lundi 18 septembre 2017

La place des assistants familiaux dans le placement familial

Jacques Jouves, ex-directeur Enfance famille dans plusieurs départements, 24, impasse Gambetta, 81000 Albi.




  • À côté du foisonnement de travaux sur le placement institutionnel, le placement familial fait figure de parent pauvre. Heureusement, quelques éminents spécialistes se sont attachés à son étude et leurs ouvrages font référence. C’est avec leurs apports et les nombreux échanges au cours de conférences et de colloques que mon expérience s’est enrichie, une expérience de plus de trente ans à l’Aide sociale à l’enfance auprès des enfants, de leur famille et des lieux d’accueil de toutes sortes. L’intérêt que je porte au placement familial depuis le début de ma carrière professionnelle [1][1] Éducateur spécialisé à l’Aide sociale à l’enfance,..., et qui ne se dément pas depuis ma retraite, m’a permis de suivre le parcours d’enfants, de m’interroger sur ses divers aspects, de rencontrer un grand nombre de services et de praticiens, ainsi que les organisations professionnelles et syndicales des assistants familiaux. C’est depuis cette place que je parlerai. Même si la distinction est difficile et peu souhaitable à faire entre les champs du sanitaire, du médico-social et du social, les modes d’administration et certains éléments du statut des assistants familiaux (employeur de droit public ou de droit privé) diffèrent néanmoins ; les pratiques de collaboration peuvent aussi varier sensiblement d’un domaine à l’autre. Pour autant, l’évolution générale de cette profession et plus encore celle à venir tendent à estomper ces différences, ce qui donnera, je l’espère, à mon discours une valeur dépassant le seul cadre du placement familial de l’Aide sociale à l’enfance.

Moïse, Œdipe et les autres

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Au plus loin que l’on remonte dans l’histoire de l’humanité, on trouve des enfants abandonnés recueillis par des étrangers pour les élever, les plus cités étant Moïse et Œdipe. À côté de ces célébrités, c’est par millions que des enfants, depuis la nuit des temps, ont été l’objet de considérations d’adultes, que ce soit par commisération, par intérêt immédiat ou bien dans l’espoir d’un salut dans l’au-delà.
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On a l’habitude, pour introduire les propos sur le placement familial et les nourrices, d’évoquer l’histoire, tant il est vrai que sa connaissance a une importance capitale pour lire les conceptions que la société occidentale se fait de l’enfant, de sa valeur. Ces récits égrènent les grandes dates qui organisent des périodes où la pensée modifie les approches.
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Après les temps d’élimination de l’enfant non accepté, les civilisations anciennes ont admis la nécessité d’assurer la survie des enfants orphelins légitimes, puis des enfants exposés, enfants abandonnés. Du Moyen Âge à la chute de l’Ancien Régime, l’Église sera la grande organisatrice du recueil et de l’enfermement des enfants. La figure emblématique en est saint Vincent de Paul (1580-1660). Tandis que les congrégations se chargent de recueillir et de placer les enfants, le pouvoir temporel tente, par de nombreuses ordonnances, de contrôler les multiples trafics et de limiter la cupidité des nourrices.
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La Révolution française constitue un tournant en considérant l’enfant comme un bien de la nation qu’elle a le devoir de protéger et d’éduquer. C’est l’origine de l’assistance publique. Ce n’est que dans le dernier quart du xixe siècle qu’apparaîtront les mesures modernes de protection des enfants et que, corollairement, s’exercera la surveillance des nourrices contre la surexploitation, les maltraitances et abus de toutes sortes [2][2] Loi Roussel, 23 décembre 1874, relative à la surveillance....
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Un siècle après apparaît le premier statut légiféré des assistantes maternelles. Ce sera notre point de départ pour examiner comment la création d’une nouvelle profession constitue un acquis fondamental pour la protection de l’enfance.

Fin de la famille modèle

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Au xxe siècle, la population des enfants accueillis à l’ase s’est modifiée au fil des évolutions sociétales, avec une accélération au cours des Trente Glorieuses et après. Depuis les lois de 1889 et 1898, les pupilles et les enfants à « éloigner » du milieu familial pour des raisons de santé, d’hygiène ou de violence, étaient placés à la campagne, loin des exemples pernicieux de leur famille et du milieu urbain criminogène. La nourrice et sa famille étaient alors recherchées pour servir de modèle opposé à celui des parents. Cette situation ne changera guère jusqu’au dernier tiers du xxe siècle, même si les appellations varient et que des catégories se créent pour distinguer les « petits immatriculés ».
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Les années 1970, imprégnées de fortes interrogations sur le sens du travail social et sur la « normalisation des familles déviantes », vont contraindre les services sociaux à aborder différemment la protection de l’enfant. Ces interrogations et les réponses qu’on invente conduisent des modifications, dont la lame de fond sera le bouleversement des pratiques des nourrices. La gardienne n’est plus seulement là pour élever l’enfant, en faire un bon apprenti ou un bon paysan, suivant l’exemple qu’on lui donne quotidiennement, mais pour l’éduquer et le « rendre à sa famille dans les meilleures conditions et dans les meilleurs délais ». Sa nouvelle mission est éducative et implicitement soignante. L’objectif n’est plus la séparation d’avec les parents mais la « réparation » du lien familial. Une des conséquences sera le rapprochement des placements d’enfants de l’habitat des parents. La fin des placements au long cours conduit les travailleurs sociaux à changer d’attitude : à la visite-contrôle annuelle, il faudra désormais substituer un travail de conseil.
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C’est dans ce contexte qu’apparaît le nouveau statut, ou plus précisément la première formalisation législative du statut. L’époque des nourrices ou gardiennes est révolue, elles sont désormais des assistantes maternelles.

1977?: un premier statut professionnel

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Ce texte très attendu soulèvera des réactions diverses. Sur le versant positif, Bonetti, Fraisse et de Gaulejac [3][3] Michel Bonetti, Jean Fraisse, Vincent de Gaulejac,... n’hésitent pas à y voir l’acte de naissance d’une nouvelle profession du travail social. En effet, la loi du 17 mai 1977 fait entrer la profession d’assistante maternelle dans le Code du travail : une base de rémunération référencée sur le smic, l’affiliation à la Sécurité sociale, les congés payés, la formation, les indemnités d’absence, etc. constituent le socle des droits de la nouvelle salariée. De ce fait, l’assistante maternelle est soumise à l’impôt sur le revenu. D’autre part, l’assistante maternelle doit trouver son inscription dans l’équipe de travail de la personne morale qui l’emploie. Si la notion de famille d’accueil n’est pas encore à l’ordre du jour, la place du mari apparaît en cosignataire du contrat de placement, distinct du contrat de travail. Les modalités de l’agrément sont précisées par décret.
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Ce statut traduit l’évolution de la place des femmes dans notre société, il concilie des versants jusque-là contradictoires du désir d’un grand nombre d’entre elles : être femme au foyer et femme au travail. Il s’inscrit dans le nouveau regard porté sur l’éducation des enfants. S’occuper d’enfants n’est plus un phénomène naturel mu par une sorte d’instinct maternel ; éduquer un enfant, c’est le faire grandir, lui offrir les conditions d’un développement harmonieux dans un environnement, à partir de réactions et pratiques analysables et de savoirs psychologique, pédagogique, thérapeutique.
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Pour autant, cet ensemble de nouveaux droits va rencontrer de fortes résistances de part et d’autre.
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Du côté des nouvelles promues : certaines parmi les plus anciennes craignent l’intrusion des services, ne comprennent pas le pourquoi des nouvelles exigences. D’autres, moins méfiantes, hésitent à se projeter dans de nouveaux savoir-faire, adoptent une position attentiste, tandis que, souvent plus jeune, une troisième catégorie revendiquera la mise en application des textes, parfois avec une certaine impatience qui donnera naissance aux syndicats et associations.
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Du côté des travailleurs sociaux et des psychologues, qui constituent les équipes chargées à la fois de l’agrément et du suivi, c’est aussi la méfiance qui est majoritairement de règle : s’ils reconnaissent volontiers la nécessité d’un salaire décent et de droits qui s’y rattachent, ils ne comprennent pas l’accès pourtant timide aux congés payés, ils restent pour le moins circonspects sur la formation et la place qu’ils doivent faire aux nouvelles venues dans les équipes. Cette position perdurera longtemps puisque le législateur devra y revenir à deux reprises et qu’aujourd’hui encore cette place est plutôt un strapontin qu’un fauteuil à l’orchestre. Beaucoup considèrent à mots couverts que cette arrivée, comme celles d’autres professions, travailleuse familiale [4][4] Les travailleuses familiales sont devenues techniciennes... par exemple, va tirer vers le bas leur propre statut, dévaloriser leur position.
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Du côté de l’administration, c’est la dimension de contrôle, gravée dans sa tradition, qui va prendre le pas. La prise en compte de ces nouveaux droits entraîne une réglementation renforcée et corollairement la création de cellules administratives spécialisées dans la gestion des carrières des assistantes maternelles. Le coût de ces nouvelles mesures n’est pas la moindre préoccupation de l’administration.
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Du côté des familles des enfants placés, les réactions sont rares compte tenu de leur mise à l’écart d’autant plus systématique que la nourrice, souvent éloignée de leur résidence, leur est totalement inconnue et est simplement vécue comme une rivale qui cache l’enfant qu’on leur a rapté. Ce n’est qu’avec la loi de 1984 [5][5] Loi du 6 juin 1984 relative aux droits des familles... que leur perception pourra se modifier très lentement.
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Finalement, cette « avancée sociale » provoquera des modifications réelles dans le droit formel mais ne changera que très progressivement les pratiques des nourrices en raison des réticences et résistances qui ont empêché les praticiens de saisir l’enjeu fondamental de la loi : l’évolution des modes de prise en charge de l’enfant par la création d’un nouveau métier du travail social.
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Trois ans après la publication de la loi, J.-L. Bianco et P. Lamy [6][6] J.-L. Bianco et J.-P. Lamy, « L’Aide à l’enfance demain.... notent dans leur rapport, dans le chapitre intitulé « l’importance des absents », que :
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« – L’information des familles d’accueil sur le passé des enfants, sur l’état de leur cellule familiale d’origine et sur son évolution n’est pas suffisante […]
– les relations avec les travailleurs sociaux, l’administration ou la justice sont trop hiérarchiques […] Les assistantes maternelles en général semblent mal comprendre le pourquoi et le comment du placement des enfants : elles ont le sentiment d’être jugées sur des critères qu’elles perçoivent mal. »

