vendredi 9 décembre 2016

les types de maltraitance



Il y a deux types de maltraitance: la maltraitance corporelle qui s'exprime sous deux formes physique et/ou sexuelle et la maltraitance psychologique.
Ces trois formes de maltraitance sont liées le plus souvent, la maltraitance physique et/ou sexuelle s'accompagnant, il est inutile de le rappeler, de souffrances psychologiques intenses chez l'enfant dans lesquelles se mêlent colère, ressentiment, honte, humiliation, peur, désespoir, sentiments d'abandon, d'injustice, de trahison de la part de l'adulte.
Vice versa, tout comme dans les cas de maltraitance corporelle, la maltraitance psychologique présente, elle aussi, en plus de ses effets sur le psychisme de l'enfant, des effets physiologiques à plus ou moins long terme, effets physiologiques qui sont autant de réactions au stress chronique occasionné par un état d'angoisse qui ne se relâche pas et par une tristesse sans fin.

blue05_next.gif La maltraitance physique/sexuelle et/ou psychologique à répétition met l'enfant dans une situation de stress chronique; d'où risque de répercussions à la fois physiques/physiologiques et psychologiques à plus ou moins brève échéance.

Il y a maltraitance corporelle quand l'intégrité physique de l'enfant est atteinte et qu'il subit des sévices corporels: enfant battu, giflé, violenté, enfant séquestré, enfant privé de nourriture, subissant des attouchements sexuels et/ou violé. A noter que la maltraitance, physique à ses débuts, peut conduire l'agresseur à commettre des violences sexuelles par la suite.
A la différence de la maltraitance physique identifiable à plus ou moins court terme quand il s'agit de coups et blessures, les cas de maltraitances sexuelle et psychologique sont difficiles à détecter.
Une chappe de plomb règne sur les abus sexuels soit par ignorance des faits de la part de l'entourage de la petite victime, soit parce que cet entourage ne veut rien savoir de ce qui se passe en restant sourd et aveugle, la petite victime elle-même étant trop apeurée pour alerter qui que ce soit alors qu'elle est, le plus souvent, maintenue au silence par son agresseur étant donné les pressions qu'il exerce sur elle, par la force et/ou la persuasion, toujours par le mensonge et l'hypocrisie.
Dans le cas de la violence psychologique intra ou extra-familiale, ses effets pernicieux ne sont pas tout de suite reconnus ni par l'enfant qui en est la victime parce qu'il ne comprend pas ce qui lui arrive, ni par ceux de l'entourage soucieux de son bien-être car, comme tout ce qui a trait au psychisme, le processus de déstabilisation  et ses conséquences destructrices s'installent de façon insidieuse en s'étalant sur un temps plus ou moins long.
En exemples de maltraitance psychologique:
- les agressions verbales comme les brimades, insultes, jugements négatifs sur l'apparence physique, les comportements, la performance scolaire, le niveau intellectuel, etc..., à commencer par le "tu es un incapable", "tu ne réussiras jamais", "tu es nul", "jamais tu n'y arriveras",
- la carence affective parentale, maternelle et/ou paternelle, avec une ou les deux figures parentales instables, indifférentes, peu présentes ou carrément absentes,
- la privation du parent aimant et maternant (on parle de plus en plus de figure d'attachement) dans les cas de séparation parentale problématique principalement quand le parent qui est craint ou perçu comme "méchant" a obtenu soit la garde totale de son ou de ses enfants, soit une garde alternée mal vécue par l'enfant.
Il y a aussi des exemples où la maltraitance est extra-parentale de nature intra-familiale quand l'agresseur est un parent proche, frère, oncle, cousin; ou bien de nature extra-familiale quand l'agresseur est une personne ayant une relation privilégiée ou significative avec l'enfant ou l'adolescent, personne qu'il admire, parent-substitut, éducateur.

Quel qu'en soit le type, physique/sexuel, et/ou psychologique, dans sa forme, parentale ou extra-parentale, le fait d'être maltraité en permanence brise, ralentit ou fait régresser la relation de l'enfant au monde car, à plus ou moins court-terme, par phénomène de généralisation [une des lois du comportement humain], sa relation à la figure parentale va conditionner sa relation à toute personne adulte avec tout ce que cette personne aurait pu représenter en termes de respect, obligations, connaissances, sécurité, protection (d'où les phénomènes d'opposition soit rébellion, négation, scepticisme, doute, manque de confiance de la part de l'enfant et de l'adolescent vis-à-vis des adultes); d'autre part, là aussi à plus ou moins court-terme, la perception qu'il va avoir de lui-même, négative dans ce cas, par processus d'introjection (ex: si l'adulte n'est pas gentil avec moi, c'est que je suis vilain; s'il me dit que je ne vaux rien, c'est que c'est vrai; je suis un nul) donnant lieu à l'auto-accusation, le sentiment de culpabilité et l'auto-punition.
On vient de répondre de façon globale à la deuxième question, soit:

II/ Pourquoi la maltraitance principalement celle de forme parentale est-elle si destructrice dans le développement de l'enfant?

Maltraitances physique/sexuelle et/ou psychologique, quand elles s'installent dans une famille et qu'elles sont perpétrées par des adultes, qui plus est quand c'est un père et/ou une mère, si au mieux l'enfant présente des symptômes du stress subi qui demeurent ponctuels, il risque cependant de rester fragilisé dans sa perception qu'il a de lui-même sur le long-terme et sa relation tant à autrui qu'au monde en général risque elle aussi d'en être entièrement perturbée et pour longtemps, les séquelles à l'âge adulte les plus communément identifiées étant le manque de confiance en soi avec doute sur soi-même et sur les autres, un état d'anxiété généralisée et une tonalité dépressive de l'affect, à l'origine le ou les parents ayant enlevé à l'enfant la possibilité qu'il puisse croire en eux, de les prendre pour modèles de référence, et surtout de s'en sentir aimé et protégé.
Dès son très jeune âge, l'enfant fait, entre autres expériences, celle de l'angoisse la plus difficilement maîtrisable, soit l'angoisse existentielle, puisqu'il est agressé par une figure parentale en laquelle il ne peut plus croire, auprès de laquelle il ne peut plus se reposer, y compris littéralement (pensons aux troubles du sommeil, cauchemars, pleurs, cris et même convulsions), qui ne le protège plus ou si peu ou de façon erratique (ce qui a pour but d'intensifier l'angoisse quand on ne sait pas si on va être soutenu ou non, protégé et en sécurité ou pas du tout): l'enfant se trouve seul, face au monde (il sait alors qu'il doit se débrouiller tout seul) et, en plus, il se sent trahi.
Il est fragilisé dans l'ensemble de ses domaines de développement, à commencer par ceux directement visés par l'angoisse: les domaines psycho-affectif et émotif.
On se représente dans les cas de graves traumatismes récurrents, par exemple ceux des enfants brutalement séparés de leur figure d'attachement, l'intensité de l'angoisse vécue par ces enfants et la profondeur de leur désarroi et de leur désespoir quand ils ont été privés de ce parent protecteur qui leur assurait ou qui aurait dû leur assurer amour, affection, tendresse, sécurité et protection. Le monde de ces enfants a basculé et c'est le gouffre sans repères positifs.

troubles dans le developpement psychologique de l'enfant




2/ Troubles dans le développement psychologique

Par développement psychologique, on signifie le développement psycho-affectif, émotif, cognitif, comportemental et social de l'enfant soit ce qui contribue à la formation de sa personnalité propre, mais aussi à la nature de sa relation à autrui, à commencer avec ses parents, sa fratrie, puis ses éducateurs, ses amis et ainsi de suite, et à l'incidence que ce développement a sur sa performance intellectuelle, donc sur ses capacités d'apprentissage, sur ses comportements aussi, avec ou non, contrôle des émotions et des pulsions.
 Dans tous les cas de maltraitance parentale, que celle-ci soit volontaire (enfant agressé physiquement et psychologiquement par un parent en toute conscience, pour lui faire du mal) ou involontaire ( jeune maman démunie (parent qui, le plus souvent suite à une décision de justice), est contraint de se séparer de son/ses enfants dans les cas de litige au sujet de leur garde), les troubles du développement psychologique de l'enfant sont sévères, parfois indélébiles quand ils perdurent sous forme d'état jusqu'à l'âge adulte .
Pour les troubles émotivo-affectifs avec répercussions dans la relation à autrui, sur le développement intellectuel et dans les conduites, ce sont:
                       -    les variations de l'humeur.
                       -    le repli sur soi.
                       -    la perte du contact avec la réalité.
                       -    l'angoisse et la confusion avec peurs intenses (peur du noir, peur de la mort).
                       -    le sentiment d'insécurité, l'absence de confiance en soi
                       -    blocage émotivo-affectif  (alexithymie)
Les répercussions dans la relation à autrui se manifestant par:
                       -    la méfiance
                       -    la circonspection
                       -    la retenue
                       -    le blocage relationnel
Les répercussions dans le développement intellectuel se manifestant à travers des difficultés dans les apprentissages par:
                       -    manque d'attention et de concentration
                       -    troubles mnémoniques
                       -    retard, régression, ou blocage cognitivo-affectif.
Les répercussions sur les conduites s'exprimant sous forme de désordres du comportement parmi lesquels:          
                               -      pleurs/cris/colère            
                               -    acting-out: violences, fugue, vols, etc.
                        -    auto-agression: se cogner, se frapper, se mutiler(scarifications)
                        -    tics et tocs: balancements, onycophagie, trichotillomanie
                        -    troubles du comportement alimentaire: anorexie/boulimie/état mixte
                        -    atonie: absence d'expression faciale, incapacité à se mouvoir, inertie corporelle        
                        -    mutisme, bégaiement
                        -    paralysie faciale, paralysie des membres
                        -    énurésie, défécation, coprophagie
                        -    suicide ou tentative suicidaire
                        -    phobies (peurs incontrôlables avec évitement comme agoraphobie/claustrophobie)

circle12_blue.gif  A/ Troubles émotivo-affectifs.

I/  La variabilité de l'humeur et des émotions qui accompagnent ces changements.
Exposé à un stress chronique, la qualité de l'humeur de l'enfant devient changeante; on parle d'une humeur labile qui oscille entre la tristesse, la colère, voir l'agressivité avec de courts intervalles durant lesquels il esquissera un sourire, aura un geste d'affection. On le dit capricieux, grincheux dans le meilleur des cas; autrement, on le décrit comme triste, taciturne. Ses émotions seront plutôt du registre de la colère quand il l'exprime ou inexistantes.
Labilité de l'humeur avec le plus souvent une composante de tristesse, émotions altérées, à la fois ou tour à tour exacerbées et/ou émoussées annoncent le repli sur soi qui s'exprime sous plusieurs formes.

II/ Le repli sur soi
a) les conduites d'évitement ou négation: c'est le « non » à tout en disant « non » bien entendu avec refus d'obéir que ce soit pour s'habiller, manger, dormir, aller à l'école, mais aussi se boucher les oreilles pour ne pas entendre, détourner le regard pour ne pas rencontrer celui de l'adulte, refuser d'être touché ou de  toucher, câlins et prise dans les bras sont alors évités par l'enfant et même combattus. L'enfant se réfugie dans un coin, à l'abri pense-t-il.
A noter que le manque de concentration et d'attention observé tant à la maison qu'à l'école est apparenté à la conduite d'évitement, une façon de s'abstraire d'un monde perçu comme angoissant.
b) l'attitude prostrée: il fait le « mort », ne s'intéressant plus à rien, faisant comme si il était dans un autre monde, ne bougeant plus, ne se manifestant plus : c'est l'atonie; son visage n'a plus d' expression. dans les cas les plus dramatiques, il reste couché en position foetale dans son lit ou dans un coin.
c)  les conduites de régression :conduites d'autostimulation infantile comme sucer son pouce à nouveau ou se bercer d'avant en arrière; reparler « bébé » ou cesser de parler; redemander son « nin-nin »; selon la tranche d'âge, on note soit un retard dans le contrôle des sphincters, soit une régression.
d)  automutilation: plus grave encore quand il se sent abandonné, incompris alors que l'état de frustration dans lequel il est devient intenable, l'agressivité qu'il aura pu développer envers les autres, enfants et adultes, il la retourne de plus en plus contre lui-même; c'est l'automutilation qui commence avec des tics comme se ronger les ongles, s'arracher la peau autour des ongles, s'arracher des touffes de cheveux, pour finir par se taper contre les murs, se frapper le corps.

III/ Perte du contact avec la réalité.
Le repli sur soi se prolongeant, il devient une habitude : un conditionnement se produit. Ses caractéristiques principales sont le refuge dans l'imaginaire et, en conséquence, dépendant de l'âge de l'enfant, une socialisation a minima ou la désocialisation.
D'une part, l'enfant perd progressivement le contact avec la réalité: il se réfugie de plus en plus dans son monde phantasmatique; d'autre part, c'est tout l'ensemble de sa relation au monde, aux personnes adultes et autres enfants, aux choses qui est altéré, d'où une socialisation soit interrompue, soit différée.
En s'inventant un monde à lui, l'enfant se donne du répit vis-à-vis du monde adulte qui le blesse, l'ignore, le rend à la fois triste et malheureux: le rêve, c'est sa seule et unique consolation. A remarquer que cette échappée dans le rêve ou la rêverie sera gardée comme mécanisme de défense à l'âge adulte: on dira alors que cette personne "n'a pas les pieds sur terre", qu'elle est "cérébrale".
Dans son abri phantasmatique, il y découvre un sentiment auquel le monde des adultes ne l'a pas habitué ou l'a déshabitué: le bonheur, être heureux, plus de douleurs, plus d'humiliations, plus d'incompréhensions, plus de pleurs. Pour construire une identité fragmentée à cause d'adultes insensibles à ses besoins, irresponsables ou ne pensant qu'à eux-mêmes, l'enfant est poussé à perdre le contact avec le réel.
Plus tard, le phénomène de déstructuration du moi et donc de dépersonnalisation aura toutes les chances de trouver un terrain propice à son éclosion et de se mettra en marche. On risque d'entrer alors dans les mécanismes de pensée de type autiste, schizoïde, voir schizophrénique.
Avec ce qui vient d'être dit, ne faisons plus les étonnés quand on voit un enfant se raconter beaucoup d'histoires, s'inventer une nouvelle vie, dire que ses parents ne sont pas ses parents, phantasmer sur des situations ou des personnes qui n'ont d'existence que dans sa tête. N'accusons plus cet enfant de mythomanie et de « mensonge» : il affabule parce qu'il se protège puisque soit on ne le protège pas, ou plus, ou mal, soit on l'agresse. Il affabule d'autant plus à cause de la précarité de sa condition qu'il se trouvera dans cette tranche d'âge durant laquelle la pensée magique prédomine, c'est-à-dire entre deux et cinq à six ans.

