qui se succèdent sans systématiquement provoquer des remplacements. Malgré les alertes répétées en direction du chef de file, le Conseil départemental, rien ne bouge.
Logique gestionnaire coûteuse
Censée accueillir 48 enfants âgés de 3 à 13 ans dans l’attente d’une orientation adaptée, l’équipe du foyer de Hauts-de-Seine reçoit de plus en plus de jeunes atteints de troubles psychiatriques. « Nous ne sommes pas formés à accompagner ces enfants inadaptés au collectif et qui se retrouvent chez nous parce que les petites structures beaucoup plus contenantes ont fermé, constate une éducatrice spécialisée souhaitant rester anonyme. Nous n’avons plus de psychiatre dans la structure depuis 2 ans et nous sommes confrontés à des douleurs psychologiques terribles, alors que nous ne sommes pas formés. »
Durée de séjour étendue de 12 à 18 mois au lieu des 4 à 6 prévus, accueil d’adolescents jusqu’à 17 ans à la suite de la fermeture de deux foyers en décembre, cohabitation entre agressés et agresseurs faute de place, climat d’agression permanent lié aux dysfonctionnements institutionnels… La pétition dresse la liste des mécaniques qui, au lieu de protéger les enfants, risquent « de les abîmer plus qu’ils ne le sont déjà ». Soutenue au quotidien par sa hiérarchie, l’équipe est aujourd’hui révoltée par les politiques départementales mues par une logique gestionnaire, finalement couteuse.
Des Hauts-de-Seine jusqu’à Marseille
« L’arsenal financier et législatif existe mais n’est pas mis en œuvre. Cette incompétence coupable risque de fabriquer des SDF, des délinquants, des extrémistes. » L’économie réalisée sur les structures et le personnel coûte finalement très cher à la collectivité en commençant par le recours régulier aux urgences. Contactée le 8 juin, la directrice « Famille enfance jeunesse » du Conseil départemental, n’a à ce jour pas obtenu l’autorisation de sa hiérarchie de répondre à Lien Social.
En deux semaines, le texte a recueilli 1 055 signatures émanant de toute la France. Rien d’étonnant : il décrit une dégradation des conditions d’exercices commune à de nombreux services de la protection de l’enfance. Le 29 mai, des travailleurs sociaux marseillais portaient plainte contre l’État et le département pour violences volontaires sur mineurs. À Saint-Etienne, l’équipe de l’aide sociale à l’enfance a déclenché son droit de retrait le 10 juin jusqu’à l’arrêt du danger psychologique et physique des agents dans l’exercice de leur mission. À Angers, environ 2 000 personnes ont défilés le lundi 12 juin pour protester contre le projet de réorganisation de la protection de l’enfance du Conseil départemental du Maine-et-Loire, menaçant quelque 350 emplois.
Pétition à lire et/ou signer

la prevention de la radicalisation- article du LIEN SOCIAL

23 juin 2017

La prévention de la radicalisation fait débat

La lutte contre la radicalisation, au cœur de l’actualité depuis plusieurs années, demeurera certainement un axe majeur de la politique gouvernementale. Elle est toutefois loin de faire l’unanimité, tant sur la conception de la radicalisation que sur les prises en charge et les méthodes employées.
Dans un « Avis sur la prévention de la radicalisation » paru fin mai, la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) estime que les différentes mesures adoptées dans le plan d’action contre la radicalisation du 9 mai 2016 soulèvent des questions éthiques de respect des droits et libertés fondamentales. Elle y critique vertement la politique du gouvernement en la matière, plus précisément la méthode de « détection », basée sur la prédiction du comportement de personnes susceptibles de basculer vers une idéologie. Si prévenir les actes terroristes est une nécessité, restreindre une partie des droits de l’ensemble de la population n’est pas possible, selon la CNCDH. L’enjeu : la cohésion sociale et le principe même de l’État de droit.
Contestation du CIPDR
La commission conteste le concept de radicalisation adopté par le Comité Interministériel de Prévention de la Délinquance et de la Radicalisation (CIPDR) comme étant « un processus progressif, l’adhésion à une idéologie extrémiste, l’adoption de la violence ». Elle voit également d’un très mauvais œil le débordement du renseignement et du contrôle dans l’action sociale. « L’injonction au signalement » touche les travailleurs sociaux et en première ligne les acteurs de la prévention spécialisée et met à mal le cœur de leur mission qui repose sur le lien de confiance. La CNCDH demande aux pouvoirs publics de garantir l’autonomie des acteurs sociaux et le renforcement de ceux-ci dans leurs fonctions d’assistance et d’accompagnement.
« L’affaire de tous »
Elle s’inquiète également de la confusion entre renseignement et protection de l’enfance. Elle demande par exemple que le numéro vert d’écoute et d’accompagnement soit rattaché au 119 (N° enfance en danger).
La secrétaire générale du CIPDR, Muriel Domenach, estime pour sa part que « c’est la prise en charge pluridisciplinaire (sociale/psy/éducative) qui fonctionne le mieux » (1), que le « contre-discours est l’affaire de tous » et défend le travail des professionnels de l’action sociale dans cette problématique.
(1) dans une tribune publiée dans Le Monde le 15 mars 2017
L’avis de la CNCDH