1992?: le statut confirme la professionnalité et renforce les droits

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La loi du 12 juillet 1992 et ses décrets apportent des modifications d’importance au statut professionnel de 1977 : la distinction entre l’assistante maternelle qui accueille des enfants à la journée et celle qui reçoit les enfants à titre permanent est précisée dans l’agrément. La notion de famille d’accueil apparaît pour celle-ci : « L’ensemble des personnes résidant au domicile de l’assistante maternelle agréée pour l’accueil de mineurs à titre permanent constitue une famille d’accueil [7][7] Art.?123-3 Code de la famille et de l’Aide sociale.... »
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L’agrément, considéré comme une épée de Damoclès, n’est plus remis en question tous les ans, sa validité est portée à cinq ans, le nombre d’enfants accueillis est limité à trois. Les rémunérations sont sensiblement revalorisées et la?distinction salaire/indemnité d’entretien est établie. La formation de 120 heures sur trois ans devient obligatoire : c’est une formation d’adaptation à l’emploi. Les services des conseils généraux la réaliseront eux-mêmes ou feront appel avec diligence à des organismes spécialisés. En revanche, la préparation à l’accueil, qui doit être effectuée préalablement à l’arrivée de l’enfant, n’est que rarement mise en place.
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Une commission [8][8] Commission consultative paritaire départementale des... chargée d’examiner les situations litigieuses au regard de l’agrément est créée, elle entend tous les ans un rapport sur l’état des agréments et doit être consultée sur les actions de formation. Cette mesure sera rapidement mise en place par les départements, son fonctionnement est considéré par les partenaires comme satisfaisant.
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L’intégration dans les équipes de travail est une nouvelle fois soulignée :?«?[…] sauf situation d’urgence mettant en cause la sécurité de l’enfant, l’assistante maternelle est consultée préalablement sur toute décision prise par la personne morale qui l’emploie concernant le mineur qu’elle accueille à titre permanent ; elle participe à l’évaluation de ce mineur [9][9] Art. 123-3, dernier alinéa du même code. » L’accompagnement professionnel doit se distinguer de la formation.
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Cette loi installe l’assistante maternelle dans l’équipe, d’un double point de vue : d’un côté, elle est acteur permanent auprès de l’enfant, elle est consultée et participe à l’évaluation ; de l’autre, elle est membre de l’institution, l’employeur lui doit un accompagnement professionnel au même titre que pour les autres agents : «?Le département assure, par une équipe de professionnels qualifiés dans les domaines social, éducatif, psychologique et médical, l’accompagnement professionnel des assistants familiaux qu’il emploie et l’évaluation des situations d’accueil [10][10] Art. L422-5 cfas.. »
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Si le regard sur les quinze ans passés permet de noter de réelles évolutions, force est de constater que les réticences et résistances des uns et des autres que nous avons signalées au sujet de la première loi se poursuivent avec, à peu de choses près, les mêmes arguments. Il est vrai qu’à la lourdeur institutionnelle d’un dispositif complexe s’ajoute la lenteur des évolutions sociodémographiques et professionnelles : les anciennes assistantes maternelles et assistantes sociales ne se départissent pas rapidement de leurs vieilles habitudes… La mutation professionnelle s’opère lentement et ce d’autant plus que les principales intéressées tardent à faire entendre leurs voix. Associations et syndicats sont créés dans une certaine confusion d’objectifs dénotant un manque d’expérience. Ainsi la focalisation des uns et des autres sur les questions salariales entravera pour un temps la réflexion endogène sur le métier.
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Malgré leur rareté, les productions théoriques et techniques sont d’une richesse capitale ; elles émanent de psychologues, chercheurs, travailleurs sociaux, pédopsychiatres. La grande figure de proue dans ce domaine est l’œuvre de Myriam David. On trouve peu d’écrits d’assistants familiaux, à l’exception notoire de ceux de Jean Cartry [11][11] Jeannine et Jean Cartry sont éducateurs spécialisés,.... Une revue, l’as mat, porte la voix des intéressées et le grape[12][12] Le grape, Groupe de recherche et d’action pour l’enfance... nourrit une importante réflexion traduite dans ses formations et revues.

2005 : un vrai métier, l’assistant familial travailleur social

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L’enthousiasme des trois auteurs précités décrivant la loi de 1977 comme l’instauration d’un nouveau métier du travail social doit être tempéré par une réalité moins glorieuse. Vingt-huit ans après la création du premier statut, des assistants maternels sont encore à la porte des réunions pluridisciplinaires ; les placements et déplacements d’enfants se font trop souvent sans concertation. Les travailleurs sociaux sont considérés comme des supérieurs hiérarchiques ayant le pouvoir d’accorder un nouveau placement, voire de remettre en cause l’agrément. Les divisions par domaines de compétences entre social, médico-social et thérapeutique, héritées de la décentralisation, ne facilitent pas le travail en commun dans l’approche globale de l’enfant, de sa famille et de leurs liens. Les familles d’accueil, comme les enfants, sont écartelées ou renvoyées d’une institution à une autre.
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Ce constat mérite d’être contrasté, les figures de la collaboration sont plus diverses et mouvantes. Moins liées à une politique départementale qu’à des interprétations locales, les modifications se perçoivent cependant. Du point de vue du droit salarial, l’application est positive. Les salaires ont progressé au-delà du minimum légal dans une majorité de départements. Les indemnités ont été revalorisées. Les ccpd fonctionnent. Les agréments répondent aux critères. Les formations sont organisées à l’exception de la préparation à l’accueil.
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Mais l’organisation de l’accompagnement professionnel est empirique lorsqu’il existe. Les relations avec les travailleurs sociaux restent soumises à leurs représentations. La présence à l’intégralité des réunions pluridisciplinaires demeure problématique, l’assistante maternelle est sommée de rendre des comptes plutôt qu’invitée à rendre compte. C’est afin de remédier à cet état de fait que le législateur s’est à nouveau penché sur le statut. L’exposé des motifs du projet de loi affiche comme visée principale : la professionnalisation. La loi du 28 juin 2005 sépare les deux métiers, assistant maternel et assistant familial [13][13] Article L421-2 casf : « L’assistant familial est la.... On regrettera que le législateur ne les ait pas distingués dans la codification, qui garde encore trop de parties communes.
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Des droits salariaux, on retiendra : la pérennité de l’agrément (sous condition) ; la nouvelle composition du salaire ; le droit effectif aux congés ; la facilitation de l’exercice du droit syndical ; la définition des formes d’accueil (continu/intermittent).
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Dans sa dimension de construction d’une profession, la loi rappelle en termes plus explicites et incisifs des obligations dont les principes sont posés depuis la loi de 1992 : des précisions importantes sur le contrat d’accueil ; les autres membres de la famille d’accueil reçoivent une reconnaissance de capacité mais toujours sans formation ; l’accompagnement professionnel ; l’appartenance à l’équipe de suivi de l’enfant. Elle crée le diplôme d’État d’assistant familial, la possibilité d’accès à une fonction de conseil ou d’aide.