IV/ L'angoisse[1] et la confusion.
A la différence du tout jeune enfant qui, quand il vit dans de bonnes conditions familiales, croit en la toute-puissance de ses parents et en leur perfection puisque ceux-ci le protégent de façon magique de toutes personnes perçues par lui comme « pas gentilles » ou même "méchantes" et qu'ils savent résoudre toutes les difficultés qu'il peut rencontrer dans sa jeune vie, l'enfant qui subit l'agression d'un parent ou celui dont le parent se montre impuissant à le protéger et à le défendre face aux personnes qui lui font du mal, cet enfant vit dans un état d'angoisse permanent. Il n'a plus personne en qui avoir confiance, qui puisse le protéger, l'aider.
D'une part, il se sent et il est effectivement seul face au monde des adultes, un monde qu'il est en train d'apprendre à connaître mais qu'il ne comprend pas et ce, d'autant moins, que les adultes qui disent l'aimer le font souffrir tout en ignorant sa souffrance; d'où la confusion qui, dans son esprit, vient accroître l'angoisse de cette solitude si tôt perçue face à ceux qui lui tiennent un double langage et ont envers lui des comportements contradictoires.
Dans les cas où l'enfant se trouve séparé brutalement de son parent maternant, comme cela arrive à l'issue d'une décision de justice quand elle est prononcée en faveur de l'autre parent ou en faveur d'un partage de garde, à l'angoisse existentielle que peut vivre tout enfant qui subit des traumatismes s'ajoute en l'intensifiant l'angoisse d'abandon par ce parent maternant.
Devant l'immense vide affectif de cette séparation brutale, l'enfant se sent perdu, souffre dans son coeur et dans son âme. Il n'a qu'un désir, qu'un espoir qui hante ses jours et ses nuits, c'est celui de retourner auprès de ce parent même si ce dernier ne lui assure pas toute la sécurité dont il a besoin. Se produit  alors un surinvestissement affectif de l'enfant auprès du parent maternant car, à l'expérience de la rupture avec le parent aimé vécue trop tôt dans sa jeune vie, donc à l'angoisse de perdre le premier être cher qu'il a connu, s'ajoute la pré-conscience ou l'intuition de dangers futurs qu'il ne pourra être que seul à affronter, le modèle parental positif n'étant pas omnipuissant.
blue05_next.gifC'est l'expérience du double vide : le vide actuellement vécu par la séparation effective du parent maternant, celui qui est à la fois bon et méchant, bon quand il est là, méchant quand il disparaît et qu'il le laisse au parent non maternant et/ou agresseur, et le vide potentiellement appréhendé de sa propre existence face au monde extérieur.
Par ailleurs, à l'angoisse se mêle à nouveau la confusion quand il y a perte des repères familiers ou leur absence.
On l'a remarqué supra: la confusion naît quand il y a messages contradictoires donnés par les figures parentales qui sont alors perçues à la fois comme "bonnes" et "mauvaises"par l'enfant. La confusion naît aussi de l'instabilité.
Elle apparaît par exemple quand la figure parentale de référence et familière disparaît brutalement et est remplacée par le parent non maternant et/ou agresseur; ou bien, les lieux de vie de l'enfant changent ou alternent trop fréquemment au gré de ses différents foyers et ses rythmes de vie quotidiens sont eux-aussi différents selon ses endroits de vie. Bousculé dans ses habitudes, l''enfant se trouve alors déstabilisé; il a l'air "perdu"; il ne sait plus vers qui se tourner, en qui avoir confiance, qui croire car il n'a plus de points de repères ni psychologiques (plus de figures parentales familières et protectrices), ni physiques (plus de lieux ou de petites habitudes auxquels se raccrocher).
Quand on est en situation de stress permanent et donc dans un état d'angoisse constante, rien n'est plus réconfortant que de retrouver ses petites habitudes, un endroit familier, des choses familières, des figures aimantes; sinon, c'est la confusion totale.

V/ Le sentiment d'insécurité.
Le sentiment d'insécurité, une des manifestations de l'angoisse généralisée, se traduit par le manque de confiance en soi, les peurs intenses ( peur du "noir" à associer aux peurs nocturnes, peur de la mort, peur que "quelque chose" va arriver), les phobies (peurs exacerbées avec conduite d'évitement).
La manque de confiance en soi naît à la fois du climat d'insécurité dans lequel l'enfant maltraité vit et de ce dont il est témoin, les adultes qui l'entourent participant par leur paroles et leurs comportements à ce que l'enfant ne puisse les croire, avoir confiance en eux.
L'enfant ne sait jamais ce qui l'attend quand il a des parents maltraitants et/ou irresponsables. Ce climat fait d'incertitudes  et de souffrances tant en ce qui concerne les situations que les personnes de son entourage, l'enfant va à un moment donné le faire sien. Il intériorise en les faisant siennes brimades, insultes, humiliations et image de parent irresponsable et/ou inadéquat : à son tour, le doute en lui s'installe.
Plus tard, il manquera d'assurance, de réactivité, changera d'avis, le risque étant de devenir un passif-agressif qui n'assume pas ses responsabilités, prompt à projeter sur autrui ce qui ne va pas dans sa propre vie.

VI/ Le blocage émotivo-affectif
Pour se protéger et ne plus avoir à souffrir d'un manque de tendresse et d'affection ou d'un rejet, l'enfant apprend à ne rien ressentir et à ne laisser rien paraître: il semble indifférent, perdu dans son imaginaire et ses pensées.
Cette apparente insensibilité et ce qui semble être une absence d'émotivité mais qui sont de fait les manifestations d'une sensiblité et d'une émotivité cachées font que, aussi bien l'enfant que l'adulte ne parviennent plus au bout d'un temps à exprimer ce qu'ils ressentent en eux: c'est l'alexithymie ou impossibilité de parler de ses émotions et de ses sentiments et même de les identifier tout en ignorant les émotions et sentiments d'autrui.
En annulant ainsi une réalité douloureuse, cette faculté d'annulation risque de se généraliser à tout son entourage. L'enfant ne parviendra que difficilement à avoir des petits camarades, ne pouvant être que rarement spontané avec ses pairs et il ne pourra s'entendre avec eux que de façon sporadique ou exceptionnelle: ce qui s'explique par les attitudes nommées ci-dessous:

 circle12_blue.gif B/ les répercussions sur la relation à autrui étant,
                       -    la méfiance
                       -    la circonspection
                       -    la retenue
                       -    donc, toutes attitudes contribuant à la structuration d'un blocage relationnel, l'enfant ne sachant à quoi s'attendre de la part des personnes adultes (revoir supra sur le repli sur soi et le sentiment d'insécurité).

  circle12_blue.gif C/ Les répercussions dans le développement intellectuel seront  identifiables par des troubles qui surviennent lors des apprentissages.

- Types d'apprentissages chez l'enfant

Il y a deux types d'apprentissage: les apprentissage de base et les apprentissages scolaires.

Les apprentissages de base sont nombreux : motricité,  langage, dextérité manuelle fine, propreté qui va de pair avec les apprentissages sociaux comme prendre soin de son corps, de ses affaires, manger correctement, bien se tenir, être poli. Tous ces apprentissages font appel au contrôle de soi, à la maîtrise des gestes, de la pensée, des envies et des pulsions. Et là, le modèle parental prend toute son importance, toute sa place car, il n'y a pas apprentissage plus indélébile, plus difficile à corriger quand déficitaire ou imparfait que l'empreinte ou modeling [2].
Un enfant qui est soumis à un stress intense et répété, avec des modèles parentaux déficitaires, ne va pas opérer ces différents contrôles sur lui-même comme un enfant élevé sans stress continu par des parents ayant à coeur sa bonne éducation et son bien-être. Dans le premier cas, on voit l'enfant soit régresser, soit présenter un retard dans ses contrôles.
Cette observation est particulièrement pertinente aux moments de l'apprentissage à la parole ou au contrôle des sphincters. Un retard dans le langage peut être observé tout comme un retard dans le contrôle de la micturition et de la défécation. Avec les plus grands, on les voit  régresser et à nouveau faire pipi au lit, caca dans leurs jeans, sucer leur pouce, parler « bébé » ; de propres, ils deviennent sales, ne se lavent plus, ne se brossent plus les dents, n'obéissent plus du tout, ne savent plus dire « merci », « s'il vous plaît », « bonjour » ; ils perdent leurs bonnes manières.

Il en est de même avec les apprentissages scolaires.
En l'absence d'attention et de concentration, la confusion régnant dans leur cerveau, ces enfants plus préoccupés par ce qui leur arrive chez eux ou de ce qui risque de leur arriver à leur retard de l'école et à se laisser aller à phantasmer sur une vie plus agréable que soucieux de leur réussite scolaire, lire, écrire, compter et autres matières à apprendre vont être mises de côté : impossible de mémoriser soit de capter, retenir et  se rappeler ce qui s'est passé en classe. On oublie tout car on ne sait rien et on ne veut rien savoir: s'évader dans un monde imaginaire où l'on refait ce monde tel qu'on le rêve est beaucoup plus gratifiant parce qu'il permet de garder espoir.
Dans les deux cas, apprentissages de base et apprentissages scolaires, pour que ceux-ci aient lieu, il y a nécessité d'exercer son attention et de se concentrer pour bien mémoriser, attention, concentration, mémoire allant de pair; ce qui est difficilement possible quand on sait que les souffrances vont recommencer une fois sorti de l'école.

- Formes que prennent ces troubles dans les apprentissages

Au cours du développement de l'enfant, les difficultés dans les apprentissages apparaissent sous forme de régression, de blocage cognitivo-affectif ou de retard.

On observe une régression quand, après avoir eu lieu, les apprentissages reculent à un stade antérieur dans la vie du jeune enfant (exemple de l'enfant qui a été propre dès l'âge de deux ans et qui se remet à faire pipi au lit à quatre ou cinq ans) ou bien, ces apprentissages sont retardés ou lacunaires (difficultés à apprendre à lire, écrire ou compter alors que le potentiel intellectuel est bien présent) ou, de façon plus drastique, on observe un blocage mental total; l'enfant n'apprend plus, plus rien ne rentre dans son cerveau.

- Expressions de ces troubles d'apprentissage

Ces troubles dans les apprentissages, indices de perturbation intellectuelle, s'expriment par des manques: manque d'attention, absence de concentration, déficits mnémoniques, les trois étant liés car comment mémoriser si on n'est pas attentif et que l'on ne parvient pas à se concentrer. 
Ces manques vont hélas conditionner une bonne partie de la scolarité de l'enfant et peut-être influer sur son avenir socio-professionnel en lui enlevant toute motivation.
Parce qu'il se trouve précisément à ce stade de développement durant lequel toute une gamme d'apprentissages essentiels se met en place, il est impératif que le cerveau de l'enfant soit en condition de disponibilité et donc serein pour apprendre, retenir, mémoriser, mettre à profit ce qu'on lui montre, en le répétant lui-même de mémoire et en pratique car, sans attention ni concentration, point de rétention d'informations ni de rappel.
Pour l'enfant qui subit de mauvais traitements, la sérénité soit l'équilibre émotivo-affectif n'est certes pas au rendez-vous: son cerveau n'estdonc pas disponible à la concentration, à l'écoute, à la mémorisation, et l'envie d'apprendre n'est peut-être pas sa priorité, son souci premier étant plutôt de se protéger; on le comprend.
Il est soucieux, inquiet, déstabilisé, déstructuré, apeuré, angoissé,
  appréhensif au sujet de tout, de sa vie, des autres, du monde alentour. Il préfère se réfugier, cela a été observé supra, dans son monde imaginaire, ses propres phantasmes, occupé qu'il est à se recréer une vie selon ses désirs, ses jeunes aspirations,  puisque cette opération de repli, qui est une conduite d'évitement, le réconforte, le rassure. Alors, les apprentissages n'ont plus de priorité. L'enfant peut finir par les oublier s'ils ont eu lieu et il régresse, soit il stagne à un moment donné de son développement intellectuel, on parle alors d'un blocage cognitivo-affectif ou bien, s'ils ne se font que lentement et de façon lacunaire, on observera un retard.