samedi 24 juin 2017

travail social, une necessaire refondation

Travail social : le parcours de l’usager comme objectif

Publié le 24/05/2017 • Par Catherine Maisonneuve • dans : Dossiers Emploi, France, Toute l'actu RH
lien social
Ivelin Radkov
Héritière de la notion de projet personnalisé, la logique de parcours en est encore à la phase de l’expérimentation. Et la question de l’évaluation se pose avant toute éventuelle généralisation.

Cet article fait partie du dossier
Travail social : une nécessaire refondation
Cultures métiers fortes, univers codifié, public de plus en plus protéiforme… Des élèves administrateurs de l’Institut national des études territoriales ont réalisé en 2014 l’étude « Du travailleur social au travail social dans les collectivités » dont l’un des enseignements reste particulièrement d’actualité : la nécessité d’un meilleur positionnement des collectivités territoriales « en tant qu’acteurs de l’action sociale, et pas seulement gestionnaires de dispositifs ». Dispositifs dont la multiplicité et le cloisonnement morcellent la réponse apportée à l’usager, soulignent les auteurs.

Accompagnement global

Les travailleurs sociaux militent depuis longtemps pour un accompagnement global. Gravée dans le marbre de la loi du 2 janvier 2002 rénovant l’action sociale, la notion de ...

mardi 13 juin 2017

place de l'enfant de la Famille d'Accueil

Enfances & Psy

2007/1 (no 34)

  • Pages : 150
  • ISBN : 9782749206295
  • DOI : 10.3917/ep.034.0157
  • Éditeur : ERES

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Mais, étranger il l’est, lui aussi, pour celui qui l’accueille chez lui. Examinons le problème de l’autre côté du miroir : comment son arrivée est-elle perçue par l’enfant qui a déjà une place légitime dans la structure familiale ? Comment la famille devra-t-elle s’adapter pour accueillir l’enfant placé et quelles en seront les conséquences pour l’enfant accueillant ? Ce sont ces questions qui nous amènent à réfléchir à la place de l’enfant accueillant dans les familles d’accueil et aux liens qu’il va entretenir avec son nouveau compagnon : s’agit-il d’un partenariat ou d’une cohabitation forcée ? Qu’est-ce que la vie de famille pour un enfant d’assistante maternelle ?
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Même si l’éventail des situations d’accueil est infini, même si chaque cas est particulier, on retrouvera un certain nombre de problématiques communes. Nous nous intéresserons en particulier aux problèmes de désillusion, à la prise de conscience de l’enfant accueillant sur la véritable nature du travail de ses parents, au partage de l’espace dans la maison, et à la modification de la trame familiale.