Les fondements du métier

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La loi en son article 4 [14][14] Codifié art. L221-2 du casf. prévoit : « Un projet de service de l’Aide sociale à l’enfance est élaboré dans chaque département. Il précise notamment les possibilités d’accueil d’urgence, les modalités de recrutement par le département des assistants familiaux ainsi que l’organisation et le fonctionnement des équipes travaillant avec les assistants familiaux, qui en sont membres à part entière. » Dans l’impossibilité d’imposer aux départements un mode d’organisation, en vertu du principe de libre administration des collectivités territoriales, le législateur, qui souhaitait inscrire l’obligation de créer un service de placement familial au sein du service départemental de l’Aide sociale à l’enfance, a dû se contenter de la formule « projet de service ». Néanmoins, le texte est explicite concernant les assistants familiaux, membres à part entière des équipes.
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Or cette obligation n’est pas suivie par une grande majorité de départements. La plupart se contentant d’ajustements à la marge là où le pas décisif devait être franchi. L’avantage d’un service était évident pour la construction d’une identité professionnelle, pour l’accès à la fonction d’aide par les plus chevronnés, pour la mise en œuvre de l’accompagnement professionnel et pour l’inscription dans l’équipe de suivi de l’enfant. Mais aussi pour l’efficacité de sa gestion dans le choix des lieux de placement, leur préparation, la rationalisation dans l’organisation des congés, des remplacements divers, la mutualisation du matériel, l’entraide… Partout où ces services ont été préférés aux organisations traditionnelles de l’Aide sociale à l’enfance, par secteur ou unité territoriale, la satisfaction des assistants familiaux est incomparable avec celle de leurs collègues des structures classiques.
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L’enjeu de la professionnalisation réside dans le saut qualitatif qu’accompliront les assistants familiaux, non par une drastique sélection à l’agrément ou à l’embauche – certains auteurs parlent de pure illusion –, mais par le soutien, le partage, l’accompagnement réel. L’inobservation de cette évidence amène les assistants familiaux à des stratégies de contournement qui peuvent s’avérer préjudiciables à l’enfant. Le jour où, membres à part entière d’une équipe, ils pourront amener leur riche accumulation de faits quotidiens pour être aidés, exprimer leurs doutes, leurs craintes, sans la peur d’être jugés, voire écartés de la vie de l’enfant, le jour où ils pourront s’autoriser – comme on dit dans le jargon – à risquer un point de vue, une analyse, se départir un temps de ce lien intersubjectif dans un lieu où prend corps la commande publique qui les institue, ce jour-là le vieux placement nourricier aura totalement disparu sous les habits neufs d’un placement familial ou accueil familial foncièrement professionnel.
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Cette assertion n’est pas une idée surannée que certains voudront me prêter. Je sais des services qui fonctionnent ainsi, services privés associatifs ou plus rarement services départementaux, mais ils ne sont pas légion et sont toujours menacés par la rentabilité financière, la facilité, l’urgence, pendant que d’autres continuent leur bonhomme d’entêtement sur les dégâts de la professionnalisation [15][15] « Comment offrir un cadre sécurisant aux assistants....

Prendre sa place

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Reconnaissons tout de suite que les principales protagonistes n’ont pas été véritablement motrices dans la construction du nouveau visage du placement familial. Comme des infans, elles ont été privées de parole. Le premier statut (1977) est le fruit de l’administration ministérielle, de juristes du droit du travail, de syndicalistes et d’une poignée de militants déterminés de la cause de la petite enfance. Il n’a pris de la valeur que par les modifications qu’il a subies au fil des trois dernières décennies (lois de 1992 et 2005) grâce aux recherches de praticiens et cliniciens, et tardivement grâce à l’entrée en lice des principales intéressées, les assistantes maternelles. Des insuffisances notoires subsistent. Elles sont imputables aux assistants familiaux eux-mêmes, aux travailleurs sociaux des équipes, psychologues, médecins…, aux administrations et organismes de gestion ainsi qu’à la pusillanimité des législateurs qui se sont succédés.
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Les assistants familiaux sont les acteurs premiers du placement familial, mais cette tautologie est souvent prise en défaut par les autres acteurs, qui n’accordent qu’une place relative aux familles d’accueil.
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Il est d’usage, depuis quelques années, de s’intéresser en toute logique au sens des mots utilisés dans notre secteur, démarche indispensable à toute conceptualisation. Pratiquée plus ou moins judicieusement, cette méthode nous entraîne parfois à des effets de mode, loin du but recherché. Ce pourrait être le cas du terme « accueil familial » qui est souvent substitué à « placement familial » dans le but avoué d’en transformer l’image. Certes, les placements d’antan manquaient singulièrement de chaleur ; lieu de l’omnipotence des gardiennes, ils concurrençaient dans l’âpreté du contact les lieux d’enfermement et les rudes travaux dont ils étaient doublés. Mais l’accueil qui vient le « relooker » ne répond pas forcément à toutes les attentes : synonyme de bienveillance, il peut aussi avoir une connotation charitable. Il n’inscrit pas forcément dans la continuité. Si le placement est pour l’enfant la conséquence d’un déplacement, il doit devenir le lieu où il trouvera enfin sa place, car c’est bien ce qui est en jeu dans sa protection : donner une place, à chacun sa place. Dans la multiplicité des prises en charge, le placement devient plus rare, raison de plus pour mieux le préparer, le conduire en (ré)attribuant les places : enfant, parents, assistant familial, travailleur social référent, membres de l’équipe d’accompagnement, de l’équipe de soin, psychothérapeute, responsable de l’Aide sociale à l’enfance, juge des enfants…
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À propos de place et de fonction, M. David insiste sur la nécessité de « cesser d’opposer ou séparer le social, le sanitaire, l’éducatif, le pédagogique, le thérapeutique. L’enfant séparé de ses parents et placé en famille d’accueil a besoin d’attention et de soins dans tous ces domaines, tout comme ses parents ». Et pourtant, force est de constater qu’il y a loin de la coupe aux lèvres et que chaque institution, dans son domaine de compétence, tente de garder ses spécificités jusqu’aux particularismes. Aujourd’hui, les placements familiaux s’organisent à partir des prérogatives des conseils généraux au titre de la protection de l’enfance. Cette recomposition du paysage est la conséquence du tarissement des financements dans le sanitaire et le médico-social plutôt que d’une volonté manifeste de penser les imbrications de ces champs et d’en tirer les conséquences pratiques et organisationnelles. Ces places ne sont toujours pas sincèrement repérées en dépit des progrès dans l’appréhension des besoins des enfants, dans les conceptions éducatives, dans le statut des personnes qui en ont la charge, dans le droit des usagers, parents et enfants, dans la durée des placements.
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Si les grandes figures de J. Bowlby ou D. Winnicott sont convoquées à satiété, si après une première réaction suspicieuse les livres de M. Berger [16][16] Maurice Berger, L’échec de la protection de l’enfance,... sont lus avec intérêt, si M. David reste la référence en matière de placement familial, leurs réflexions ne sont pas assez saisies pour mettre en marche des manières de travailler différentes, des façons d’organiser autrement les services, qui donneraient un autre cadre aux équipes, assistants familiaux compris. Cet autre cadre de travail serait apte à prendre en compte et à traiter ce point fondamental que nous rappelle M. David, et qui est la souffrance des enfants et des parents induite par la séparation et par les distorsions des liens parents-enfant qui fondent l’indication du placement de l’enfant [17][17] M. David, Le placement familial, de la théorie à la....
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On m’objectera les ratios d’encadrement, les charges de travail, les moyens financiers, l’absence de formation spécifique… Tout cela est vrai, mais ne nions pas que l’histoire pèse lourd et que la reconnaissance des assistants familiaux à leur juste place n’est pas encore totalement acquise du point de vue des administrations, du point de vue des intéressés eux-mêmes, du point de vue des équipes. C’est sur ce dernier point qu’il faut insister car il constitue un verrou qui interdit la construction de la place originale de l’assistant familial dans le placement. « Actuellement, nous pensons que c’est surtout le travail de l’équipe chargée de suivre le placement qui est à revoir ainsi que la participation à ce travail d’un pédopsychiatre ou psychologue psychothérapeute [18][18] M. David, interview à Lien social, septembre 2000.. »

Au terme de ce survol

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Il faut reconnaître l’évolution qu’a subie ce métier de par les bouleversements de notre société, les profondes mutations de la famille et des liens intrafamiliaux, le statut des femmes, les droits des usagers et notamment ceux des enfants, la multiplication des métiers du social, de l’aide, de l’accompagnement, les avancées législatives. La connaissance des traumatismes de l’enfance, des troubles du lien, la souffrance psychique de l’enfant et de ses parents liée à la séparation nous invitent à un autre regard sur le placement.
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Après quelques errements sur la question, je ne crois pas que la solution soit dans une meilleure spécification des accueils renvoyant à une spécialisation des assistants familiaux (certains parlent d’un profilage), mais dans toujours plus d’intégration par un accompagnement sans cesse renouvelé.
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Les évolutions à venir du placement ou de l’accueil familial seront de l’ordre du droit salarial, espérons-le, mais le plus important et délicat sera cette recherche d’équilibre entre les sphères de la vie privée et de la vie professionnelle ; cet exercice que depuis des lustres les assistantes maternelles ont réalisé avec plus ou moins de bonheur dans des contextes moins exigeants, il nous faut désormais le construire au sein de profondes mutations sociétales dans des conditions autrement périlleuses pour la jeunesse.

Attachement

Séparation et placement - Attachement - Le lien d’attachement de la famille d’accueil à l’enfant


Nommé expert à l’Organisation Mondiale de la Santé en 1952 pour étudier les effets du placement des jeunes enfants hors de leur famille, le Dr John Bolwby a pu observer les états de détresse, voire de marasme dans lesquels les enfants s’installaient et leurs efforts désespérés pour créer ou retrouver un lien avec leur mère ou un substitut maternel. Une question s’impose alors à lui concernant la nature de ce lien si indispensable à la survie de l’enfant et si nécessaire pour grandir.