   circle12_blue.gif D/ Désordres du comportement
Les comportements étant sous la plus grande dépendance des émotions et des pulsions que de la raison quand il s'agit de se faire du bien ou du mal, dans le contexte ici étudié, l'expression physique de l'émotion sera soit contenue, annulée, ou extériorisée tout comme la pulsion qui, dans son expression, sera soit réfreinée, soit éteinte soit agie, dirigée contre soi  ou vers l'extérieur.
Les désordres de la conduite que nous avons observé avec une fréquence variable sont:   
                    -    pleurs, cris, colère        
                    -    acting-out: violences à autrui, fugues, vols, etc.
                    -    auto-agression: se cogner, se frapper violemment, se mutiler (scarification)
                    -    tics et tocs:  rituels et manies (onycophagie, trichotillomanie)
                    -    troubles du comportement alimentaire: anorexie/boulimie/état mixte
                    -    atonie: absence d'expression faciale, regard vide, incapacité de bouger, inertie corporelle
                    -    paralysie faciale, paralysie des membres.
                    -    crises de nerfs: se rouler par terre, apnée, convulsions
                    -    mutisme, bégaiement
                    -    énurésie, défécation, coprophagie
                    -    coprophagie
                    -    suicide ou tentative suicidaire
                    -    phobies (peurs incontrôlables avec conduites d'évitement, ciblées ou généralisées
                         comme agoraphobie et/ou claustrophobie)

blue05_next.gif Nous voyons donc que le stress chronique comme il existe dans la maltraitance de tout type présente le risque de faire apparaître chez l'enfant un déséquilibre psychologique de nature émotivo-affective avec l'ensemble des caractéristiques citées supra, ce déséquilibre émotivo-affectif entraînant lui-même d'une part, soit un retard dans la socialisation, soit la désocialisation si l'enfant avait auparavant eu une bonne relation aux autres et, possiblement, plus tard, un phénomène d'asocialisation quand il y a opposition à la société et à ses règles, parce que le repli sur soi a été favorisé, la peur puis la haine des adultes et de ce qu'ils représentent ayant été alimentées; d'autre part, nous venons de le constater, ce déséquilibre émotivo-affectif entraîne par ses effets sur le psychisme de l'enfant un déséquilibre dans la performance intellectuelle et dans les comportements; nous avons cité la confusion dans le cerveau de l'enfant qui peut entraîner des phénomènes dissociatifs, le manque d'attention et de concentration, tous effets qui, en interférant avec le bon déroulement des processii cognitifs (fonctions intellectuelles comme la réflexion, analyse et synthèse, le jugement, la logique, et la mémorisation et la perception), vont expliquer chez le jeune enfant les troubles dans les apprentissages et les désordres dans les comportements et pour les plus grands, à la fois une chute des notes, des échecs aux contrôles et aux examens, signes en bref de démotivation, de démobilisation du cerveau, ainsi qu'un répertoire de conduites d'orientation asociale ou antisociale.

[1] Sur le sujet de la séparation, à lire l'ouvrage de base Attachement et perte: la séparation, angoisse, colère de John Bowlby; PUF éd, Paris 1978, 2de éd.1994.
[2] Sur les différents types d'apprentissage, à lire  le chapitre sur les conduites d'apprentissage et de mémoire, pp.177-193, dans le tome 2 du traité Neuro-psycho-physiologie de N.Boisacq-Schepens et M.Crommelinck, éd.Masson, Paris,

 De pair avec le déséquilibre psychologique qu'il induit, le stress chronique peut être retenu comme cause d'un dysfonctionnement physiologique.

Enfants en ITEP

Des enfants agressifs, violents, instables, anxieux, souvent inquiétants...
Leurs comportements, déviants, inadaptés, difficiles, sans limites, impulsifs ou mutiques, parfois incompréhensibles...
Leurs troubles d’attention, d’apprentissage, relationnels, toujours préoccupants...
Des enfants en mal de repères, dans l’incapacité de maîtriser, de ressentir, de comprendre des comportements qui pourtant leur appartiennent...
Alors des enfants qui “déboussolent” un entourage ne pouvant souvent répondre qu’à la partie visible d’un iceberg qu’ils leur présentent...

Mais alors qu’est-ce que ces enfants aux (en) troubles du comportement viennent justement “troubler” dans cet entourage ?
Que voile, parfois si obscurément, l’autre partie immergée de cet iceberg (et qui parfois nous amènerait à ne répondre qu’à l’autre partie) ?

Au fil des années passées auprès d’eux, j’éprouve encore plus fortement une forme d’empathie à l’égard de ces enfants, de leurs troubles, d’une souffrance parfois ressentie comme incomprise, abandonnée, oubliée, délaissée, qui m’amène à vouloir toujours plus plonger vers cette face cachée, en quête d’une aide vraie...
J’entrevois alors
“ces instants où l‘autre nous touche, éveille en nous la sympathie, le désir de comprendre ses difficultés et de l‘aider”, peut-être “les instants où vibre en nous une reconnaissance de quelque chose qui nous appartient, que nous éprouvons, qui nous fait ressentir l‘autre”(1) et nous pousse à l’accompagner…

Mais comment pouvoir aider des enfants, dont le comportement, les actes et les paroles (qui les ont amené à un déplacement “socio-scolaire”) peuvent à tout moment être imprévisibles, explosifs, déroutants, dont les caractères sont parfois si changeants, dont la personnalité souvent ambiguë peut mettre les personnes qui les accompagnent dans une position inconfortable ?
Comment s’engager, professionnellement, mais aussi humainement, auprès de ces enfants, sans essayer de profondément les comprendre ?

Éduquer est un «métier impossible» disait Freud !
(2)

Et même si cette affirmation avait été présentée sous forme de boutade (ou peut-être d’une éventuelle provocation à réfléchir ?), c’est à l’impossible que serait tenus tout éducateur au sens large… - Ce, d’autant plus fortement avec des enfants dont la manifestation des troubles «perturbe gravement la socialisation et l’accès aux apprentissages»
(3) et les propulse «dans un processus handicapant»(4).
Et pourtant les ITEP existent - des éducateurs, instituteurs, rééducateurs (…) interviennent et accompagnent chaque jour ces enfants souvent stigmatisés de «difficiles»…
Les actions menées, les projets entrepris, les progressions observées sont alors peut-être, malgré parfois certaines désillusions, autant de choses à évoquer, parler, transmettre pour profondément réhabiliter ces enfants «exclus» dans leur place et vie d’enfant, mais aussi pour faire tomber cette image trop souvent fausse et stéréotypée des ITEP…

                                                                                       Eric FURSTOS






Ainsi, je pourrais déterminer « simplement » les troubles du comportement comme des symptômes qui mettraient en cause les relations de ces enfants avec leur entourage (famille, groupes sociaux, École..).
Ces troubles du comportement seraient alors souvent, soit à l’origine, soit la résultante de retards importants dans les apprentissages scolaires, ainsi que dans les actes de la vie quotidienne.
Mais surtout, les nombreux symptômes manifestés par ces enfants (actes agressifs, colères, mensonges, vols, défenses, replis, inhibition...) ne seraient, en fait, pas si différents de nature que les comportements d’autres enfants considérés comme “normaux”.
C’est leurs persistances au-delà d’un certain seuil (avec souvent un décalage d’âge plus élevé) qui en feraient des signes pathologiques, des manifestations “anormales ou inadaptées”, marquant alors très certainement une absence d’évolution ou une régression du Moi en formation...




Selon Jacques LOISY[26], les enfants TCC se manifestent par leur comportement ne pouvant, ou ne sachant pas verbaliser leurs émotions (difficulté de symbolisation), leur mal-être, du fait de leur jeune âge et/ou de la non capacité d’écoute de leur entourage.
Ils emploient alors, pour s’exprimer, ce qui est à leur disposition, c’est à dire leur comportement.
Ces troubles du comportement chez l’enfant sont donc bien des symptômes à comprendre, les symptômes d’un mal-être, éprouvé par l’enfant, ou le faisant agir dans la répétition (dictée par un possible “retour du refoulé”, ou par une recherche “de non tension” ou d’illusion de satisfaction perdue...).
Il s’agit, pour beaucoup de ces enfants, d’un réel problème d’accès à la symbolisation, dans une incapacité à faire seul la liaison entre les expériences, dans une impossibilité à les signifier (dans le sens du “signifiant” comme représentation dans l’absence par le mot[27]).

Les comportements “inquiétants lorsqu’il sont hors normes sociales - insupportables  lorsqu’il agressent l’autre...” seraient alors, au delà d’être observables par l’entourage,  l’expression d’un mal-être réactionnel à un évènement externe ou interne...”[28].

Cependant, il est important de rajouter que la perception des troubles du comportement est subjective, dans l’interaction de l’environnement socio-culturel, ainsi que du seuil de tolérance individuel de celui qui les observe (façon de les voir, de les comprendre [empathie], de les retranscrire, de les accepter...).

Le comportement et ses troubles doivent donc être considérés comme un message émis par l’enfant : “comprenne qui pourra, comprenne qui voudra...”[29].
Il nous faut alors être amené à considérer ces troubles comme un symptôme à comprendre (à “signifier”) dans une démarche clinique, tout en prenant en compte les circonstances événementielles et contextuelles (pour les troubles dit “réactionnels”), mais aussi et surtout l’histoire, l’anamnèse, ainsi les relations avec l’environnement familial, social, et les interactions réciproques entre le sujet et son environnement...

Ainsi, les signes, les symptômes, qui s’associeront en syndromes évoqueront  certainement un dysfonctionnement, un mal physique ou psychique...
Françoise DOLTO[30] prend l’exemple de l’angoisse qui peut chercher à se libérer dans un symptôme, qui permettra la décharge affective.
Aussi dit-elle que cette traduction pourra être tolérée ou pas par le monde extérieur ou la partie consciente du l’enfant. En cas de répression, l’apaisement ne pourra aboutir, ouvrant à une nouvelle angoisse; à un autre symptôme.
Pour Paul FUSTIER, reprenant les travaux de D. W. WINNICOTT sur “la tendance antisociale”, l’enfant présentant des troubles du comportement peut rappeler inconsciemment “quelque chose d’un lointain passé - pouvant bousculer les obstacles que le monde extérieur lui fait subir, et rétablir une expérience primitive...”[31].
Roger PERRON rajoute que certaines des conduites inadaptées “dérivent très fréquemment d’évolutions et d’intégrations mal réussies, coûteuses, mal équilibrées, mal adaptées aux contraintes du milieu de vie” [32]...


 
 








dimanche 4 décembre 2016

enfants invisibles

Des enfants « invisibles », dans les politiques publiques d’accompagnement du handicap, comme dans celles de protection de l’enfance, car oubliés des systèmes d’information existants, et donc ni quantifiés ni identifiés.

Or selon les estimations retenues au rapport, prudentielles, et qui ne prennent en compte que les handicaps reconnus par les MDPH, 70 000 enfants confiés à l’Aide Sociale à l’Enfance seraient concernés, avec une sensible surreprésentation par rapport à la population générale.
Des enfants qui présentent des situations très hétérogènes : en fonction de la nature et de la lourdeur du handicap : physique, sensoriel, mental, cognitif ou psychique, ainsi que des troubles associés ; en fonction de leurs modalités de prise en charge dans le secteur médico-social et sanitaire comme dans le secteur social : milieu ordinaire ou ouvert, établissement ou famille d’accueil ; en fonction aussi du type de protection, administrative ou judiciaire.
Des enfants doublement vulnérables, qui devraient en toute logique bénéficier d’une double attention et d’une double protection, mais qui vont paradoxalement, parce qu’ils se trouvent à l’intersection de politiques publiques distinctes, être les victimes de l’incapacité à dépasser les cloisonnements institutionnels, l’empilement des dispositifs et la multiplicité des acteurs, ainsi que les différences de cultures professionnelles, notamment autour de la place des parents et du travail avec les familles ; courant, de fait, le risque que se neutralisent les interventions conduites auprès d’eux.
C’est la vocation de notre institution que de pouvoir repérer au travers des saisines les besoins des enfants dans notre pays et les atteintes portées à leurs droits fondamentaux ; c’est aussi une force de s’appuyer sur la transversalité des missions qui nous sont confiées par la Loi organique et la synergie des compétences au service de l’accès aux droits ; c’est enfin la faculté de pouvoir dépasser le traitement individuel pour mettre en évidence les problématiques plus générales, l’objectif étant de proposer des recommandations utiles pour faire évoluer durablement les politiques et les pratiques.
Nous nous appuyons pour ce faire sur les acteurs de la société civile et des institutions avec lesquels nous entretenons un dialogue permanent.

Arthur, 10 ans...
La scolarité d’Arthur a été compliquée dès le cours préparatoire, l’enfant ayant des difficultés d’apprentissage et de concentration de sorte que sa mère a mis en place des suivis psychologique, pédo-psychiatrique et en orthophonie. L’enfant a pu bénéficier des accompagnements en RASED mais les problèmes de comportement ont été progressivement envahissants, empêchant les acquisitions scolaires. Les difficultés ont été de plus en plus prégnantes jusqu’en CM1 où le dialogue entre la mère et l’équipe éducative s’est détérioré alors même que les difficultés d’Arthur augmentaient. Privé de récréation, puis de sorties pédagogiques, ses temps de présence à l’école ont été progressivement réduits, jusqu’à une interruption totale de la scolarisation pendant plus de 6 mois. En dépit des prises en charge mises en place par la mère, l’école a rédigé une information préoccupante, s’interrogeant sur les conditions de prise en charge parentale. Une évaluation du conseil départemental a permis de conclure que, si les troubles du comportement d’Arthur étaient réels, cela ne relevait pas d’une carence familiale. Cette IP a été perçue très violemment de la part de la famille qui était en demande d’aide depuis plusieurs années auprès de l’école. Il est intéressant de noter que l’école n’a préconisé une orientation vers la MDPH que la dernière année de présence de l’enfant. Les parents, démunis, n’avaient pas eu connaissance de ce dispositif auparavant. Le Défenseur des droits a été saisi par la mère d’Arthur.

Lena, 14 ans...
Les parents de Lena viennent d’apprendre que leur fille, adolescente, est évaluée comme schizophrène. Après de nombreuses démarches, ils ont trouvé une structure adaptée pour l’accueillir. Ils expliquent qu’avant de pouvoir obtenir un diagnostic, ils ont consulté un très grand nombre de médecins qui connaissaient peu ou pas du tout le handicap et qui n’ont pas su les orienter sur les démarches à réaliser (saisine MDPH notamment). C’est en utilisant leurs ressources personnelles qu’ils ont réussi à trouver les informations utiles et qu’ils ont rencontré des spécialistes qui ont pu les accompagner dans leurs démarches. Les parents souhaitent apporter leur témoignage au Défenseur des droits sur ce qu’ils qualifient comme « un parcours du combattant ».