Quand l’imaginaire trompe…

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Avant son arrivée dans la famille d’accueil, l’enfant placé fait figure de compagnon de jeu dans l’imaginaire de ceux qui vont l’accueillir à leurs côtés. L’arrivée d’un nouveau « membre » de la communauté familiale fait appel à la symbolique du frère ou de la sœur : les jeux, l’entraide, l’affection, les petits conflits, bref ce qui constitue habituellement le quotidien des liens fraternels. On ne peut rêver que de choses que l’on connaît, ici on imagine des situations stéréotypées. En fait, l’enfant raisonne sur ce même modèle : cet étranger qui va arriver ne le serait finalement pas tant que ça ; il serait, lui aussi, un enfant qui amènerait ses jeux, ses histoires, ses manies, bref, un autre qui en somme serait identique.
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Et c’est là le début de toute la problématique : avant qu’arrive le premier enfant placé, un enfant d’éducateur (ou d’assistante maternelle) ne peut véritablement se rendre compte de ce qu’est l’accueil… ou plutôt son acceptation (qui, étymologiquement, signifie « vivre avec »).
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Parce que cet enfant qui va arriver, et que les enfants de la famille imaginent comme pouvant devenir un membre de la tribu, risque fort de ne pas répondre à leurs espérances. Le petit compagnon de jeu, parfait, imaginé par les enfants d’éducateurs n’existe pas : il n’y a pas « d’identique », ni de familier, il n’y a qu’un enfant en difficulté. Et c’est toute la dimension que prendra cette relation entre lui et les enfants légitimes : une difficile conciliation entre deux modèles d’éducation, un affrontement quotidien entre deux lieux, celui de la famille d’accueil et celui de la famille d’origine.

Le choc culturel

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L’enfant placé ne peut pas faire abstraction de son vécu. Il fonctionne, comme tous les autres enfants, grâce à des repères, des valeurs et des normes qui lui ont été transmis via l’éducation dispensée par ses parents. Le problème, ici, c’est que cette éducation n’en a pas vraiment été une. Incohérence éducative, incapacité à tenir dans le temps, les parents en difficulté n’ont pas transmis grand-chose à leurs enfants de ce qui est communément admis dans notre société : en raison de violences verbales, physiques ou affectives, les enfants accueillis souffrent, pour la plupart, de carences affectives, et n’ont pas bénéficié de véritables soins. La sociabilité n’est pas leur fort : là où une règle existe, il y a aussi un moyen de s’en affranchir. Les notions de contrainte et de respect sont plus que mises de côté. On ne voit pas de mal à tricher, mentir, voler. Le principe est simple : pas vu, pas pris. Résultat : un enfant imperméable à la parole, qui ne craint et ne respecte que l’usage de la force. Un enfant qui tolère peu les frustrations, qui ne sait pas se contenir.
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Pour l’enfant accueillant qui n’est pas du tout habitué à ce genre de comportements, et qui s’étonne de voir ses parents aussi souples face à de tels agissements (mais nous y reviendrons plus tard), il s’agit d’une révélation. Celui qu’il imaginait comme étant semblable s’avère finalement très différent, parfois trop différent : un sentiment d’insécurité peut se manifester, notamment face aux réactions parfois violentes des enfants accueillis. L’accueillant réalise, peu à peu, qu’il s’est trompé, et que les jeux dont il a rêvé n’auront jamais lieu. La cohabitation se transforme alors, rapidement, en un véritable choc culturel qui mettra les nerfs de tous à rude épreuve. C’est l’enfant accueilli qui en souffrira le plus, car il va devoir changer d’habitus, ce qui par définition reste plus que difficile.