Il reprend à son compte les travaux des éthologistes, puis des psycho-généticiens, définissant dans un ouvrage resté célèbre, "The nature of love", l’attachement comme un lien se construisant avec les figures parentales "dans un but de protection, de réconfort et de soutien". Cette pulsion du lien, qui s’organise dans une relation d’attachement, n’est reliée ni au nourrissage, ni à la sexualité.
Aujourd’hui, le concept d’attachement fait l’unanimité chez les spécialistes de la petite enfance : l’attachement des enfants aux figures parentales est reconnu comme un processus psychologique inné qui orientera les relations affectives de l’être humain avec son environnement, de la naissance à la mort.
L’attachement se caractérise par la nécessité impérieuse de se sentir protégé et en sécurité en présence d’une personne particulière, ou en réduisant par son comportement la distance avec elle et en maintenant le contact même en son absence. Il permet donc de supporter l’absence, le manque, les désillusions engendrées par la confrontation à la réalité de la vie, la solitude de l’être. Le travail de l’attachement se joue dans le rapport à l’autre et à ses limites, afin que des liens puissent être internalisés, symbolisés, rendant ainsi possible une différenciation non destructive et une séparation non mortifère.
La disponibilité de la figure parentale, par sa présence, sa sensibilité aux signes d’appel de l’enfant, sa capacité à développer une sollicitude bienveillante et porteuse de sens, sont les facteurs déterminants de la constitution du lien d’attachement. Les adultes étant perçus comme suffisants, aimants, dignes de confiance et fiables par l’enfant, lui-même peut se représenter comme une personne compétente et digne d’être aimée. C’est seulement si la relation à l’environnement maternel est satisfaisante que l’enfant pourra garder en lui une représentation de cette personne, et pourra s’en éloigner en toute sécurité quand cela deviendra nécessaire.
Au cours de la relation d’attachement, l’enfant est amené à vivre deux mouvements opposés : d’une part, l’installation d’un attachement par une dépendance affective ; d’autre part, l’instauration d’un dégagement, d’une séparation, mouvement essentiel à la formation de sa personnalité et à la construction de son identité.
C’est parce que la mère n’est jamais que "suffisamment bonne", qu’elle présente des inadéquations, des failles, que l’enfant peut désirer acquérir son autonomie et se séparer de l’attachement fusionnel primaire qui le relie à elle. C’est aussi parce que, dans la relation précoce avec sa mère, l’enfant se sera senti tenu, enveloppé, unifié qu’il aura développé un sentiment interne d’unité et de continuité de soi pour ancrer les bases de son individuation. Il n’y a de séparation possible qu’à partir du lien d’attachement ; c’est lui qui fonde le sentiment de sécurité dans l’existence.

Séparation et placement

Partant du lien d’attachement, Terry Brazelton parle d’un lien de "bonding" (forçat) qui rend compte de la complexité et de la difficulté du travail de détachement nécessaire à l’individuation de l’enfant.
Les troubles de la relation précoce mère-enfant sont liés à des inadaptations, ou à des distorsions, dans la construction des liens et dans le développement du processus d’attachement mutuel. Ils peuvent se manifester très tôt au cours de la relation fusionnelle primordiale et influer de façon néfaste sur le déroulement du processus de séparation-individuation. Ces troubles sont susceptibles de se produire à chacune des étapes du processus, mais aussi lors de sa résolution ou du passage vers une autre phase.
Qu’ils surviennent au niveau de la période symbiotique initiale, à celui du déroulement de la relation fusionnelle, ou encore dans le moment de la différenciation et de la constitution de l’objet, ces différents troubles constituent pour Myriam David [1] "le mal de placement". Les perturbations qu’il engendre peuvent se rencontrer dans un contexte de pathologie parentale tel que la "psychose du post partum", dans une situation de carence affective ou sociale intrafamiliale avérée, ou même en l’absence de tout cela.
Lorsque le lien d’attachement est très distordu, ou lorsque la séparation-individuation psychique est impossible, le recours à une séparation physique sous la forme d’un placement s’impose. Le placement devient alors une réponse agie à un trouble de l’attachement.
Le positionnement de l’équipe vis-à-vis de cet acte est essentiel dans sa façon de décoder ce qu’il en est de la demande ou non de placement afin de l’organiser et de mettre en place les moyens d’un traitement adapté.

Attachement et accueil familial

L’accueil familial est un dispositif qui répond à la pulsion d’attachement et qui génère de l’attachement. Il est basé sur la rencontre entre des mouvements complémentaires : ceux de l’accueilli, enfant ou adulte, et ses besoins en attention, présence, affection ; et ceux des accueillants, leurs motivations, leur besoin d’aimer, de réparer, de faire reconnaître en l’autre quelque chose de cet amour.
L’attachement inhérent à la situation d’accueil familial ne dépend ni d’injonctions, ni de mises en garde formulées par les équipes sur le mode du "ne vous attachez pas", qui ne correspondent pas à ce que vivent les familles d’accueil et les accueillis. Les équipes sont plutôt attendues du côté du dispositif d’accueil pour le rendre présent, et incarner un ailleurs, d’autres attachements, participant ainsi à la constitution de liens internalisés et symbolisables.
Quelles que soient les raisons et les modalités concrètes du placement, dans la douleur de la séparation, c’est souvent l’attachement aux parents biologiques idéalisés, ou reconstruits comme dans un roman, qui apparaît de façon spectaculaire. L’observation montre que plus le lien d’attachement est ténu et non représentable pour l’enfant, plus sera ressenti le besoin de rechercher, de retrouver physiquement ses parents d’origine, c’est-à-dire de savoir que l’on a été, à un moment, "aimé inconditionnellement" par quelqu’un.
L’enfant maltraité, par exemple, s’évertue farouchement à défendre et à protéger ses parents, car pour lui est préférable un lien douloureux que pas de lien.
De tels constats témoignent de ce que les parents demeurent toujours des figures d’attachement puissantes pour l’enfant qui devra faire un travail de détachement d’autant plus difficile que ses parents ne sont pas en mesure de l’y aider.
L’une des difficultés de la tâche des familles d’accueil est justement de fournir aux enfants qu’elles accueillent les conditions d’une relation suffisamment stable, fiable et structurante pour permettre aux mouvements affectifs de l’attachement, puis du détachement, de se vivre. Ceci suppose qu’elles mettent en jeu leurs sentiments, leurs émotions, qu’elles s’engagent dans la relation sans s’y perdre, sans s’y brûler les ailes tout en restant l’artisan de ce qui va leur procurer bonheur et souffrance.
L’accueil, le partage, les échanges de sourires, la richesse et la diversité des interactions adaptées, toutes ces fonctions qu’on peut qualifier de maternantes ne sont pas en relation directe avec la filiation biologique, même s’il est plus facile de les exercer avec ses propres enfants.
Elles sont le fait d’un environnement maternel constant et sécurisant, ce qui est une façon de définir un versant des qualités offertes par les familles d’accueil. C’est la rencontre entre un enfant en construction psychique, mobilisé par la mise en forme de ses pulsions internes, et un environnement contenant, proposant des modèles identificatoires structurants, qui va permettre l’établissement de racines internes et d’ancrages relationnels solides.
Le besoin d’attachement doit rencontrer un objet d’attachement pour prendre la forme d’un lien, que ce mouvement passe par la sensorialité, l’affectivité, la sociabilité. C’est une relation affective qui attache, crée de la dépendance, de l’amour qui permet de grandir, de se séparer, de garder l’objet aimé à l’intérieur de soi, même s’il est parti et qu’il s’est éloigné.
L’amour appelle la réciprocité, l’échange et donne de la valeur, de la reconnaissance, de la légitimité. Mais l’offre affective des familles d’accueil et leur demande d’amour sont mises à rude épreuve lorsqu’elles sont les témoins d’un attachement serré, indéboulonnable, infantile, parfois morbide, en tous cas difficilement déjouable, de l’enfant à sa "mère de naissance" ; et lorsqu’elles en subissent les conséquences à travers les manifestations de souffrance de l’enfant qui peuvent aller jusqu’au rejet de tout ce qui vient de la "mère d’accueil". Lorsque celle-ci est vraiment très engagée dans sa relation d’attachement avec l’enfant, elle est très éprouvée de le voir pris dans une spirale infernale qui fait apparaître son attachement à sa mère sur un mode pathologique évoquant celui de l’emprise.