Marie, 13 ans...
Marie est hospitalisée depuis près d’un an, en raison de l’impossibilité de trouver un lieu de vie adapté à ses troubles du comportement. L’hôpital souhaite une remobilisation des services de l’aide sociale à l’enfance qui accompagnent l’enfant dans le cadre d’un accueil provisoire. Les équipes de l’ASE sont conscientes que l’hôpital n’est pas un lieu adapté et pérenne pour l’adolescente. Ils assurent ne pas se désengager mais soulignent attendre une stabilisation de l’état de santé de la jeune fille pour trouver une orientation adaptée. Ils précisent être mis en difficulté par des injonctions paradoxales de différents pédopsychiatres : pour certains, Marie doit aller en famille d'accueil, pour d’autres, il ne faut pas privilégier de lien avec une personne en particulier et plutôt rechercher une petite structure. L’ASE a mobilisé une association pour permettre à l’enfant de faire des sorties et à moyen terme trouver une prise en charge globale : établissement médico-social, hôpital de jour, hébergement dans une structure de l’ASE. Une synthèse a été organisée avec tous les acteurs concernée pour permettre une remobilisation de tous autour d’une action coordonnée. Le Défenseur des droits est saisi par les professionnels de l’hôpital.
Avertissement : les situations ont été anonymisées.
..
Roméo, 15 ans...
Roméo a développé des troubles psychotiques depuis deux ou trois ans et la CDAPH l’oriente vers un IME. Sa mère a sollicité une aide du conseil départemental, ne parvenant plus à gérer les comportements violents de son fils, qui a des répercussions sur la fratrie. Il bénéficie donc d’un accueil à l’ASE dans le cadre d’un suivi administratif. Dans l’attente d’une place disponible en IME, l’adolescent est pris en charge de la façon suivante : Lundi : matin en foyer, aprèsmidi au CATTP. Mardi : matin en foyer, aprèsmidi au centre d’équithérapie suivi d’une soirée au domicile. Mercredi : journée au foyer. Jeudi : matinée au centre d’équithérapie, après-midi au CATTP suivi d’une nuit au domicile. Vendredi : Matinée au CATTP, après-midi au foyer. Week-end : foyer ou domicile en alternance une semaine sur deux. En outre Roméo n’est plus scolarisé dans son collège en raison de son état de santé, qui implique des hospitalisations régulières en service hospitalier spécialisé. S’il bénéficie de cours lorsqu’il est hospitalisé, seules quelques heures de français et de mathématiques lui sont dispensées par son éducateur au foyer. De son côté, le collège n’envisage pas de pouvoir accueillir Roméo, en raison de son caractère potentiellement violent envers ses camarades et ses professeurs. Le Défenseur des droits a été saisi par la mère de Roméo concernant l’absence de prise en charge dans un établissement spécialisé.

Anne-Laure, 10 ans...
Anne Laure souffre de troubles du comportement et présente des traits autistiques. La MDPH a notifié une orientation en IME en 2011, confirmée en 2012. Toutefois, depuis l’âge de cinq ans, la petite fille est déscolarisée, aucune structure ne l’ayant accueillie, soit par manque de place, soit du fait de sa pathologie. Ainsi, l’enfant étant totalement dépendante de sa famille, sa mère a dû aménager son temps de travail pour la surveiller continuellement à domicile. En son absence, ce sont ses frères aînés qui s’occupent d’elle. La famille évolue dans un climat d’inquiétude et de désarroi quotidien. A titre d’exemple, Anne Laure a été hospitalisée à la suite d’une défenestration : elle avait vu des camarades jouer dans la cour et elle avait sauté.
Une mesure d’assistance éducative à domicile a pu se mettre en place pendant quelques mois, mais la présentation de la situation d’Anne Laure en commission des cas critiques n’a pas permis d’apporter une solution pérenne. En effet, l’orientation vers un ITEP de façon partielle, accompagnée d’une prise en charge en hôpital de jour, a été un échec, la MDPH déplorant l’absence d’une prise en charge complète, le volet sanitaire des recommandations de la commission n’ayant pas pu se mettre en place. Le Défenseur des droits a été saisi par les parents.

1 -  Enfants handicapés et protection de l’enfance :
des enfants invisibles Le constat est sévère et convergent : la première difficulté rencontrée lorsque l’on s’intéresse aux enfants en situation de handicap à l’Aide sociale à l’enfance est celle de disposer d’une connaissance juste et précise de ces enfants. En d’autres termes, de répondre à la question : « qui sont-ils ? ». Ce même constat est régulièrement porté, depuis plusieurs années, concernant plus largement les publics relevant de la protection de l’enfance. Ainsi, la Cour des comptes notait dans son rapport de 2009 que « l’information statistique et l’analyse des données sont, en effet, indispensables au pilotage de toute politique sociale, qui doit pouvoir s’appuyer sur des données objectives et évaluées plutôt que sur des représentations ou des impressions. Cette nécessité est encore plus évidente lorsqu’il s’agit de politiques qui reposent sur une pluralité d’acteurs, telles que la protection de l’enfance ».1 Ce, d’autant plus que la double référence de ces enfants à la fois aux politiques de protection de l’enfance et à celles d’accompagnement du handicap multiplie de manière significative le nombre d’acteurs et de dispositifs appelés à intervenir auprès d’eux. Aussi, ces enfants apparaissent-ils comme « des enfants invisibles », oubliés à la fois des politiques d’accompagnement du handicap et de protection de l’enfance. Les effets de cette situation sont extrêmement délétères : une insuffisante prise en considération des réalités auxquelles ils sont confrontés et des difficultés rencontrées par les familles et les professionnels pour mettre en œuvre des accompagnements et des soutiens adaptés à leurs besoins. Et pourtant, les estimations auxquelles nous avons pu procéder pour préparer le rapport montrent que les enfants concernés sont en nombre important avec une prévalence de handicaps reconnus très largement supérieure à celle de la population générale. L’enjeu est bien d’élaborer des politiques publiques pertinentes et de faire évoluer les pratiques de manière adaptée et efficace en fonction de l’évaluation des besoins. L’expression anglaise « no data, no problem » est, de ce point de vue, explicite.
1.1 -  Un manque de données fiabilisées et globales, aussi bien quantitatives que qualitatives
Nous ne disposons pas aujourd’hui d’une connaissance à la fois précise et globale de la situation des enfants dans notre pays et notamment des enfants suivis en protection de l’enfance. Le système actuel de remontées de données confié depuis 2007 à l’Observatoire national de l’enfance en danger (ONED) peine en effet à se mettre effectivement en place sur l’ensemble du territoire national, et les estimations dans le rapport remis annuellement au Parlement restent insuffisamment détaillées. C’est d’ailleurs deux des recommandations prioritaires du rapport d’appréciation remis en février 2015 au Comité des droits de l’enfant de l’ONU dans la perspective de l’audition prochaine de la France par ledit comité, à savoir « poursuivre les efforts engagés et dégager les moyens nécessaires afin de finaliser dans les plus brefs délais la mise en place du système de recueil centralisé des données sur les enfants en danger » et « fixer comme priorité la consolidation au plan national de l’ensemble des informations portant sur chacun des droits des enfants inscrits dans la convention ». Le rapport sénatorial DINI-MEUNIER de juin 2014 dresse un constat tout à fait similaire, soulignant une grande hétérogénéité des informations disponibles et une dispersion des sources. Le rapport note aussi la nécessité de travaux permettant d’approfondir les connaissances sur la protection de l’enfance en encourageant, notamment, la réalisation d’études épidémiologiques prospectives sur « les nettes évolutions qui caractérisent la population des enfants protégés ». Il relève que, « outre la montée des situations de précarité, voire de pauvreté, les services de l’ASE sont davantage confrontés qu’auparavant à des enfants « à grosses difficultés » (handicaps, troubles psychiques ou psychiatriques, violences), dont la prise en charge s’avère plus complexe »2.

Rapport 2015 I  Handicap et protection de l'enfance :
des droits pour des enfants invisibles
Le rapport note que, dans certaines études locales, 13 % des enfants de l’ASE seraient bénéficiaires d’une orientation MDPH, contre une prévalence de 1 % pour les autres mineurs du département. Le rapport IGAS-IGF de 2012 sur « les établissements et services pour personnes handicapées : offre, besoins, modalités de financement » mettait en évidence également la difficulté permanente à conduire une politique cohérente en raison d’un manque de connaissance précise des publics relevant du handicap. Le rapport recommandait, notamment, une meilleure visibilité sur la gestion des listes d’attente et des places disponibles et préconisait, plus généralement, une meilleure articulation de la MDPH et des établissements et structures médico-sociaux dans l’évaluation des situations, conciliant la décision administrative et la liberté des établissements et structures médico-sociaux. Aussi, l’IGAS et l’IGF soulignaient-elles déjà l’importance de la généralisation d’un système d’échanges de données harmonisées entre les établissements et structures médico-sociaux et les MDPH. Ce manque de données était également souligné dans le rapport Piveteau de 2014 « Zéro sans solution » auquel le Défenseur des droits a été étroitement associé. Cette constatation concerne précisément les enfants handicapés pris en charge à l’ASE. En conséquence, seules sont disponibles des estimations fondées sur des études locales, limitées à quelques territoires. Ainsi, une étude épidémiologique récente publiée aux Archives de Pédiatrie a pris la mesure des problèmes d’accès aux soins des enfants pris en charge par l’ASE bénéficiant d’une reconnaissance MDPH dans le département des Bouches-du-Rhône2 bis. Cette étude note que les notifications seraient 7 fois plus importantes pour les enfants de l’ASE avec une prévalence de 17 % contre 2,5  % pour la population générale. Ce chiffre est cohérent avec les estimations du présent rapport (voir infra). 50 % des notifications MDPH concernent une orientation vers un ESMS ; 35,9 % concernent des déficiences du psychisme et 71 % des troubles mentaux et du comportement. 30,6 % des enfants relèvent de l’accueil familial, contre 48 % pour les MECS. Cette étude note en particulier que « les enfants présentant des troubles du comportement étaient en général plus âgés et placés en foyer ». En conséquence, l’ASE se retrouve à accueillir des enfants avec les déficiences et pathologies les plus lourdes dans le cadre de structures qui ne sont pas adaptées à leur prise en charge et peu médicalisées. En outre, l’étude constate que « les informations médicales concernant les enfants placés semblent difficiles d’accès : le manque de suivi, de continuité des soins, les changements fréquents de lieu de vie et les difficultés de communication avec l’entourage entraînent une importante perte d’information ». Par ailleurs, l’ONED dans son appel d’offres de 2010 proposait d’investiguer la question de la santé des enfants accueillis. Cet appel d’offre a conduit à la publication de deux études locales, l’une concernant le département de Haute-Savoie3 et l’autre le département de Loire-Atlantique4. Ces deux rapports ont notamment permis de faire émerger le constat d’une prévalence importante d’enfants bénéficiant d’une reconnaissance MDPH à l’ASE de 21 à 26  %. Le taux de prévalence plus élevé interroge surtout en regard des très faibles possibilités d’identification de la population des enfants pris en charge par l’ASE bénéficiant d’une orientation MDPH. Cela a donc fait l’objet d’une interrogation dans le questionnaire transmis aux départements.
1.1.1- Des données disponibles dispersées, peu fiables et incomplètes. Les données, lorsqu’elles sont disponibles, sont incomplètes pour repérer les enfants relevant de l’ASE et en situation de handicap, soit directement, soit indirectement par un croisement de données disponibles, avec un double manque : – un manque de données au niveau macroscopique : les difficultés de remontées des informations à l’ONED ou à la DREES en raison, notamment, de la nécessité d’avoir au préalable obtenu une autorisation en ce sens de la CNIL ; – un manque de données au niveau microscopique : difficultés d’échange d’informations entre les acteurs locaux en raison, notamment, des conditions tenant au partage d’informations en protection de l’enfance et dans le champ du handicap.

Focus :  les enfants porteurs de handicap psychique : une population aux contours flous
L’émergence des questions liées au handicap psychique fait suite à leur reconnaissance par la loi du 11 février 2005 qui précise que certaines personnes peuvent être handicapées en raison de leur psychisme. La distinction du handicap mental et du handicap psychique est récente puisqu’elle a été mise en lumière par le rapport Charzat de 2002 6. L’ANESM précise, dans sa lettre de cadrage de 2014, qu’il n’existe aucune définition partagée du handicap psychique, « un terme dont l’usage et l’acception sont très variés et la littérature fait état d’un flou conceptuel sur la notion ». Le handicap psychique désignerait la conséquence sociale de troubles psychiques. Or, « malgré l’absence de définition partagée du handicap psychique, il existe un consensus sur les limitations de participation sociale entrainées par les troubles : isolement et rupture du lien social dans la vie relationnelle, difficultés dans la vie quotidienne et courante, dans le maintien ou l’accès à l’emploi et à l’habitat ».