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Mais au-delà de ces différences culturelles, d’autres facteurs bien plus importants conditionnent les rapports de l’accueillant avec le petit étranger. Nous avons vu que des différends culturels pouvaient être un obstacle à une vie commune sans heurts ; outre cette divergence d’habitus, il existe une raison beaucoup plus profonde à ce phénomène : les enfants accueillis ne sont pas des enfants, au sens où nous l’entendons.
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La déception des enfants accueillants peut s’expliquer par une profonde désillusion et un véritable sentiment de mystère qui va planer autour du vécu de l’accueilli. Si les parents connaissent le parcours de l’enfant placé et donc comprennent partiellement ses agissements, pour l’enfant accueillant, il n’en est rien. L’accueilli fait figure d’énigme vivante, et le fait de ne pas saisir la portée de ses manifestations pathologiques renforce cette impression chez l’accueillant : comment peut-on être comme ça ?
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Enfants accueillants et accueillis peuvent se ressembler en tout point, par leur âge, leurs jeux ou leurs besoins. Mais l’un d’entre eux ne correspond pas du tout à ce qu’on attend d’un véritable enfant, au sens symbolique du terme : l’enfance est communément admise comme étant une période de tranquillité, d’insouciance, une sorte de conte de fées moderne où le petit d’homme n’a rien d’autre à faire que de grandir. Seulement, pour certains, le rêve est devenu cauchemar, et il les a changés à jamais. Pour les moins bien lotis d’entre eux, l’innocence n’a jamais eu lieu, et la tranquillité n’a jamais existé. Pour ceux-là, ce que nous appelons « enfance » n’a jamais pris forme. Si, extérieurement, ils ont l’apparence d’un enfant dit normal, intérieurement ils ne le sont pas : les traumatismes psychologiques qu’ils ont subis les ont changés. La psychologie affirme que c’est dans la petite enfance que se dessinent les traits de caractère du futur adulte : ici, les blessures narcissiques infligées aux enfants accueillis en ont fait des « choses » qui, au sens littéral, peuvent être appelées « chimères », une association tout à fait anormale engendrée par des années de maltraitance et de carences affectives, déguisée en enfant. Les manifestations du quotidien relèvent du pathologique et font que les locaux disent des accueillis : « Ils ne sont pas comme nous. » L’enfant accueilli ne prend pas plaisir à importuner son nouvel entourage : c’est le seul moyen qu’il a trouvé pour dire qu’il souffre. Tous ce que les enfants d’éducateurs peuvent, ici, reprocher aux enfants placés c’est d’essayer d’exprimer leur mal-être.
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Mais la difficulté de faire coexister enfants légitimes et placés dans la famille d’accueil ne s’arrête pas à ce genre de travers. L’espace partagé par les deux communautés accueillant/accueilli est une pratique silencieuse, qui en dit long sur la nature de la situation. La question de l’intégration se pose comme une nécessité pour les accueillis, et comme un envahissement pour les accueillants.