Le lien d’attachement de la famille d’accueil à l’enfant

Les familles d’accueil ont toujours peur que les enfants les récusent plus tard, les oublient, leur reprochent de ne pas être leurs vrais parents. L’expression de ces craintes cache le sentiment d’usurper une place auprès des enfants, dans le cœur des enfants. Il s’agit également de la crainte que les enfants les rendent responsables de la séparation d’avec leurs parents.
Toutes disent faire ce métier parce qu’elles aiment les enfants. Cet amour représente pour elles une valeur fondatrice et un garant de l’authenticité de leur offre d’accueil. Elles disposent, il est vrai, de ressources d’amour, de disponibilité, de patience, de tolérance, pour répondre aux demandes incessantes et contradictoires des enfants qu’elles accueillent.
Autant d’attitudes qui les rendent vulnérables aux comportements de rejet des enfants à leur égard auxquels elles peuvent réagir en se déprimant, en devenant agressives ou en n’instaurant pas les limites qu’elles ont pourtant su imposer à leurs propres enfants. La peur confuse de l’avenir, la conscience du temps qui est compté, peuvent parfois provoquer une affectivité débordante, vécue au quotidien dans des attitudes de surprotection inquiète, oublieuse d’une nécessaire et future séparation. Elles risquent alors d’étouffer l’enfant sous un amour envahissant, culpabilisant, ne lui permettant pas de tisser des liens d’attachement symboliques intériorisés.
Ces phénomènes se traduisent par les recommandations, parfois faites par les équipes, parfois seulement entendues comme telles par les familles d’accueil, de ne pas s’attacher à l’enfant qui leur est confié, pensant ainsi leur éviter les souffrances liées à des mouvements affectifs qui s’avèrent pourtant incontournables, et même recherchés, entre famille d’accueil et enfant.
Lorsque l’équipe néglige l’attachement pour se préserver d’une confrontation à la souffrance de la famille d’accueil et à celle de l’enfant, elle se prive d’une élaboration de ces affects, et par-là même prive l’accueil familial de sa dimension sociale et thérapeutique. Alors que l’apport principal d’une famille d’accueil est de "maintenir vivante l’affectivité de l’enfant" (David 1989).
C’est la rencontre avec l’autre, au sein d’une relation stable, fiable, investie, créatrice de liens affectifs et d’un attachement mutuel, qui en est la matrice. "Les parents n’ont pas le monopole d’être les autres humanisants, et à partir du moment où d’autre humains se mettent en position de relation, d’intérêt et d’investissement affectif, (...) l’enfant est sauvé" (Clément 1993).
Les mouvements décrits ici à propos des besoins des enfants se retrouvent, dans une moindre mesure, dans les accueils d’adultes, tant l’accueil familial inscrit pour chacun la relation au cœur de processus dans lesquels se vivent ou se revivent les instants fondateurs du sujet dans ses rapports aux autres.

vendredi 1 septembre 2017

Les violences faites aux enfants sont de graves atteintes à leur intégrité physique et mentale, ainsi qu’à leurs droits.

L'exposition précoce à la violence a été reconnue par la communauté scientifique internationale comme la principale cause de mortalité précoce et de morbidité à l’âge adulte. Il s’agit d’une urgence humaine et sociale, et c’est un problème majeur de santé publique.
Fréquentes et répandues dans tous les milieux, les violences sont avant tout commises par des personnes censées protéger les enfants. Elles s’exercent dans le cadre de rapports d’inégalité, de privilège et de domination des hommes sur les femmes et les filles, des adultes sur les enfants. Plus les enfants sont vulnérables et en situation de handicap et de discrimination, plus ils subissent de violences. Les enfants sont les principales victimes de violences sexuelles, les filles bien plus que les garçons : 81% des violences sexuelles débutent avant 18 ans, 51% avant 11 ans, 21% avant 6 ans (Enquête IVSEA, 2015).
Dans le monde, un enfant sur quatre a subi des violences physiques, une fille sur cinq et un garçon sur treize des violences sexuelles, un enfant sur trois des violences psychologiques (Enquête Hillis citée par l’OMS 2016). En France, nous avons très peu de chiffres et pas d’enquête de victimation directe auprès des enfants, mais à partir de celles faites auprès d’adultes qui rapportent les violences subies dans leur enfance, on peut estimer que chaque année, plus de 124 000 filles et 30 000 garçons subissent des viols ou des tentatives de viols (CSF 2008, CVS-ONDRP 2012-2015), 140 000 enfants sont exposés à des violences conjugales (CVS-ONDRP 2012-2015), et au moins 300 enfants sont tués (environ 100 homicides d’enfants de moins de 15 ans sont rapportés chaque année par la police et la gendarmerie et au moins 200 décès inexpliqués d’enfants de moins de 1 an seraient en réalité des homicides, Turz, 2010).
les chiffres dans le monde
Destructrices et traumatisantes, les violences ont de très lourdes répercussions sur la vie, le développement, le comportement, la scolarité et la santé des enfants avec des atteintes physiques, psychiques et neurologiques, endocriniennes et immunitaires et même génétiques qui risquent de les impacter dès leur vie foetale (violences lors de la grossesse), à leur naissance, et tout au long de leur vie. Le cerveau des enfants est très vulnérable aux violences et au stress extrême. (voir page violences faites aux enfants).
les chiffres en France
La très grande majorité des enfants victimes de violences ne sont jamais protégés, ni reconnus. Ils n’ont que rarement accès à la justice et à des réparations. Leurs traumatismes psychiques à l’origine des très lourdes conséquences sur leur développement et leur santé à long terme, ne sont presque jamais pris en charge.
Ces enfants en danger sont condamnés à survivre seuls aux violences ainsi qu’à leurs conséquences psychotraumatiques, et plus particulièrement à une mémoire traumatique qui leur fait revivre à l’identique les pires moments comme une torture sans fin. Afin d’échapper à cette souffrance intolérable, les enfants mettent en place, tout au long de leur vie, des stratégies de survie hors norme pour s’anesthésier émotionnellement (ce sont des conduites dissociantes comme des addictions à l’alcool ou la drogue, des mises en danger, des troubles alimentaires, etc.). Ces stratégies qui sont des tentatives désespérées d’auto-traitement sont très préjudiciables pour leur santé, et leur vie qualité de vie, elles aggravent leur vulnérabilité et le risque de subir de nouvelles violences, elles sont rarement rapportés aux violences par les professionnels de la santé, et elles leur sont très injustement reprochées.

AVOIR SUBI DES VIOLENCES DANS L’ENFANCE
- est la principale cause de décès précoces à l’âge adulte,
- le déterminant principal de la santé 50 ans après,
- et peut faire perdre 20 ans d’espérance de vie,
comme l’ont démontré de grandes études épidémiologiques internationales sur les ACE depuis 1998 (Adverse Childhood Experience, les expériences négatives de l’enfance : Felitti et Anda, 1998, 2010, Hillis, 2016, Brown, 2009), cf dossier.
Ces études révèlent que les principaux facteurs de risque pour la santé et les principales maladies mentales et physiques à l’âge adulte ont de très forts liens avec des violences subies dans l’enfance. Ce risque est gradué en fonction de la gravité des violences et de leur nombre.
les risques
LE PRINCIPAL FACTEUR DE RISQUE, TOUT AU LONG DE SA VIE
- de se suicider ou de faire des tentatives de suicides,
- d’être alcoolique, toxicomane, tabagique,
- d’être obèse,
- d’avoir des comportements à risque,
- d’être déprimé,
- d’avoir une grossesse précoce,
- de se retrouver en situation de précarité, de marginalisation ou de situations prostitutionnelles,
- de subir de nouvelles violences, ou de commettre des violences
EST D’AVOIR SUBI DES VIOLENCES DANS L’ENFANCE.
De très forts liens sont également retrouvés avec de nombreux troubles psychiatriques, cardio-vasculaires, endocriniens et gynécologiques, avec des maladies auto-immunes et neurologiques, des infections sexuellement transmissibles, des cancers, des ostéo-arthrites, des douleurs chroniques, etc.
Pour ces enfants cette absence de protection et de prise en charge est une lourde perte de chance en termes de santé, de développement, de vie affective, de scolarité, d’insertion sociale et professionnelle, elles aggravent les inégalités et mettent en danger la cohésion sociale. Cette perte de chance est d’autant plus scandaleuse que les soins sont efficaces et permettent d’éviter la répétition des violences et la plupart des conséquences à long terme.
Sortir du déni, protéger et soigner ces enfants est un impératif humain absolu et une urgence de santé publique et nécessite une volonté politique forte.
Je m’engage
En tant que président de la République, candidat-e à la présidentielle, membre du gouvernement, responsable politique, parlementaire, élu-e, responsable institutionnel-le, d’association, personnalité de la vie civile, professionnel-le, citoyen-ne, et en fonction de mes responsabilités et des pouvoirs que me confèrent mes fonctions et mes statuts :
  1. à lutter contre le déni en m’informant et en informant, en prenant connaissance du dossier du manifeste, en soutenant des campagnes d’information et de sensibilisation sur les violences et leurs conséquences, la formation de tous les professionnels, des enquêtes de victimation auprès des enfants et des programmes de recherches sur les conséquences de ces violences.
  2. à reconnaître la gravité de ces violences et l’urgence d’agir en soutenant la mise en place, en urgence, de plans de lutte ambitieux contre les violences faites aux enfants, afin que ce soit une priorité politique et de santé publique, et la création d'un observatoire national sur les violences faites aux enfants, leur impact et la prise en charge des victimes.
  3. à respecter et faire respecter la loi et le droit des enfants à ne subir aucune forme de violence, en n’exerçant et en ne tolérant aucune forme de violences envers les enfants y compris les châtiments corporels et les violences éducatives, et en faisant respecter la Convention Internationale des Droits de l’Enfant.
  4. à lutter contre la loi du silence en prenant en compte la parole des enfants, leur souffrance et les dangers qu’ils courent, et en leur posant régulièrement des questions pour savoir s’ils subissent ou ont subi des violences, en soutenant la formation des professionnels au dépistage.
  5. à m’investir dans la prévention, en soutenant des programmes de prévention dans le cadre scolaire pour informer sur la réalité des violences sexuelles, sur la loi, et pour promouvoir les droits des enfants, l’égalité homme-femme et la lutte contre les discriminations et en soutenant des campagnes d’information grand public.
  6. à protéger les enfants victimes de violences, en signalant les enfants victimes de violences et en diffusant des information sur le 119, les CRIPS, le Parquet des mineurs) en soutenant la refonte de la Protection de l’Enfance et de la Protection Judiciaire de la Jeunesse, afin d’améliorer la prise en charge des victimes et des agresseurs mineurs.
  7. à prendre en compte la souffrance et le traumatisme des enfants et des adultes qu’ils sont devenus, et la nécessité de soins spécifiques par des professionnels formés en soutenant l’information du grand public sur les psychotraumatismes et leurs mécanismes, la formation des professionnels de la santé en initial et en continu, la recherche sur les conséquences des violences sur la santé et sur les moyens de les prévenir et de les traiter, la mise en place en urgence de centres de santé pluri-disciplinaires accessibles pour toutes les victimes et proposant des soins et une prise en charge globale sans frais par des professionnels compétents et formés dans chaque département.
  8. à lutter contre l’impunité et à permettre aux victimes d’obtenir justice et réparation, en soutenant une amélioration des lois conformément aux exigences de la Convention du Conseil de l’Europe et une meilleure application de celles-ci, en formant les policiers, les gendarmes et les professionnels de la justice, en rendant les procédures plus accessibles et plus protectrices pour les enfants et les adultes qui ont été victimes dans l’enfance, en soutenant la suppression du délai de prescription ou tout au moins son allongement.
  9. à être solidaire et à accompagner au mieux ces enfants et les adultes qu’ils sont devenus en soutenant et en facilitant les programmes d’aides scolaires, sociales, d’insertion professionnelle, et de reconnaissance d’un statut de victime ouvrant des droits juridiques et sociaux, pour assurer leur sécurité personnelle, sanitaire et financière.
  10. à protéger les parents protecteurs et les professionnels de santé qui signalent des violences en soutenant la protection des professionnels de santé (vis à vis de la justice, et du conseil de l’ordre des médecins) qui signalent des maltraitances sur des mineurs ou des personnes vulnérables, et qui établissent des certificats médico-légaux pour des victimes de violences.
Muriel Salmona
Présidente de l’association Mémoire Traumatique et Victimologie
Coordinatrice de la campagne STOP AU DÉNI 2017
ILS N’ONT PAS PEUR !…