Enfants handicapés et protection de l’enfance : des enfants invisibles I
Selon le rapport du Conseil national consultatif des personnes handicapées (CNCPH) de 2012 7, la grande variabilité des troubles et des besoins rend ces personnes particulièrement vulnérables surtout dans la continuité de la prise en charge : « pour cette raison, la concertation dans la prise en charge de la personne et dans l’élaboration de son parcours est capitale, quel que soit son âge ». Dans le cas des enfants, l’approche globale de la situation de l’enfant dans sa famille et le respect du rôle et de la place des parents sont essentiels. Cette question a fait l’objet d’un rapport de l’IGAS en 2011 8 qui note la très grande difficulté à appréhender la réalité de ce handicap dont les données renvoient à des pathologies psychiques très diverses qui ne sont pas forcément handicapantes. S’il est délicat de distinguer la pathologie du processus handicapant, ces éléments viennent complexifier la prise en charge. Aussi, la connaissance des troubles psychiques ne permet pas de connaître la prévalence du handicap. L’ANESM rappelle que le handicap psychique se distingue du handicap mental par quatre éléments : le caractère évolutif et variable des troubles, une absence de déficience intellectuelle, l’origine des troubles (maladies psychiques nécessitant une médicalisation), l’âge de la personne lors de l’apparition des troubles. L’ANESM précise que la liste des troubles à l’origine du processus handicapant ne fait pas l’objet de consensus chez les professionnels : la liste ne recoupe pas les classifications internationales des troubles mentaux et elle varie selon les acteurs. Le seul consensus existant résiderait autour de la schizophrénie et des troubles bipolaires graves. Cinq éléments principaux d’évaluation sont prévus par le guide des éligibilités édités par la CNSA s’agissant du handicap psychique de l’enfant :  – la conscience et les capacités intellectuelles ; – les capacités relationnelles et les comportements ; – la communication ; – les conduites et actes élémentaires dans la vie quotidienne ; – la capacité générale d’autonomie et de socialisation. Le CNCPH rappelle les difficultés pour ces personnes à demander une aide spécifique. En regard de la variabilité des besoins, la coordination des acteurs, une fois encore, est particulièrement déterminante. Le CNCPH souligne que, dans le cas de l’enfant, « la sévérité du handicap psychique dépend en partie de la précocité avec laquelle il est détecté. Il est donc nécessaire d’avoir des interventions précoces, sans attendre un diagnostic ». Selon l’IGAS, « plus que pour d’autres handicaps, les personnes souffrant de troubles psychiques ont un besoin essentiel d’accompagnement de proximité et au quotidien ». La coordination entre les acteurs de la santé mentale et du handicap psychique est prévue par la loi n° 2009-879 du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, mais elle serait très inégale, de même que le suivi des décisions des CDAPH. Il est dommageable de relever que « les partenariats entre structures locales de prise en charge se caractérisent par leur hétérogénéité, reflet des disparités locales, et des engagements personnels ». Or, la bonne prise en charge de l’enfant ne doit pas tenir au seul intuitu personae entre les acteurs du secteur, surtout lorsque l’enfant relève du dispositif de protection de l’enfance. Elle doit assurer une palette de réponses globales et « l’importance des réseaux, en particulier ceux qui assurent le lien entre le sanitaire, le médicosocial et le social, n’est plus à démontrer, car ils sécurisent les conditions de l’accueil des personnes handicapées psychiques. Il en est de même des structures alternatives à l’hospitalisation, des équipes d’intervention de crise qui permettent de traiter précocement et d’éviter si possible le recours à l’hospitalisation. Il est nécessaire de consolider l’existence de ces partenariats dans toute contractualisation avec les financeurs » (IGAS, p. 10).

Alexandre, 9 ans et Benjamin, 12 ans et demi... Décision MDE-MSP-2013-252 : Le Défenseur des droits s’est saisi d’office de la situation d’Alexandre et Benjamin, ce dernier s’étant présenté au commissariat pour dénoncer des violences intrafamiliales. Dans le cadre de l’investigation de la situation de cette fratrie, suivie par les services de protection de l’enfance depuis plusieurs années, l’instruction a permis de constater que dès juin 2012, les services avaient sollicité leur service de placement familial spécialisé afin de trouver une place adaptée aux difficultés comportementales de Benjamin. Le magistrat avait prononcé son placement une première fois en septembre 2012, confirmé en janvier 2013. Les professionnels ne souhaitaient pas que le placement se fasse en urgence, ce qui aurait impliqué un passage des enfants par un foyer d’urgence de l’ASE, alors qu’une recherche sur un lieu pédagogique et thérapeutique était en cours. Toutefois, ces précautions n’ont pas permis de trouver de solution de placement adapté aux profils des enfants en raison d’une pénurie de l’offre et n’ont, au final, pas évité ce placement en urgence que les professionnels ont cherché à éviter, issue préjudiciable à l’intérêt des enfants. Ils ont alors été accueillis dans un foyer de l’ASE.

2 -  Enfants handicapés et protection de l’enfance :
des enfants doublement vulnérables L’annonce du handicap de l’enfant constitue, en toute hypothèse, un moment de profond bouleversement pour la famille et, de ce fait, un risque d’extrême vulnérabilité pour l’enfant. Ce moment charnière doit donc être accompagné aussi humainement que possible afin de répondre aux besoins de compréhension et de soutien des parents ainsi qu’aux sentiments d’impuissance voire d’injustice qu’ils vont ressentir. Il doit aussi être accompagné de manière intensive et rapide, sous peine de conduire à un déséquilibre de la relation parents-enfant et de fragiliser durablement la famille, notamment par des mesures de prévention adaptées. Mais la famille peut aussi connaître une pluralité de difficultés (économiques, sociales, éducatives), qui vont justifier le recours à une mesure de protection de l’enfance avec, là aussi, une situation de vulnérabilité de l’enfant, laquelle peut être accompagnée par des mesures de prévention adaptées. C’est bien à cette double vulnérabilité de l’enfant, liée au diagnostic du handicap comme au constat de défaillances du milieu familial, qu’il s’agit de répondre par des mesures de prévention et/ou de protection de l’enfance, adaptées. La prévention des situations de fragilisation éventuelles ou avérées des familles était l’un des objectifs principaux de la loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance. Ainsi, son article 1er modifiant l’article L. 112-3 du CASF a proposé une définition de la protection de l’enfance : « La protection de l'enfance a pour but de prévenir les difficultés auxquelles les parents peuvent être confrontés dans l'exercice de leurs responsabilités éducatives, d'accompagner les familles et d'assurer, le cas échéant, selon des modalités adaptées à leurs besoins, une prise en charge partielle ou totale des mineurs. Elle comporte à cet effet un ensemble d'interventions en faveur de ceux-ci et de leurs parents. » Dans chacune de ces situations, un soutien adapté aux parents peut permettre de répondre à cette double vulnérabilité de l’enfant par des mesures conformes à son intérêt supérieur. Si la prévention des situations de fragilisation des familles est dans tous les cas déterminante, cela se vérifie d’autant plus pour les enfants en situation de handicap en protection de l’enfance.

2.1 - La vulnérabilité liée à l’entrée dans le monde du handicap
La question du handicap reste encore trop souvent difficile à appréhender tant par les enfants, les familles que par certains professionnels. L’entrée dans le monde du handicap peut donc représenter une source potentielle de vulnérabilité pour l’enfant en raison des conditions de cette entrée, comme par exemple de la tardiveté d’un diagnostic, retardant alors une prise en charge adaptée. Hélène Romano, psycho-clinicienne, distingue un traumatisme primaire direct lors de l’annonce du handicap (le diagnostic, la crainte de la douleur et de la mort de l’enfant, les représentations) et un traumatisme secondaire lié à l’histoire individuelle et familiale. Plusieurs modalités principales d’expression de la souffrance psychique des parents peuvent être distinguées : l’altération du sentiment d’appartenance à la norme, l’expression d’un sentiment d’arbitraire et d’impuissance, ou encore la culpabilité. Les réactions des parents à l’annonce du handicap de l’enfant sont très variables et sont liées à la singularité des parcours individuels de chacun, comme de l’histoire familiale. Plusieurs réactions ont été mises en évidence : – l’angoisse parentale (qui conduit soit à une surprotection étouffante, soit à une permissivité excessive et la dépendance de l’enfant à l’égard des parents peut conduire à des retards de développement, voire un sur-handicap) ; – la dépression parentale (qui peut conduire à une forme de démission des parents où les parents ne sont plus en capacité de répondre aux besoins de l’enfant, le rejet – inconscient – de l’enfant, etc.) ; – l’agressivité parentale (à l’égard de l’enfant, de l’autre parent, comme des intervenants) ; – la culpabilité parentale.
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Pour sa part, Maurice Ringler, psychologue, souligne la « très grande dépendance de l’enfant vis-à-vis de la représentation que ses parents se font de lui » 10, notamment en regard du traumatisme vécu lors de la naissance et de la culpabilité des parents face au handicap. En effet, ce sont bien deux réalités qui viennent structurer l’expérience pour les familles de l’arrivée de l’enfant : l’aspect physique, notamment, de la déficience est associé aux émotions suscitées par le handicap. Aussi, « en nourrissant une image déréelle ou tronquée de leur enfant, c’est-à-dire en déniant le handicap, ou à l’inverse en le surdéterminant, ils impriment dans l’organisation générale de sa personnalité un déséquilibre qui peut se révéler dangereux avec le temps » 11. En somme, l’enjeu est que l’enfant n’intègre pas cette représentation d’être un « mauvais objet » pour les familles, « un objet qui fait du mal à ses parents » 12, et en particulier dans le travail de deuil de « l’enfant idéal » qui correspondrait, selon les auteurs, à une blessure narcissique desparents. Le lien d’attachement est rendu délicat puisque, dans la représentation sociale du handicap qui le rejette encore souvent dans l’anormalité, l’enfant porteur de handicap ne sert pas les parents « dans la représentation idéale d’eux-mêmes et du monde » 13, allant jusqu’à psychologiquement tenter de disparaître de la vie de sa famille, ce que Ringler qualifie de « suicide existentiel ». De sorte que « la circulation des fantasmes et des affects au sein de la famille ne peut plus s’effectuer tout à fait naturellement » 14. En conséquence, « la rencontre entre l’enfant et ses parents est alors mise à mal et la coconstruction du lien parents-enfant peut être en souffrance » 15. L’absence de dispositifs efficients de prévention précoce et d’une prise en charge en réseaux semble accentuer les vulnérabilités des familles concernées, notamment lorsqu’elles connaissent des fragilités multiples (fragilités économiques, sociales, différences culturelles…). Il existe là un enjeu majeur de la prévention puisque vont alors se poser les difficultés d’articulations entre le secteur du handicap et de la protection de l’enfance au travers de la méconnaissance et donc du non actionnement par les professionnels des dispositifs existants. À cela s’ajoute le fait que les acteurs de la prévention sont nombreux et qu’ils interviennent dans des champs distincts : social, sanitaire, médico-social. Leurs approches des difficultés de l’enfant handicapé sont différentes et il apparait qu’ils croisent encore trop peu leur regard dans l’intérêt de ce dernier. Aussi, les bouleversements de la famille liés à l’entrée dans le monde du handicap résultent tant de l’absence d’un dispositif adapté d’annonce du handicap que de l’absence d’un système coordonné d’annonce et de prise en charge rapide, globale et bienveillante.

2.1.1 - L’absence de dispositif adapté d’annonce du handicap
Dimitri 7 ans... Dimitri a été abandonné dans un centre hospitalier depuis plus d’un an. Des contacts auprès des médecins et de l’association ont permis de rassembler les éléments suivants : Dimitri a été confié à son oncle, sans délégation d’autorité parentale. Il aurait vécu à son domicile pendant un an puis l’oncle aurait amené son neveu à l’hôpital (qui ne dispose pas de l’état civil de Dimitri) et s’en serait désintéressé. Rapidement, l’hôpital semble évoquer la nécessité de faire un signalement auprès du procureur et de l’ASE en raison de l’absence de contact avec l’oncle. L’hôpital a saisi plusieurs fois le parquet et la CRIP mais il semblerait que le placement ne se fasse pas en l’absence d’une famille d’accueil qui pourrait prendre en charge Dimitri. L’hôpital s’occupe donc actuellement de Dimitri. Il ne parle pas, est souriant, a un bon contact avec les autres enfants. Il est déplacé en fauteuil roulant. Il est alimenté normalement. Il n’est pas scolarisé. Il n’y a aucune raison médicale à son maintien à l’hôpital puisqu’il ne bénéficie pas de prise en charge particulière sur le plan médical (présence problématique en raison de la pénurie de lits).
Enfants handicapés et protection de l’enfance : des enfants doublement vulnérables I

Par ailleurs, en l’absence de représentant légal, aucune demande MDPH n’a été faite. L’ASE a confirmé auprès du Défenseur des droits ne pas donner suite aux OPP en l’absence de solution de prise en charge au sein d’une famille d’accueil, aucune n’étant formée à la prise en charge d’un enfant handicapé. Cette situation est actuellement en cours de traitement. Le Défenseur des droits a été saisi par une association.

Focus : syndrome d’alcoolisation fœtale (SAF)  (contribution de SAF France)
L’exposition prénatale à l’alcool est la première cause de handicap mental non génétique chez l’enfant. Le SAF illustre toute l’importance de la mission de prévention précoce de la PMI en matière de handicap, notamment, dans le cas de familles à vulnérabilités multiples, mais, également, les problèmes liés à un mauvais diagnostic, voire à l’absence de diagnostic. Ces troubles causés par l’alcoolisation fœtale (TCAF) seraient évitables par une prévention adaptée et la constitution d’un travail en réseau des acteurs. Les TCAF comprennent le SAF (partiel, complet), la mort in utero et les troubles neuro-développementaux liés à l’alcool (TNDA). La prévalence de ces TCAF est estimée à 10 ‰ et à 1 ‰ pour le SAF complet. La cause de ces troubles réside dans la consommation d’alcool par la femme enceinte. Cela est le critère prévalent devant le génome maternel et fœtal et les facteurs socio-économiques, qui vont, toutefois, se cumuler. Les familles fragilisées économiquement et socialement sont davantage sujettes au SAF. Or, la consommation d’alcool est rarement évoquée lors de l’entretien prénatal précoce et ces TCAF sont très mal diagnostiqués : il s’agit de « penser à une exposition in utero devant .