À la conquête de l’espace vital

L’enfant qui va arriver devra se sentir « comme chez lui ». Il lui faudra une place dans la famille, un espace propre dans la maison, et un statut, difficile à définir. Il va lui falloir prendre de nouveaux repères et apprendre à s’intégrer à un monde différent où il pourra rencontrer des résistances. Et c’est ainsi que les problèmes commencent : l’accueilli peut voir en la figure des personnes avec qui il doit composer des rivaux, voire des adversaires, qu’il faut éliminer pour avoir une place. Inversement, l’enfant d’éducateur a des habitudes de longue date : ses relations avec ses parents, avec son espace, avec sa scolarité ; sa petite vie est plus ou moins organisée et la routine est pour lui une source de sécurité. Seulement, cette routine est terminée : il lui faut maintenant composer avec cet « autre » fraîchement débarqué. Un parfait étranger, un extraterrestre, qu’il pourra percevoir comme une menace à sa place dans la maison et dans la famille, surtout s’il doit bouleverser ses habitudes pour intégrer ce nouveau venu, qui d’ailleurs ne répond pas du tout à ses attentes.

Vol, parasitose et double action

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La présence de l’autre et les relations que ce dernier entretiendra avec ses éducateurs (et le reste de la maison) peuvent être interprétées par l’enfant accueillant comme un vol de ce qui était jusqu’alors sien : l’espace, le temps et l’affection de ses parents. On assiste éventuellement à une lutte intestine pour le contrôle du statut d’enfant : l’accueilli tente désespérément de se lier à un binôme symbolique père-mère, ardemment et jalousement protégé par l’enfant légitime du couple. La problématique de l’enfant accueilli prend ici toute son ampleur : il oscille entre l’attachement à ses deux familles (sa famille d’origine et sa famille d’accueil), la culpabilité, le sentiment de trahir ses « vrais » parents et le deuil qu’il doit faire de l’image ternie de ses parents, de leur capacité à l’élever (sentiment malheureusement renforcé par la vie quotidienne au sein d’une famille « normale »). Ici, c’est la frustration de l’accueilli qui va être le moteur de son comportement, confronté qu’il est à ce dilemme : ici/la-bas, où est ma place ? Il tente ainsi de récupérer ce dont on l’a dépossédé : une identité familiale.
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L’enfant accueillant, lui, perçoit le placement comme une parasitose, et n’entend pas du tout laisser ce « coucou » prendre toute la place dans le nid. Il revendique son appartenance aux lieux et au cercle familiaux, il les défend plus que de raison, et de façon parfois très cruelle : « C’est ma maison, ce sont mes parents, et pas les tiens. » Les accueillants montrent souvent le besoin qu’ils ont de se sentir chez eux, et les accueillis hurlent à l’injustice. L’espace est un bien précieux qu’il faut défendre ou conquérir. Ce n’est pas tant les dizaines de mètres carrés d’une pièce qui sont disputés, mais la symbolique qui s’y attache : l’espace et son occupation révèlent la place de chacun, et c’est pour ça que les meilleures places sont disputées.
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Même chose pour les objets qui représentent ici une extension personnelle de leur propriétaire. Jamais un enfant accueillant ne concédera une place (ou un espace de rangement) qui le met en valeur symboliquement.
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Idem pour ce qui est des relations entre frères et sœurs. Un enfant n’acceptera pas de partager ses liens fraternels avec un « étranger ». Cela fait partie du « soi », c’est une composante de l’identité familiale. Il n’oubliera jamais de préciser, si on l’interroge : « Il vit avec moi, mais ce n’est pas vraiment mon frère. » Preuve que la rupture de l’intimité familiale est une souffrance. L’enfant accueillant comprend rapidement que la durée du placement s’inscrit dans le long terme, et il devra, dans certains cas, faire le deuil de ce qu’il ne trouvera plus : la tranquillité, le refuge et l’abri constitués par l’intimité qui se crée au sein de la cellule familiale. C’est terminé, et il doit faire le deuil de ce « paradis perdu ». Il s’agit pour la famille d’un « nouveau départ », ce qui suppose un temps d’adaptation, la mise en place d’une nouvelle dynamique.
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Cette situation va être également pénible pour les adultes, qui devront assumer la double casquette « parents éducateurs », et qui se trouveront directement sur la ligne de front, à arbitrer qui, de leurs propres enfants ou des enfants accueillis, a raison (ce qui, dans un cas comme dans l’autre, posera d’autres problèmes). Les enfants accueillants perçoivent, bien évidemment, ce changement de situation : les adultes ne sont plus « parents » à temps plein, ils sont divisés structurellement, deviennent des êtres doubles. Le régime n’est pas le même selon qu’ils agissent en éducateurs ou en parents : ils seront beaucoup moins exigeants envers les enfants accueillis qu’avec leurs propres enfants (forts mécontents, d’ailleurs, d’une pareille injustice). Des négociations pourront avoir lieu entre ces parents et leurs enfants, qui verront leur éducation se transformer au contact de cette nouvelle dynamique. L’espace familial quitte peu à peu la sphère privée. C’est une période délicate, qui demandera des compromis de chaque côté, et qui aboutira sur le long terme à une situation beaucoup plus stable.

De futurs éducateurs ?

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Pour conclure, on peut observer que les adultes ont la fâcheuse tendance à considérer leurs enfants comme étant aussi accueillants et compréhensifs qu’eux-mêmes. Si un éducateur comprend et accepte les manifestations pathologiques d’un petit d’homme en souffrance, cela est beaucoup moins évident pour un enfant qui n’a ni le recul, ni la maturité d’un adulte formé professionnellement pour faire face à ce genre de situation. Les enfants placés peuvent vous rendre fous si vous ne faites pas preuve de patience et d’un minimum de compassion. Mais on ne peut pas décemment leur en vouloir : ils n’ont pas choisi la vie qu’ils ont. La vie en famille d’accueil n’est pas toujours simple à gérer. C’est un pari : celui de concilier et confondre vie professionnelle et vie familiale, en supposant que ses propres enfants accepteront les difficultés du quotidien. Mais globalement, et surtout avec beaucoup de recul, c’est une expérience très enrichissante pour les enfants accueillants : elle leur permet de s’éveiller à la souffrance d’autrui et à la misère du monde. Elle enseigne la tolérance et la patience, de gré ou de force, et génère des individus peut-être plus sensibles à la situation précaire de toute une frange de la population. Enfin, elle est susceptible de susciter des vocations et pourrait préparer la future génération de travailleurs sociaux.