Où comment les victimes non seulement ne sont pas protégées mais sont mises en danger.
Dre Muriel Salmona, 4 mars 2017 Le monde à l’envers !

En l’espace de deux jours, une succession de traitements judiciaires particulièrement inhumains concernant des victimes de violences nous a laissés sous le choc. Nous avons découvert avec horreur les graves dysfonctionnements, l’absence de protection et les mises en danger inconcevables qui ont abouti à des viols et une grossesse pour une enfant de 12 ans, à la mort par homicide d’un enfant de quatre ans, et à la libération par erreur d’un homme accusé d’avoir violé quatre jeunes femmes, qui en a profité pour frapper et violer une ex-compagne.

Ces trois situations étaient parfaitement évitables puisque la justice avait déjà eu connaissance de violences qui avaient fait l’objet de plaintes, mais pour les deux premières les agresseurs étaient restés impunis et les victimes n’avaient non seulement pas été protégées, mais avaient été remises à leurs bourreaux, et pour la troisième une femme a été exposée à un homme accusé de plusieurs viol, libéré par erreur. Trois situations hallucinantes rapportées par la presse en deux jours

La première situation est celle d’une fille de 12 ans chez qui on découvre une grossesse. lors d’un examen échographique pour douleurs abdominales. Elle refuse de dire précisément qui est le géniteur et parle de copains lors d’une soirée… C’est la recherche d’ADN sur le fœtus qui va désigner celui qui l’a violée : son beaupère. Elle dénonce alors les viols qu’il lui a fait subir. Et si elle n’a pas parlé dans un premier temps, c’est parce qu’elle l’avait déjà fait en vain 5 ans auparavant : à l’âge de 7 ans elle avait eu la force de dénoncer les agressions sexuelles que lui faisait subir son beaupère. Mais celui-ci avait nié et avait été relaxé à deux reprises par le tribunal correctionnel. Et c’est ainsi que cette enfant dont la parole n’a pas été crue s’est retrouvée exposée à nouveau à son agresseur. Ce dernier  bénéficiant de son impunité a pu à nouveau l’agresser et la violer.Et malgré l’ADN il continue à nier…

La deuxième situation est celle d’un père divorcé qui constate sur son fils 2 ans des hématomes après l’avoir récupéré chez son exfemme et son nouveau conjoint, il fait constater les lésions à l’hôpital et il porte plainte contre le beau-père. Il récupère dans un premier temps la garde de son fils, mais une enquête sociale lui est défavorable, le suspectant même d’être l’auteur des hématomes constatés. Le père demande une nouvelle enquête qu’il n’obtient pas. Sur la foi de cette enquête sociale, le juge aux Affaires familiales confie alors la garde à la mère. Le père s’y oppose, il est mis en garde à vue à deux reprises et les gendarmes récupèrent l’enfant qui est alors confié à sa mère. L’enfant a 4 ans, 3 mois plus tard il décède, l’autopsie révèle une fracture du crâne, le beau-père est mis en examen et placé en détention provisoire. La plainte pénale de départ a été classée sans suite, après, comme seule
investigation, une audition du beau-père qui a nié et a été soutenu par la mère. Pourtant le beau-père de 22 ans avait déjà été condamné plusieurs fois pour violences…

La troisième situation est celle d’un homme accusé par quatre jeunes femmes de viols, en détention provisoire qui a été libéré par erreur par l’administration judiciaire. ll a été arrêté 10 jours après chez une ex-compagne qui l’accuse de l’avoir frappée avec une ceinture et de l’avoir violée. Il est mis en examen pour agression sexuelle sur personne vulnérable, comme cela arrive fréquemment l’infraction de viol a été déqualifiée en agression sexuelle,(au moins 40% des agressions sexuelles jugées en correctionnel sont en fait des viols déqualifiés, étude du TGI de Bobigny et de l’Observatoire des violences envers les femmes du 93, 2015).
Chronique d’injustices inconcevables Il s’agit d’une chronique malheureusement ordinaire qui égrène des mises en danger et  des injustices inconcevables, et nous plonge dans un monde inhumain et incohérent, où les victimes de violences - fussent-elles les plus vulnérables - sont abandonnées le plus souvent sans aucune protection, voire même livrées à leurs bourreaux par un appareil socio-judiciaire totalement sourd à leurs témoignages, à leurs détresses et à leurs souffrances.

Ces trois situations rapportées par la presse ne sont malheureusement pas l’exception, elles reflètent l’injustice et l’absence de protection effarantes que subissent les victimes de violences, particulièrement les femmes et les enfants, pas seulement par la justice mais par toute la société. Personne ou presque n’a peur pour les victimes et pour les futures victimes, malgré l’ampleur et la gravité connues des violences. Et les exemples foisonnent de victimes en grand danger, menacées de mort ayant alerté en vain les pouvoirs publics. Ces injustices et ce manque inconcevable de protection, c’est ce que j’observe quotidiennement dans mon activité de psychiatre spécialisée en psychotraumatologie, et je l’ai à plusieurs reprises dénoncé, plusieurs de mes articles comme La nausée…, et La victime c’est la coupable reprenaient de nombreuses situations choquantes puisées dans ma consultation, de nombreux
témoignages dans mes blogs, sites et livres en faisait état (1). Et j’ai lancé également un appel à soutien et une pétition pour qu’une victime de viol en réunion à 14 ans, puis à nouveau à 16 ans pour la punir d’avoir porté plainte, soit enfin protégée des menace de viols et de mort qu’à 21 ans elle et sa famille continuaient toujours à subir sans que rien ne soit mis en place pour les protéger.

La situation tout aussi inhumaine d’une jeune patiente Je peux donner, en plus de ces exemples, celui d’une jeune patiente qui a actuellement 25 ans. Elle a dû interrompre ses études en première, elle vit seule avec sa mère, elle ne peut pas sortir, elle est dans l’incapacité de travailler et est reconnue adulte handicapée. Elle présente de très graves troubles psychotraumatiques consécutifs à des violences physiques et sexuelles commises par son père. Pour elle aussi la justice est restée sourde à ses appels et l’a exposée à son bourreau qui a fini par la violer à l’âge de 7 ans, alors qu’elle avait dénoncé et même écrit au juge des enfants les agissements de son père. Père, qu’elle était obligée de voir, malgré les nombreuses démarches et signalements de sa mère qui s’était séparée de lui après de graves violences conjugales alors que sa fille avait 3 ans, et malgré des menaces et un harcèlement permanents après la séparation. Toutes les semaines elle devait rester une journée qui lui paraissait une éternité dans un studio sordide sans rien pour s’occuper, la peur au ventre, avec un père alcoolisé, violent qui s’amusait à la terroriser en permanence. C’était une torture. Il lui faisait croire qu’il avait une bombe dans sa poche et qu’elle allait exploser (il comptait 10, 9, 8, 7, 6…), il lui interdisait de s’enfermer dans les toilettes et ouvrait brutalement la porte la menaçant avec une fourchette à la main en hurlant, urinait devant elle, se mettait nu pour qu’elle apprenne ce qu’était un homme, passait sa main sous son pull pour toucher sa poitrine, ne lui donnait pas à manger de la journée, etc. Tout cela elle l’avait écrit au juge sans que rien ne change, les psychiatres qui suivaient son père (il faisait régulièrement des séjours en hôpital psychiatrique) avaient fait des certificats pour dire à quel point il était essentiel pour lui et pour son équilibre de voir sa fille régulièrement. L’enquête sociale et les expertises psy ont été plutôt
à charge pour la mère qui était considérée comme trop angoissée, fusionnelle avec sa fille, la protégeant trop. Jusqu’à ce qu’il la viole, ce jour là, il n’a pas pu la ramener à l’heure, elle se trouvait, se rappelle-t-elle, dans un tel état de choc physique et psychique, qu’elle était incapable de marcher. Sa mère paniquée est allée à la police, une fois de plus. La petite, une fois rentrée n’a pas pu parler du viol à sa mère, celle-ci a pu constater qu’elle n’était plus la même. Cet important retard a été pris en considération par la juge, et elle n’a plus vu son père seule mais chez son oncle, ce qui, rapidement, n’a plus intéressé son père. Il a arrêté les visites, mais il a continué à les harceler à distance. Ce n’est que bien des années plus tard, en psychothérapie, parce qu’elle est enfin sortie de son état dissociatif post-traumatique qui la maintenait en état d’anesthésie émotionnelle et d’amnésie de survie qu’elle a revécu le viol dans d’atroces souffrances et qu’elle pu en parler. Son père continue encore de la terroriser, il sait où elle habite, sa mère traumatisée est en arrêt longue durée, elle n’a pas obtenu d’appartement social dans une autre commune ce qui les protégerait. Elles ont un immense besoin de justice et vont à nouveau tenter de faire valoir leurs droits en étant cette fois-ci accompagnées et défendues.