2.2.3 -  Les situations génératrices d’un danger ou d’un risque de danger pour l’enfant
Anne-Laure 10 ans... Anne-Laure souffre de troubles du comportement et présente des traits autistiques. La MDPH a notifié une orientation en IME en 2011, confirmée en 2012. Toutefois, depuis l’âge de 5 ans, la petite fille est déscolarisée, aucune structure ne l’ayant accueillie, soit par manque de place, soit du fait de sa pathologie. Ainsi, l’enfant étant totalement dépendante de sa famille, sa mère a dû aménager son temps de travail pour la surveiller continuellement à domicile. En son absence, ce sont ses frères aînés qui s’occupent d’elle. La famille évolue dans un climat d’inquiétude et de désarroi quotidien. A titre d’exemple, Anne-Laure a été hospitalisée à la suite d’une défenestration : elle avait vu des camarades jouer dans la cour et elle avait sauté. Une mesure d’assistance éducative à domicile a pu se mettre en place pendant quelques mois, mais la présentation de la situation d’Anne-Laure en commission des « situations critiques » n’a pas permis d’apporter une solution pérenne. En effet, l’orientation vers un ITEP de façon partielle, accompagnée d’une prise en charge en hôpital de jour, a été un échec, la MDPH déplorant l’absence d’une prise en charge complète, le volet sanitaire des recommandations de la commission n’ayant pas pu se mettre en place.

Les conseils départementaux, à travers leurs réponses aux questionnaires adressés par le Défenseur des droits, précisent que ce n’est pas le handicap en tant que tel qui est un facteur d’entrée dans le dispositif, mais qu’il peut l’être ou le devenir en raison de la fragilisation de la cellule familiale subséquente au diagnostic du handicap de l’enfant, s’intégrant alors dans une problématique plus large liée aux difficultés éducatives. Selon les conseils départementaux, trois raisons principales viendraient faire participer le handicap de l’enfant à l’entrée dans le dispositif : une fragilisation de la famille, un danger tenant à des orientations inadaptées ou trop tardives des MDPH, ou, enfin, à des carences institutionnelles.

2.2.3.2 - Danger tenant à des orientations tardives ou inadaptées par la MDPH Au cours des travaux préparatoires, il a été constaté que de nombreux enfants en situation de handicap se trouvaient aujourd’hui, en l’absence de réponses adaptées à leurs besoins de compensation en termes d’accompagnement en établissement ou service médicosocial, contraints de rester à domicile à la charge de leur famille, parfois au risque de mettre en cause l’intégrité et la sécurité de leur entourage et se voient ainsi privés de certains de leurs droits fondamentaux comme le droit à des soins adaptés ou le droit à l’instruction.

Focus : les maisons départementales des personnes handicapées (MDPH)
Les MPDH ont été créées par la loi n°2005-102 du 11 février pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées. Elles exercent une mission d’accueil, d’information, d’accompagnement et de conseil des personnes en situation de handicap et de leurs proches. Elles sont compétentes pour évaluer les besoins de compensation, se prononcer sur l’orientation de la personne handicapée et les mesures propres à assurer son insertion scolaire, ou professionnelle et sociale, décider de l’attribution des droits et prestations spécifiques. Pour les enfants, la MDPH est saisie directement par les parents50 ou par le titulaire de l’autorité parentale.
Enfants handicapés et protection de l’enfance : des enfants doublement vulnérables I

L’évaluation des besoins de compensation est faite par l’équipe pluridisciplinaire51 sur la base d’un guide d’évaluation des besoins des personnes handicapées (GEVA) ou GEVA-Sco s’agissant des besoins en matière de scolarisation. Celle-ci va proposer un plan personnalisé de compensation (PPC)52. Ce plan comporte un volet dédié au projet de scolarisation et un volet dédié au projet de professionnalisation. Le PPC est transmis à la Commission des droits et de l’autonomie des personnes handicapées (CDAPH), compétente pour décider de l’ensemble des droits relatifs à la personne53 sur la base de ce plan et des souhaits de la personne ou de son représentant légal54, et notamment : l’orientation de la personne et les mesures propres à assurer son insertion ; désigner les services et établissements qui vont répondre aux besoins de l’enfant ; apprécier si le taux d’incapacité de l’enfant justifie l’attribution d’une allocation d’éducation de l’enfant handicapé (AEEH) et ses compléments ; d’une éventuelle prestation de compensation du handicap (PCH)55. « Lorsqu'elle se prononce sur l'orientation de la personne handicapée et lorsqu'elle désigne les établissements ou services susceptibles de l'accueillir, la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées est tenue de proposer à la personne handicapée ou, le cas échéant, à ses parents ou à son représentant légal un choix entre plusieurs solutions adaptées. (…) À titre exceptionnel, la commission peut désigner un seul établissement ou service. »
La décision prise par la CDAPH est motivée et va indiquer la réponse à la demande, la durée d’attribution, la nature et le montant des prestations. Elle est opposable aux service et établissement mentionnés dans sa décision « dans la limite de la spécialité au titre de laquelle il a été autorisé ou agréé ». En outre, « l'établissement ou le service ne peut mettre fin, de sa propre initiative, à l'accompagnement sans décision préalable de la commission ». Il n’est donc pas possible d’exclure directement un enfant sans saisine préalable de la CDAPH.
L’absence de réponse adaptée au handicap peut générer des difficultés qui peuvent conduire à la mobilisation du dispositif de protection de l’enfance : soit à la demande des parents, soit en raison d’une IP ou d’un signalement. Les variations territoriales sont toutefois importantes s’agissant notamment des décisions d’orientations des MDPH et l’effectivité de ces orientations. Les reconnaissances de handicap et l'effectivité des décisions d’orientations de la CDAPH qui en découlent peuvent être inadaptées ou tardives pour certains enfants. La tardiveté éventuelle de l’orientation peut venir d’une absence de diagnostic ou d’information des parents, des relais de prévention qui ont peu joué leur rôle de repérage ou d’un déni du handicap de l’enfant au sein de la famille. Plusieurs cas faisant apparaître une inadéquation entre les décisions d’orientation prises par les CDAPH et les possibilités d’accueil offertes par les établissements56 ont pu être observées au cours des travaux préparatoires : orientations non conformes aux agréments des structures (type de handicap ou âge de la personne accueillie), ou refus de la part des structures désignées de prendre en charge l’enfant car celui-ci ne correspondrait pas au « profil » de l’établissement ne disposant pas d’encadrement suffisant. La réponse éducative étant parcellaire, voire absente, celle-ci pourra conduire à des situations de danger de l’enfant ou de ruptures de parcours. Par ailleurs, les notifications peuvent ne porter que sur des temps trop courts ou concerner des structures médico-sociales ne permettant pas le maintien de la relation enfantsparents (c’est notamment le cas pour les enfants qui sont orientés en Belgique, par les départements ou à l’initiative des parents, faute de places disponibles en France). Dans sa contribution de 2013 à la préparation du rapport Piveteau « Zéro sans solution », le Défenseur des droits indiquait que ces défaillances s’expliquaient, notamment, par l’absence de visibilité des CDAPH sur l’offre institutionnelle susceptible de répondre aux besoins des enfants qu’elles sont chargées d’orienter. Il n’existe, en effet, à ce jour aucun outil d’information sur l’offre en établissements et services existants afin de permettre aux MDPH de connaître avec précision, pour chaque structure, les possibilités d’accueil. Par ailleurs, les MDPH ne disposent pas de données fiables quant aux suites données à leurs décisions d’orientation. L’obligation à la charge des établissements et structures d’informer la MDPH (article L. 146-36 du CASF), n’est pas toujours respectée.
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56 I Le Défenseur des droits
Des réponses partielles à ces constats sont inscrites dans le projet de loi relatif à l’adaptation de la société au vieillissement et dans le projet de loi relatif à la santé, mais devront trouver une application effective dans les meilleurs délais. Il convient également de noter que, dans le cadre de la notification obtenue, les parents sont les principaux acteurs de cette recherche d’établissement et se voient alors confrontés à des refus, sans pour autant être suffisamment accompagnés dans ces démarches. Pourtant, la MDPH est chargée d’apporter aux personnes l’aide nécessaire à la mise en œuvre des décisions prises par la CDAPH57. Or, faute de moyens dédiés à cet accompagnement, les MDPH sont, en réalité, dans l’impossibilité d’assurer le suivi et l’accompagnement des familles dans la mise en œuvre des décisions d’orientation prises par la CDAPH, fragilisant d’autant plus ces familles. Cet isolement des familles face à des orientations MDPH non effectives est particulièrement préjudiciable puisque des familles déjà fragilisées peuvent l’être encore davantage conduisant à une situation de danger pour l’enfant.


La pénurie en pédopsychiatrie Cette problématique, récurrente, nécessiterait à elle seule un développement beaucoup plus important, mais déborderait l’objet du présent rapport. On se contentera de souligner ici que la pénurie en pédopsychiatrie peut entraîner des défauts de prise en charge, des prises en charge inadaptées, l’absence de diagnostics ou des diagnostics erronés. Le nombre de lits en pédopsychiatrie est réduit, ce qui peut, par ailleurs, limiter la possibilité de mettre en place un soutien adapté aux « aidants familiaux » (les parents et la fratrie). Sans possibilité de répit dans les situations particulièrement lourdes et complexes, comment tenir à distance et prévenir les troubles du lien d’attachement ? Pour pallier la défaillance en pédopsychiatrie, les ARS ont mis en place des équipes mobiles ou des plateaux techniques, mais ils sont encore peu nombreux. De même, les départements ont mis en place des protocoles ou des commissions de partenaires afin de répondre aux troubles psychiques manifestés par les enfants, ou pour assurer un suivi plus général de leur santé psychique.

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La nature des ESMS suscite de nombreux débats tant leur nature juridique serait indéterminée. En effet, « la démarche de qualification juridique de l’équipement est importante pour ne pas faire d’erreur sur "l’autorité compétente" et sur la législation à appliquer »59, notamment lorsque les structures hébergent des personnes relevant d’autorités distinctes. La difficulté provient, également, des différences de logiques entre celles de prestations médicales et de soin, pour le sanitaire, et celles d’hébergement et de prises en charge adaptées, pour le social. Le premier relève du Code de la santé publique, le second du Code de l’action sociale et des familles. Or, le médico-social « doit combiner et aménager de concert le soin et l’aménagement social que la législation antérieure séparait et confiait à deux ensembles institutionnels juridiquement distincts. »60 L’article L. 311-1 du CASF vient définir ce qu’il faut entendre par action sociale et médicosociale61, et, l’article L. 312-1 du CASF vient faire la liste de ces ESMS62. Ces établissements couvrent différentes catégories d’interventions. S’agissant de la prévention, le dépistage et l’accompagnement précoce pour les enfants, on retrouve les centres d’action médicosociale précoce (CAMSP), les centres médico-psycho-pédagogiques (CMPP), les centres de ressources autismes (CRA) et les centres d’information surdité (CIS). S’agissant de l’accompagnement en milieu ordinaire, on retrouve les services éducatifs spécialisés et de soins à domicile (SESSAD), les services de soins à domicile (SSAD), les services de soutien à l'éducation familiale et à l'intégration scolaire (SSEFIS), les services d'aide à l'acquisition de l'autonomie et à l'intégration scolaire (SAAAIS). S’agissant de l’accompagnement en institution, on retrouve les instituts médico-éducatifs (IME), les instituts thérapeutiques éducatifs et pédagogiques (ITEP), les instituts d’éducation motrice (IEM). Le financement se fait pour toutes ces structures à partir des fonds de l’assurance maladie (avec le département pour les CAMSP et éventuellement avec l’Éducation nationale lorsque ces structures organisent des enseignements). L’accès à ces structures est libre, s’agissant de la prévention et du dépistage. Il suppose par contre une orientation CDAPH pour toutes les autres. Les partenaires des ESMS, nombreux, relèvent de logiques d’interventions distinctes : les conseils départementaux, les maternités, les lieux d’accueil de la petite enfance, les maisons des adolescents, les établissements scolaires et de formation, le service public de l’emploi et d’insertion professionnelle, la médecine de ville, les réseaux paramédicaux et de santé, les établissements de santé et de santé mentale, les services à la personne et à la protection de l’enfance. L’enfant porteur de handicap en protection de l’enfance relèvera de l’ensemble de ces structures et de ces logiques (sanitaires, éducatives, sociales, médicosociales, etc.) avec autant de fractures possibles…
L’entrée dans les ESMS implique deux difficultés : le nombre de places insuffisant et les délais d’attente longs notamment en raison d’un manque de transparence dans la gestion des listes d’attente. Dans le cadre des situations qui lui ont été soumises, des listes d’attente de deux à quatre ans ont été signalées au Défenseur des droits. Tant les critères d’entrée en ESMS, que la gestion des listes d’attente demeurent très largement opaques : en dépit de l’opposabilité des décisions rendues par la CDAPH, le responsable de la structure garde le pouvoir de définir les critères de sélection des enfants inscrits sur les listes d’attente. Or, en l’absence de règles définissant des critères objectifs de gestion des priorités des situations, l’on observe des pratiques très différentes entre les établissements, ce qui se révèlera très problématique à la fois pour les enfants présentant les handicaps les plus lourds, mais aussi pour les enfants de l’ASE. Face à cette impasse, les parents peuvent alors être dépassés par les troubles du comportement de l’enfant associés au handicap, surtout lorsque celui-ci a fait l’objet d’un diagnostic et d’une orientation très tardifs. Les délais d’attente pour obtenir une place sont trop longs, ce qui conduit à des situations de mise en danger. De la même manière, le nombre insuffisant de places a pour conséquence le maintien de l’enfant au domicile familial avec pour corollaire une déscolarisation souvent très longue de l’enfant, contraire à son intérêt, mais aussi à une perte de repères sociaux pour les parents, souvent obligés de renoncer à leur activité professionnelle. La fermeture des établissements chaque fin de semaine et pendant les vacances scolaires ainsi que le nombre réduit de places en internat, conduisent à rechercher des solutions d’hébergement alternatives, parfois inadaptées, du côté de l’Aide sociale à l’enfance. En effet, les effectifs réduits lors des fins de semaine ou des vacances dans les services de l’ASE rendent diffi
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cile la possibilité de dédier du personnel à une prise en charge individualisée et appropriée de l’enfant, victime de ruptures répétées dans son parcours d’accueil, de soin et de scolarisation. Tout ceci alors même que le handicap supposerait le maximum de stabilité de l’enfant (autisme, par exemple). L’absence de droit au répit pour les aidants familiaux ou de séjours de ruptures pour les enfants avec handicaps lourds et troubles importants du comportement pris en charge en ESMS renforcent les risques de ruptures qui peuvent se traduire par des exclusions temporaires ou définitives des ESMS face à certaines problématiques (violences, agressions sexuelles, etc.) ou, plus généralement, en raison de difficultés de dialogue dans le travail de collaboration avec les familles. Cette situation, souvent assise sur une incompréhension mutuelle, peut conduire à une IP ou à un signalement par l’ESMS. Il est donc important de s’interroger, lors de l’évaluation, sur ce qui relève effectivement d’une carence parentale ou d’une défaillance d’ordre institutionnel.

2.2.4 - L’évaluation pluridisciplinaire du danger ou du risque de danger pour l’enfant Une fois que l’information préoccupante a été transmise, le président du conseil départemental est chargé de « centraliser le recueil des informations préoccupantes au sein d’une cellule de recueil, de traitement et d’évaluation de ces informations » (CRIP). Sur la base du rapport d’évaluation, soit l’IP sera classée, après avoir démontré que l’enfant n’est pas en danger, soit une mesure de prévention médico-sociale ou une mesure de protection administrative se mettra en place (aide éducative ou accueil), soit la situation sera signalée au procureur (article L. 226-4 du CASF) et la saisine éventuelle du juge des enfants par le parquet pourra conduire le magistrat à décider d’une mesure judiciaire de protection (assistance éducative en milieu ouvert, placement, etc.).
2.2.4.1-La pluridisciplinarité : un élément déterminant de l’évaluation par les CRIP Selon le guide ministériel consacré à La cellule départementale de recueil, de traitement et d’évaluation63, l’objectif est de fiabiliser le dispositif de recueil et de conseiller les professionnels dans toutes les situations de danger éventuel de l’enfant. La CRIP va exercer une fonction de contrôle de premier niveau de ces IP : la situation de l’enfant est-elle déjà connue par les services de protection de l’enfance et un signalement au parquet est-il indiqué ? Si ce n’est pas le cas, la CRIP va veiller à ce que la situation de l’enfant soit évaluée par les services départementaux. La pluridisciplinarité dans les modalités d’organisation de la CRIP La loi de 2007 ne précisait pas les modalités concrètes d’organisation de la CRIP, laissant aux conseils départementaux une liberté de choix quant à la composition de la cellule. Aussi, selon le rapport publié par l’ONED en 2012, « il existe une grande variabilité dans la composition des CRIP tant dans le nombre de personnes, que dans leurs fonctions et leurs qualifications. »64 On y observe, en particulier, une faible représentation d’inspecteurs ou de cadres ASE, comme de personnels médicaux ou médico-sociaux, de psychologues. La composition de la CRIP est un enjeu déterminant. En effet, comme le rappelle le guide pratique sur le recueil des IP, les missions de cette cellule impliquent une collaboration du social et du médico-social et « il est indispensable de disposer d’une équipe pluridisciplinaire et pluriinstitutionnelle permanente ayant des compétences techniques dans le domaine social, éducatif et médical ». Or, sur la base des investigations menées par le Défenseur des droits, les CRIP ne disposent pas d’experts spécifiquement informés sur le handicap ou de référents externes qu’il serait aisément possible de mobiliser (dans le cadre de partenariats avec les CAMSP, CRA ou CMPP). La pluridisciplinarité dans les modalités d’évaluation par la CRIP La difficulté réside par ailleurs dans l’évaluation de la situation de danger ou de risque de danger encouru par l’enfant : quels sont les indicateurs qui seront pris en considération lors de l’évaluation et selon quelles modalités d’organisation de cette évaluation (étapes, grilles, experts) ? Le guide ministériel précité donne les grandes lignes de cette évaluation : « Cette évaluation est donc un travail fondamental qui implique une démarche méthodologique d’observation et de compréhension de la situation d’un enfant ou d’un adolescent. Elle s’élabore à partir de l’échange (en visite à domicile, en entretien) qui aura lieu entre les parents, le mineur concerné et
Rapport 2015 I  Handicap et protection de l'enfance :
des droits pour des enfants invisibles

les professionnels amenés à intervenir. » Cette évaluation va porter sur deux étapes : l’enfant est-il en danger ou en risque de danger ? Quelle est la réponse appropriée en regard des besoins de l’enfant, de la famille et de son environnement ? Trois niveaux sont pris en compte lors de l’évaluation : l’état de l’enfant au regard des besoins essentiels à son développement ; les relations entre l’enfant et ses parents ; le contexte familial et environnemental. L’ANESM, dans ses recommandations de bonnes pratiques sur l’évaluation interdisciplinaire de la situation du mineur, en donne la définition suivante : « C’est une démarche méthodique et structurée qui cherche à identifier et à comprendre les difficultés rencontrées par un mineur/jeune majeur et sa famille afin d’élaborer des hypothèses de travail guidant les réponses à apporter en termes d’orientation et d’accompagnement du mineur/jeune majeur, tout au long de l’intervention. »65 Si ces recommandations entendent encadrer l’évaluation en cours de protection, ces éléments sont également valables lors de l’entrée dans le dispositif (évaluation initiale et éventuelle MJIE). En outre, l’ANESM rappelle l’importance de s’intéresser, dans le cadre de l’évaluation, à la santé du mineur. L’évaluation interdisciplinaire vient ainsi interroger et remettre en question les « subjectivités individuelles », les « représentations sociales et culturelles » de l’équipe d’évaluation. Enfin, la participation à la fois du mineur et des parents est indispensable à la qualité de la mesure. La démarche d’évaluation est donc essentielle. Elle doit être exhaustive et implique : – d’en informer la famille sous réserve de l’intérêt de l’enfant ; – de rechercher l’implication et le dialogue avec les parents et le mineur ; – de s’attacher à prendre en compte le cadre et le contexte de vie du mineur, « la manière dont ses proches et lui perçoivent les inquiétudes fondant l’intervention éducative » ; – une pratique confrontant les points de vue pluridisciplinaires et pluri-institutionnels ; – une coordination effective entre les professionnels connaissant la situation. Il est donc indispensable de rencontrer la famille et « d’approfondir la connaissance de la situation de l’enfant », notamment en s’assurant de réunir toutes les informations dispersées entre professionnels. Ces informations doivent, particulièrement, prendre en compte la santé, la scolarité et l’insertion sociale de l’enfant. Le rapport DINI-MEUNIER de 2014 note à cet égard la très grande variabilité dans les modes de qualification des IP, faisant l’objet d’interprétations diverses selon les départements66. Ainsi, de nombreuses IP ne relèveraient pas de la protection de l’enfance. Le rapport propose ainsi d’harmoniser et d’encourager l’approche collégiale de la procédure d’évaluation des IP en finalisant le « processus d’évaluation par une synthèse pluri-professionnelle et pluri-institutionnelle » et en favorisant la présence d’un médecin au sein de la CRIP. La proposition de loi, précitée, relative à la protection de l’enfant prévoit précisément à son article 5 AA une évaluation de la situation du mineur par une équipe pluridisciplinaire de professionnels. La feuille de route pour la protection de l’enfance 2015-2017 du ministère des affaires sociales, de la santé et du droit des femmes prévoit, en ce sens, d’assurer la pluridisciplinarité lors de l’évaluation des informations préoccupantes et d’encadrer par des référentiels communs les conditions de leur évaluation. À ce titre, il conviendrait qu’une attention particulière soit apportée aux situations de handicap et à ses effets sur la représentation du risque de danger. Un référentiel d’évaluation des situations familiales en protection de l’enfance devrait permettre d’interroger la composition des CRIP (avec la présence d’experts labélisés), ainsi que la pertinence des évaluations de la CRIP. En outre, le handicap peut ne pas avoir été diagnostiqué au moment de l’évaluation. Il est donc important que les acteurs puissent en identifier les symptômes.

3.2.3.2 -  Les ruptures de scolarisation des enfants à l’Aide sociale à l’enfance
Si les ruptures des parcours de scolarisation des enfants porteurs de handicaps sont importantes, c’est le cas tout particulièrement des parcours scolaires des enfants pris en charge par l’ASE. Cette question n’a fait l’objet d’une attention particulière que très récemment, en dépit d’un article prospectif sur La scolarité des enfants placés à l’Aide sociale à l’enfance, publié en 1999 par Catherine Sellenet. En 2013, la DREES a établi un état des lieux des échecs et retards scolaires des enfants accueillis par l’Aide sociale à l’enfance. Le document note des phénomènes de déscolarisation dans l’année où survient le placement. Par ailleurs, à l’âge de 15 ans, c’est-à-dire juste avant la fin de l’obligation scolaire, trois fois plus d’enfants accompagnés par les services de l’ASE sont en situation de déscolarisation que les enfants de la population générale tout en notant que la déscolarisation augmente avec l’âge des enfants. Or, « en fin de scolarité obligatoire, nombreux sont ceux qui quittent les bancs de l’école, sans pour autant se lancer dans la vie professionnelle ». Si les enfants pris en charge par l’ASE ne sont pas déscolarisés, ils font état d’un important retard scolaire : 2/3 à l’entrée au collège ont un retard d’un an. Enfin, à partir de 15 ans, ces enfants s’orientent vers des filières professionnelles courtes. Les enfants placés à l’ASE seraient donc une « population à haut risque de décrochage scolaire »112. Selon cette dernière étude, les enfants placés auraient une propension à suivre une scolarité primaire en classe spécialisée de 7,3 % contre 1,0 % pour la population générale. En outre, la propension à suivre une filière professionnelle – loin d’être adaptée pour les enfants reconnus par la MDPH non ou mal diagnostiqués – est de 23,2 % contre 3,4 % pour la population générale. Et, 54,7 % de ces enfants seraient en retard, contre 36,1 % pour la population générale. Une nouvelle fois, il est délicat de venir établir avec certitude des corrélations avec des ruptures liées au placement ou à l’histoire familiale antérieure au placement 113. Sans doute la résignation des acteurs est-elle ici importante puisque « l’étude des discours rend compte d’une différence de norme par rapport au reste des élèves : les difficultés scolaires sont considérées comme normales et attendues » 114. La population des jeunes placés à l’ASE viendrait cumuler l’ensemble des difficultés (sociales, familiales, individuelles, culturelles) identifiées « comme facteurs de risque de décrochage scolaire » et porterait en plus de tout cela le fardeau de stéréotypes tenaces et discriminants. Selon plusieurs travaux relatifs au parcours scolaire des enfants placés à l’ASE, il apparaîtrait que « les difficultés d’apprentissage d’une partie non négligeable des enfants placés enquêtés viennent confirmer la force des liens entre inégalités scolaires et inégalités sociales » 115. Le parcours de ces enfants reproduirait donc les inégalités sociales qui pouvaient préexister à la mesure de placement. Le parcours scolaire n’est pas vu comme une ressource d’émancipation, mais le sentiment de ne pas y être à sa place y apparaît inscrit. La situation doit toutefois être distinguée selon le mode d’accueil – un accueil en établissement ou un accueil familial – mais également selon les ruptures d’accueil. Ainsi, dans le cas d’un accueil familial de longue durée les phénomènes de retard scolaire ou de déscolarisation sont limités. Dans le cas, cette fois, des « enfants déplacés » la situation est très morcelée, à l’image des parcours de placements : « sans lieu de placement fixe, sans figure socio-affective stable, le parcours est chaotique et la scolarité en va de même »116. Le parcours de placement instable vient alors perturber la continuité et la cohérence du parcours scolaire. « La scolarité est donc le plus souvent reléguée au second plan dans le travail des éducateurs spécialisés, elle est considérée comme une tâche subsidiaire, accessoire »117. D’autres dimensions du suivi social ou éducatif de l’enfant sont jugées comme prioritaires sur l’aspect scolaire qui est pourtant la clef de l’autonomie, de la construction et de l’émancipation du jeune pris en charge par l’Aide sociale à l’enfance.