Pourquoi malgré des chiffes accablants, si peu de personnes se mobilisent. Comment est-il possible qu’on tolère dans un silence assourdissant et dans la plus grande indifférence, que chaque année, au moins 400 enfants soient tués dans leur famille, et que 120 à 140 femmes le soient tuées par leur partenaire ou ex-partenaire. Depuis le début de cette année, ce sont au moins 21 femmes qui ont déjà été tués par leur partenaire ou ex-partenaire (nous venons d’apprendre ce jour l’assassinat de la 21ème, une femme de 37 ans, mère de 3 jeunes enfants de 2, 4 et 5 ans, qui a été abattue froidement par son exconjoint). En 2015 ce sont 122 femmes et 22 hommes qui ont été tuées par leur partenaire ou ex-partenaire, les femmes ont été tuées le plus souvent lors d’une séparation, et 36 enfants ont été tués dans le cadre de violences au sein du couple. 223 000 femmes âgées de 18 à
75 ans ont été victimes de violences conjugales dans leurs formes les plus graves. 84 000 femmes âgées de 18 à 75 ans ont subi des viols et des tentatives de viols dont 54 000 par des personnes vivant avec la victime, et 14000 hommes.

Les enfants sont encore plus touchés, ils sont les principales victimes de violences sexuelles, les filles en premier lieu qui sont chaque année 124 000 à avoir subi des viols et des tentatives de viols, et 30 000 garçons, les viols sont commis par un membre de la famille pour la moitiés d’entre elles et eux (2). Malgré ces chiffres intolérables, le manque de protection des femmes et des enfants victimes de violences reste structurel.
Dans notre enquête de 2015, Impact des Violences sexuelles de l'enfance à l'âge adulte, les victimes de violences sexuelles étaient 83% à témoigner n'avoir jamais été protégées, ni reconnues (3). Même si les plans de lutte contre ces violences (5ème plan national pour lutter contre les violences faites aux femmes, et depuis mars 2017 1er plan de mobilisation et de lutte contre les violences faites les enfants)  mis en place par le gouvernement permettent des avancées, elles sont encore très insuffisantes, et les faibles budgets qui y sont consacrés, montrent bien qu'il n'y a pas de réelle volonté politique pour que cessent ces violences.
Mobilisation et solidarité pour les victimes manquent à l'appel. Il faut bien se rendre à l'évidence les crimes intra-familiaux, conjugaux, et sexuels ne font pas suffisamment horreur. On se heurte d’une part à un déni tenace du côté de ceux qui veulent maintenir le privilège  d’exercer des violences pour maintenir leur domination, d’autre part à une sorte d’indifférence et d’aveuglement de ceux qui ne sont pas attachés à la violence comme instrument de pouvoir et qui pourraient dénoncer clairement les violences et protéger et secourir les victimes. Que se passe-t-il pour ces derniers ? La violence a un formidable pouvoir de dissociation et de soumission La violence sidère, paralyse et impacte les cerveaux des victimes et de ceux qui en sont témoins, des mécanismes de sauvegarde neurobiologiques se mettent alors en place, qui s’apparentent à une disjonction des circuits émotionnels et de la mémoire. Cette disjonction anesthésie et déconnecte émotionnellement les victimes, c’est ce qu’on appelle la dissociation traumatique, elle perdure tant
que la victime reste exposée à l’agresseur et au danger. Les victimes dissociées « tolèrent », du fait de cette anesthésie, des niveaux très élevés de violence et sont privées de tout moyen de défense, ce qui facilite grandement leur mise sous emprise, et les rend très vulnérables à d’autres violences. Elles donnent l’impression qu’elles sont indifférentes, leurs interlocuteurs ne vont rien ressentir (leurs neurones miroirs ne vont pas s’activer), ils n’auront pas peur pour elles, considéreront qu’elles ne sont pas vraiment traumatisées (alors qu'elles ont de très importants troubles psychotraumatiques) et qu’il n’est pas nécessaire de les protéger, quand bien même ils sont au courant de graves violences. Cette dissociation traumatique explique donc l’indifférence généralisée qui entourent beaucoup de victimes. Il suffirait que les victimes et les proches connaissent ces mécanismes psychotraumatiques et que  les professionnels  y soient formés pourpour ne plus être piégés par cette anesthésie émotionnelle, et pour mieux analyser le danger couru et y réagir de façon adaptée et efficace. En sachant qu'aussitôt qu’elle est protégée, la victime sort de son état de dissociation et est dans la capacité d’exprimer ses émotions. La violence a un formidable pouvoir de colonisation, elle impose sa loi et ses rationnalisations mystificatrices Le mécanisme psychotraumatique de disjonction entraîne également chez la victime et chez les témoins une interruption du circuit de la mémoire, qui va rester bloquée sans être analysée, ni intégrée, ni contrôlée par les fonction supérieures. Cette mémoire traumatique des violences contient le vécu et les ressentis de la victime, mais également de façon indifférenciée la mise en scène, la haine, le mépris et les discours de l’agresseur. Elle va envahir la victime ou les témoins dès qu’un lien rappelle les violences, leur faisant revivre à l’identique les violences comme une machine à remonter le temps. Elle va coloniser leur psychisme, non seulement avec les sensations, les émotions et les douleurs ressenties lors des violences, mais aussi les phrases de l’agresseur justifiant les violences, culpabilsant les victimes qui seront perçues par les victimes et les témoins comme provenant de leurs propres pensées :
« c’est normal, c’est de ta faute, tu l’as bien cherché, tu l’as mérité, ce n’est pas si grave, c’est pour ton bien, etc. ». C’est ainsi que le discours mystificateur des agresseurs colonise de proche en proche les enfants dès leur plus jeune âge et toute la société, et s’installe et s’impose comme une pseudo-vérité normalisant les violences, dédouanant les agresseurs et mettant en cause les victimes. Avec ce mécanisme la violence est considérée comme une fatalité, et les victimes comme coupables de l’avoir provoquée par leur comportement. Face à ce discours agresseur colonisateur, la loi et les droits universels des victimes ne sont pas suffisamment reconnus pour faire le poids et être des remparts efficaces contre une liberté toute-puissante revendiquée pour justifier les violences ; « c’est ma famille, mes enfants, ma femme je fais ce que je veux, personne n’a à s’en mêler ». Il est essentiel de comprendre ce mécanisme psychotraumatique, et de rappeler que les victimes avaient le droit de désobéir, de s’opposer, de dire non, d’être « contrariantes  », «frustrantes », de s’habiller ou sortir comme elles le voulaient, de décider de se séparer, les agresseurs en revanche n’avaient en aucun cas le droit de les frapper de les violer, ou de les tuer pour cela. Les enfants, les femmes dans notre univers inégalitaires sont encore trop souvent considérés comme ayant moins de droit, comme appartenant à leur parent, à leur conjoint. Ils sont chosifiés, instrumentalisés, et ce pouvoir de possession peut aller jusqu’à la volonté de les détruire, de les tuer. Le droit du plus fort : les violences comme privilège Dans ce monde à l’envers, le droit du plus fort s’impose. La violence est un privilège de dominants qui, comme nous l’avons vu, revendiquent la liberté de faire ce que bon leur semble dans leur famille, leur couple, et dans le cadre de leur sexualité, sans référence aux droits de leurs victimes. La mémoire traumatique du discours agresseur, non repérée et déconnectée qu’elle est des fonctions supérieures peut imposer des incohérences qui ne seront pas dénoncées ou si peu. Elle peut faire croire qu’aimer est compatible avec soumettre, frapper, détruire, violer…  qu’éduquer est compatible avec frapper, injurier, humilier,
terroriser… Et c’est ainsi que sous couvert d’amour et d’éducation, une véritable culture de la violence transmise de génération en génération règne au sein de beaucoup de couples et de familles. Ces lieux censés être les plus protecteurs sont en réalité ceux où s’exercent le plus de violences, les filles et les femmes y étant de loin les principales victimes des violences sexuelles et conjugales qui s’y exercent (de 3 à 7 fois plus que les garçons et les hommes). Ces violences essentiellement masculines, qu’elles soient physiques, verbales, psychologiques, sexuelles ou économiques, et qu’elles se présentent sous la forme de maltraitances, de violences conjugales ou de violences éducatives, se retrouvent dans toutes les couches de la société. Elles transforment l’univers familial en une zone de nondroit, et en vivier de production de violences à venir. Cette culture de la violence qui banalise et minimise les violences, met en cause les victimes, et organise le déni de leurs conséquences, est alimentée par de nombreux stéréotypes et une profonde méconnaissance des conséquences psychotraumatique des violences, et de leur impact en matière de santé publique. Le risque d’atteintes à l’intégrité physique et psychique avec des conséquences très lourdes sur la santé à long terme et sur la vie des victimes n’est pas pris en compte.