Le Défenseur des droits préconise – d’engager une réflexion sur l’opportunité de la mise en place, au niveau local, de groupements d’intérêt public chargés du portage des dispositifs d’accompagnement des enfants handicapés dans tous les lieux de vie (école, domicile, activités de loisirs, etc.) ; – de renforcer les liens entre l’Éducation nationale et l’Aide sociale à l’enfance de manière à favoriser la remobilisation des enfants autour de projets éducatifs cohérents avec leur parcours scolaire.
3.2.3.3 -  La scolarisation des enfants porteurs de handicap et pris en charge par l’ASE : la double peine L’UNESCO définit ainsi les principes directeurs d’une éducation inclusive. « L’inclusion est ainsi envisagée comme un processus qui vise à prendre en compte et à satisfaire la diversité des besoins de tous – enfants, jeunes et adultes – par une participation accrue à l’apprentissage, à la vie culturelle et à la vie communautaire, et par une réduction du nombre de ceux qui sont exclus de l’éducation ou exclus au sein même de l’éducation. Elle suppose de changer et d’adapter les contenus, les approches, les structures et les stratégies, en s’appuyant sur une vision commune qui englobe tous les enfants du groupe d’âges visés et avec la conviction que le système éducatif ordinaire a le devoir d’éduquer tous les enfants »118. Cette définition de l’inclusion s’applique particulièrement aux enfants handicapés pris en charge par l’ASE : comment assure-t-on l’éducation inclusive de ces enfants ? Comment changer les dynamiques des structures et stratégies éducatives ? La discontinuité des parcours de scolarisation des enfants porteurs de handicaps et relevant de l’ASE va venir s’ajouter et s’amplifier mutuellement créant de véritables parcours de déscolarisation. Les acteurs rencontrés ont mis en évidence les limites des réponses offertes classiquement par le dispositif actuel tant du côté de la protection de l’enfance que du handicap : comment intervenir en renfort des structures existantes et parfois dépassées ? Face à la multiplicité des ruptures et l’absence de réponses traditionnelles, certains acteurs locaux vont faire le choix soit de spécialiser au sein des structures de l’ASE des éducateurs afin de dispenser des formes d’enseignements scolaires en dehors du contexte de l’Éducation nationale, soit de recruter des professionnels du secteur social et associatif à l’intérieur des établissements pour des programmes à la carte de réinsertion professionnelle, scolaire ou éducative. Il pourrait être pertinent d’envisager des méthodes alternatives d’enseignement119, par l’intermédiaire de contrats passés entre l’Éducation nationale, l’ASE, les ESMS et des associations spécialisées. Il convient donc d’adapter les stratégies éducatives à ces publics spécifiques pour lesquels la scolarisation (ordinaire ou spécialisée) n’est pas effective. Par ailleurs, se posent des difficultés de coordinations institutionnelles et donc de connaissances réciproques entre les différents domaines. Des difficultés liées aux modalités de partage de l’information vont également se poser. Les acteurs ignorent souvent que l’enfant est suivi dans le cadre d’une pluralité de dispositifs120. Pour assurer une véritable « alliance éducative » au service de l’intérêt de l’enfant, trois enjeux sont ici à considérer : – l’articulation des divers projets pour l’enfant : le Défenseur des droits rappelle l’importance d’une simplification dans l’articulation de ces multiples projets autour du socle que constitue le projet pour l’enfant (PPE) ; – l’articulation interinstitutionnelle des divers intervenants : les travaux ont démontré une fréquence réduite des relations entre les ESMS et l’Éducation nationale qui sont de plus très peu formalisées. Ainsi les modalités de partenariats prévues par le décret n° 2009-378 du 2 avril 2009 ne sont pas encore suffisamment développées, ni suffisamment connues. Trop peu mises en place, les UE, en milieu ordinaire ou en ESMS, ne prennent pas en compte les modalités spécifiques d’accueil de ces enfants dans les structures de l’ASE ; – la connaissance réciproque des acteurs : l’absence de relations entre les enseignants référents et les référents ASE a pu être parfois constatée. Il n’existe pas, en l’état et hors composition spécifique de l’équipe pluridisciplinaire de la MDPH, de lieux de rencontres structurés et pérennes entre ces intervenants.

4 -  … Et ensuite ?
La sortie du dispositif de protection de l’enfance fait l’objet depuis plusieurs mois d’une prise de conscience et d’une attention particulière, et a donné lieu à de nombreux rapports et études121. Comme l’indique la feuille de route ministérielle pour la protection de l’enfance122, « parmi les ruptures auxquelles sont exposés les enfants confiés à l’ASE, celle qu’ils vivent en quittant l’aide sociale à l’enfance à leur majorité est sans doute l’une des plus violentes ». La proposition de loi relative à la protection de l’enfance a ainsi prévu plusieurs dispositions d’ordre général permettant de soutenir ces jeunes et les accompagner vers l’autonomie123. Mais, qu’en est-il des enfants en situation de handicap, relevant du dispositif de protection de l’enfance et qui vont de trouver dans cette situation ? Comment accompagner ces jeunes, doublement vulnérables qui ont été confrontés plus ou moins longtemps, plus ou moins gravement à un morcellement des interventions conduites auprès d’eux ? La question est, là encore, rendue complexe par la dimension d’hétérogénéité du handicap, qui va avoir des conséquences très différentes quant aux conditions dans lesquelles s’opérera la fin de la prise en charge de l’ASE, et se mettra en place un projet pour le jeune adulte. Ainsi, la prévalence de handicaps sévères, notamment de handicaps psychiques et de troubles du caractère et du comportement, constatée dans le rapport laisse à penser que le projet d’autonomie ou d’inclusion sociale et professionnelle des jeunes concernés sera encore plus ardu à définir et mettre en œuvre, et demeurera parfois un projet théorique bien éloigné des réalités. S’ajoute à cette première complexité, de façon très concrète, celle des seuils d’âge pris en compte selon les dispositifs pour délimiter le passage entre l’enfance et l’âge adulte (ou jeune adulte). Est-on adulte à 16, 18, 21 ou 25 ans ? En effet, 16 ans marque la fin de la scolarité obligatoire, 18 ans le passage à la majorité, 21 ans la fin des contrats jeunes majeurs et 25 ans l’âge des premières prestations sociales. Par ailleurs, dans le domaine médicosocial, la prise en charge de l’enfant en situation de handicap va s’arrêter à ses 20 ans, parfois avant, selon le type d’agrément délivré aux ESMS, mais aussi après, dans le cas des « amendements Creton ». Comment, lorsque l’on sort de la protection de l’enfance, porteur de handicap, peut-on être autonome et gérer ces différentes barrières temporelles ? Comment adapter la sortie du dispositif aux réalités des parcours de chacun ? Un accompagnement spécifique apparaît bien déterminant lors de ces multiples transitions. En tout état de cause, le constat résultant de nos travaux ne surprendra pas : les difficultés rencontrées par les jeunes lors de la fin de leur accompagnement par l’ASE se trouvent singulièrement aggravées en cas de handicap. Aussi, c’est à une mission spécifique de préparation à la sortie du dispositif et à l’autonomisation que doivent impérativement s’atteler les services de l’ASE. Or, en dehors de principes ou de fiches actions éparses dans les schémas départementaux de la protection de l’enfance ou de l’autonomie, les acteurs se sont peu saisis de cette délicate question : qu’implique la sortie du dispositif de l’ASE lorsque l’on porte un handicap ? Quel projet construire pour son avenir ? Deux difficultés principales sont à noter : d’une part, l’absence de prise en compte des spécificités de la sortie du dispositif en cas de handicap de l’enfant ; d’autre part, l’absence d’anticipation de la sortie. Un conseil départemental dans les réponses apportées au questionnaire notait que « pour la plupart des enfants porteurs de handicap, la question de la sortie se pose exactement dans les mêmes termes que pour tous les enfants accueillis par l’ASE : ce sont des jeunes adultes autonomes, certes ayant connu une fragilité spécifique au cours de leur développement, mais ne relevant absolument pas d’une prise en charge spécialisée, ni en tant que mineurs ni en tant que majeurs ». Cette absence de prise en compte de la spécificité du handicap ne peut qu’interroger, notamment quant à la méconnaissance des conséquences potentielles du handicap en termes d’égalité des chances. Cette position n’est heureusement pas partagée par l’ensemble des départements et des acteurs associatifs qui reconnaissent les progrès qu’il reste à accomplir pour accompagner de manière intensive et particulière ces enfants différents.
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Ainsi, il nous a été affirmé que les « jeunes majeurs sortant de la protection de l’enfance à leur majorité voient de plus en plus souvent leur situation se dégrader, les dispositifs spécifiques les concernant devenant rares du fait de critères d’éligibilité très contraignants, voire dissuasifs, et variables d’un département à l’autre. Face à ce désengagement de l’ASE, ce sont souvent les IME qui pallient ce désengagement lorsque le jeune est handicapé »124. Par ailleurs, un autre conseil départemental a noté que « certains jeunes majeurs, anciens enfants de l’ASE, en situation de handicap, peuvent, par défaut d’anticipation, par défaut de structures adaptées, ou par méconnaissance, se retrouver sans accompagnement lorsqu’à la majorité ou à la fin du contrat jeune majeur, les relais par les services de l’Etat ou établissements habilités MDPH ne sont pas préparés. Ces jeunes peuvent se retrouver sans soins ni hébergements dès la fin de la prise en charge ASE ». Le défaut d’anticipation de la sortie, et donc de la préparation de « l’après », quel que soit le seuil d’âge, pourrait cependant être corrigé par une articulation organisée en amont entre les services de l’ASE et les MDPH. Trois aspects méritent une attention particulière : – les contrats jeunes majeurs: au-delà de l’imprécision des critères d’attribution prévus à l’article L. 222-5 du CASF, nous ne disposons pas à ce jour de visibilité sur la part des contrats conclus par les départements concernant des jeunes en situation de handicap, sur leurs objectifs, comme sur leur durée ; – la situation des jeunes maintenus en établissements et structures médico-sociaux au-delà de 20 ans dans le cadre des « amendements Creton » faute de places suffisantes en secteur adultes. Se pose de manière cruciale la question de la cohérence des actions entre les ARS et les conseils départementaux, au moment de la définition du projet de vie pour et avec ces jeunes. – les glissements souvent très compliqués et impliquant d’importantes pertes de salaires, des agréments de famille d’accueil (mineur) vers des agréments d’accueillants familiaux (majeurs) pour garantir une continuité du parcours des enfants et jeunes adultes quand la famille naturelle n’est définitivement plus présente.

Focus : quelques bonnes pratiques dans les départements
Un certain nombre de bonnes pratiques ont pu être mis en évidence, mais il ne s’agit, toutefois que d’un début. Ainsi, le département de Seine et Marne a mis en place un protocole « jeune majeur porteur de handicap » entre l’ASE et la direction personnes âgées et personnes handicapées (PAPH). De même, l’articulation, notamment dans la prise en charge médicosociale et sanitaire, entre le secteur de l’ASE et le secteur adulte est préparée en Haute-Garonne, en amont de la sortie du dispositif. Le département de l’Essonne met en place des contrats jeunes majeurs en attendant de pouvoir faire le lien avec le service de l’aide sociale générale. Le département des Landes a mis en place deux dispositifs particulièrement innovants : – une « équipe 16-25 ans » a été constituée au sein de la MDPH afin de traiter au plus tôt les situations de sorties éventuelles de la protection de l’enfance et faciliter la transition du secteur enfant vers le secteur adulte. Cette équipe est pluridisciplinaire et vise à l’insertion professionnelle et à l’orientation vers le milieu ordinaire, par un service d’accompagnement et de maintien dans l’emploi et une équipe pour le suivi des droits et prestations. Cette équipe se réunit une fois par mois pour étudier 25 à 30 dossiers : en priorité les premières demandes, les AAH, les travailleurs handicapés, l’orientation vers le secteur adulte et les amendements Creton. Elle est composée d’une vingtaine de membres permanents (la MDPH et ses partenaires : ASE, Pôle et cadre emploi, mission locale, CFP, ESAT, IME) et des membres invités selon la situation (UDAF ou foyers de jeunes travailleurs, le cas échéant). Cette équipe se délocalise une fois sur deux dans les établissements et les services adultes, afin que l’ensemble des partenaires se connaisse et que des passerelles soient établies entre les établissements et les services et établir précisément si l’enfant pourra être orienté vers ces structures. Le suivi de la décision de la CDAPH sera assuré par un référent dans l’établissement et si l’orientation n’est pas réalisée, une commission de gestion des places est organisée. Cette équipe permet également de contribuer à fluidifier la sortie des jeunes en situation d’application des amendements Creton des ESMS, et donc les entrées en amont dans ces établissements. La fluidité est également favorisée par la création de places au sein des structures adultes pour les jeunes de la protection de l’enfance qui arrivent en fin de prise en charge ;
Le Défenseur des droits I 101
 – un groupe de travail sur les sorties du dispositif de l’ASE et un projet de charte partenariale pour l’insertion des jeunes sortant de la protection de l’enfance. Ce groupe de travail a réfléchi dans le cadre d’un partenariat entre une MECS et un foyer de jeunes travailleurs à un projet d’accompagnement vers l’autonomie, par la création d’un « pôle insertion » au sein de la MECS. Ce pôle « se compose d’un « service jeunes majeurs » qui offre un accueil et un accompagnement social individualisé à des jeunes âgés de 18 à 21 ans par le biais de contrats jeunes majeurs co-signés avec l’ASE ». L’équipe de la MECS va alors mobiliser un « réseau partenarial » dans une démarche « d’insertion pluridimensionnelle » : scolarisation, formation professionnelle, logement, accès aux soins et socialisation, notamment. Un important projet de charte partenariale a été mis en place par le département partant du constat que « aux difficultés d’insertion rencontrées par les jeunes de 16 à 25 ans, peuvent ainsi se rajouter des vulnérabilités d’ordre familial et affectif pour ceux issus de la protection de l’enfance » et en particulier pour certains le « passage du secteur handicap enfant vers le secteur handicap adulte ». Cette charte a deux objectifs principaux : améliorer la coordination des acteurs œuvrant à l’insertion des jeunes et assurer la continuité des parcours pour tous les jeunes sortant de l’ASE. Plusieurs grands domaines sont abordés autour d’une démarche partenariale et de réseau : l’insertion professionnelle, l’accès au logement, l’accès à la santé, un projet de scolarité qui pourrait être mené à terme, notamment. Plus spécifiquement, l’article 5 du projet de charte vise à « s’assurer de la continuité des parcours des jeunes en situation de handicap », c’est-à-dire à favoriser des articulations sans ruptures : améliorer la connaissance interinstitutionnelle et l’information sur l’offre d’insertion mobilisable, favoriser le partage d’informations, poursuivre et consolider les partenariats et assurer, notamment, un « droit au retour pour les jeunes de moins de 21 ans ». Cet article vise, en outre, à mettre en place une structuration en réseau dans le cadre de l’admission en ESMS (enfants et adultes) par des formes de priorisations, en lien avec la MDPH. Le projet de charte évoque même l’idée d’un accompagnement social après l’ASE.

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