On sait maintenant qu’avoir subi plusieurs sortes de violences dans l’enfance est le déterminant principal de la santé même 50 ans après, peut faire perdre jusqu’à 20 ans d’espérance de vie, et est le facteur de risque principal de subir de nouvelles violences tout au long de sa vie et d’en commettre (Felitti et Anda, 2010 ; McFarlane, 2010, Brown, 2009, Hillis, 2016) (4). La culture du déni Les professionnels censés protéger les victimes sont pour la plupart colonisés par une culture du déni et de la mise en cause des victimes provenant du discours colonisateur des agresseurs. Cette culture au service des dominants et de leurs privilèges, a le pouvoir de tout inverser et de décrédibiliser par tous les moyens, même les plus incohérents et scandaleux, en toute indécence. Alors que les victimes de violences face à cette culture du déni, de la culpabilisation et une loi du silence qui leur sont imposées portent
rarement plainte (14% pour les victimes de violences conjugales, moins de 10% pour les victimes de violences sexuelles), on va leur reprocher de ne pas l’avoir fait, ou de l’avoir fait trop tard, et le peu qui le feront seront soupçonnées de  mentir, de vouloir se venger, de chercher à obtenir de l’argent. Et le peu de personnes qui les soutiennent et essaient de les protéger seront fréquemment, elles aussi, mises en cause, accusées de diffamation, condamnées pour non-présentation d’enfants, et pour les professionnels et la santé de trahir le secret professionnel ou de faire des certificats de complaisance. Des parents, des proches et des professionnels protecteurs mis en cause Le cas des parents protecteurs (des mères le plus souvent) est pour cela un cas d’école, si elles se séparent de leur conjoint violent envers leur enfant, on va presque systématiquement les soupçonner d’être manipulatrices, et ne pas tenir compte de la parole de l’enfant victime considéré comme victime d’une aliénation parentale de la part de la mère, syndrome pourtant invalidé par la communauté scientifique internationale. Comme toujours, dans ces situations, il est imposée au parent protecteur un choix impossible destiné à le rendre coupable de toute façon, soit il reste, terrorisé par les menaces, ne dit rien, essaie de protéger comme il peut son enfant des violences, et pourra être accusé de complicité et de nonassistance à mineur en danger, soit il part et dénonce les violences et on l’accusera d’aliéner son enfant pour obtenir un divorce avantageux ou pour se venger, et risquera d’être condamné et de perdre la garde de son enfant qui pourra alors être livré au parent agresseur, soit il reste et dénonce les violences en courant de grand risques de subir des violences encore plus importantes dont il a tous les risques de ne pas être protégé par la police et la justice. Impunité des agresseurs, non-protection et abandon des victimes sont la règle Le principe de précaution est utilisé au seul bénéfice des agresseurs désignés, surtout s’ils jouissent d’une position sociale dominante face à des victimes appartenant à des catégories discriminées. Tant pis pour elles, elles n’avaient qu’à pas être aussi faibles, c’est une «
faute » qui leur donne moins de valeur, moins de légitimité, moins de crédibilité. L’impunité est la règle. Pour les violences conjugales, seuls 7% de l’ensemble des faits de violences ont été condamnés, pour les viols, seuls 1% font l’objet d’une condamnation, et alors que les viols touchent tous les milieux sans exceptions, ceux qui sont condamnés sont en grande majorité issus de milieux socio-culturels défavorisés (2). Pour les 10% de viols pour lesquels une plainte est déposée, 70% sont classées sans suite pour les viols sur adultes et 60% pour les viols sur mineurs. Les justifications données à ces classements sans suite sont avant tout des preuves insuffisantes (les fausses allégations ne sont que très rarement évoquées). Les expertises psychiatriques et psychologiques, faute de formation obligatoire des experts, ne recherchent et ne prennent en compte que très rarement les conséquences psychotraumatiques, et peuvent même nuire aux victimes en se référant à la place à des troubles psychiatriques lourds ou à des concepts psychanalytiques particulièrement inadaptés  dans le cadre de violences. Au final, il y a des risques très importants de classement sans suite : si le mis en cause ne reconnaît pas les faits, s’il n’y a pas de traces physiques et de preuves ADN, si d’autres victimes ne sont pas connues (le plus souvent elles ne sont ps recherchées lors de l’enquête préliminaire), si la victime connaît l’agresseur, si elle est trop jeune, trop handicapée, trop traumatisée pour avoir un récit et des comportements «  cohérents  », si elle a des troubles psychiatriques, si elle était alcoolisée, droguée…  (Rapport de recherche de Véronique Le Gaouziou, ORDCS, 2016)

Des lois inadaptées faisant obstacle aux droits des victimes Les lois actuelles permettent de condamner les agresseurs mais il faut avant tout qu’elles soient appliquées. Il reste des choses à améliorer qui peuvent faire obstacle aux droits des victimes d’obtenir justice et réparation, notamment les délais de prescription, c’est pour cela qu’avec de nombreuses autres associations nous réclamons une imprescriptibilité pour les crimes. De même, la loi Perben II de 2004 qui autorise la déqualification des infractions est une atteinte grave aux droits des victimes (avec
cette loi un viol peut être déqualifié et jugé en tant qu‘agression sexuelle par exemple). Le droit de correction pour les parents doit être abrogé, il est indispensable que les châtiments corporels et les violences éducatives soient à nouveau interdits explicitement, 75% des situations de maltraitances sont commises dans le cadre de punitions corporels, depuis le début de l’année, les six homicides d’enfants qui ont été rapportés par la presse ont tous été commis lors de punitions. Les lois concernant les agressions sexuelles et les viols reposant sur la notion d’absence de consentement, il faut prouver le nonconsentement à des actes sexuels de la victime, pour cela il faut prouver l’utilisation de la violence, menace, contrainte (physique ou morale) ou surprise par l’agresseur.

Cela veut dire que toute personne, même un enfant est censé pour la loi être consentant à des actes sexuels même si ces actes sont interdits (mineurs de moins de 15 ans avec un adulte, de 15 à 18 ans avec un ascendant ou une personne ayant autorité). Un acte sexuel sur un enfant pourra ne pas être qualifié comme une agression sexuelle ou un viol si on n’a pas pu prouver la violence, menace, la contrainte ou la surprise mais comme une atteinte sexuelle si l’enfant a moins de 15 ans, ou si, entre 15 et 18 ans, il est commis par un ascendant ou une personne ayant autorité. La jurisprudence fait que pour un enfant de moins de 5 ans, le consentement peut être considéré comme invalide même si on ne peut pas prouver la violence, la menace, la contrainte et la surprise, et la contrainte morale a été mieux définie en 2010 et peut être reconnue lorsqu’il s’agit d’un ascendant, d’un adulte ayant autorité ou abusant de ses fonctions sur un enfant, ou quand il y a une différence d’âge importante, mais cela reste à l’appréciation des juges. Cette notion de consentement à des actes sexuels est particulièrement choquante et inappropriée, quand il s’agit d’enfants et de personnes handicapées mentales. Elle est un obstacle majeur pour qualifier les faits de violences et permettre des procédures judiciaires adaptées. C’est pour cela que nous demandons avec le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes qu’il n’y ait au moins pas de notion de consentement avant l’âge de 13 ans.
Des procédures judiciaires maltraitantes Les enquêtes policières et les procédures judiciaires restent en général maltraitantes, confrontant les victimes aux agresseurs au mépris des risques traumatiques et des préconisations de la convention d’Istanbul que la France a signée et ratifiée, et qu’on doit suivre depuis août 2014. Cette convention exige que les troubles psychotraumatiques que présentent les victimes soient pris en compte dans les procédures, car elles font partie d’un faisceau d’indices graves et concordants. Des conséquences psychotraumatiques essentielles à pendre en compte et à traiter Avec une grande cruauté, les conséquences psychotraumatiques des violences (sidération, dissociation, mémoire traumatique, conduites addictives, à risque, tentatives de suicide, dépression, troubles anxieux,…) sont à la fois niées en tant que telles, elles ne sont traitées spécifiquement par des professionnels formés, et sont utilisées comme une arme pour mettre en cause les victimes, leur donner moins de valeur, moins de légitimité, moins de crédibilité : elles sont considérées comme folles, comme racontant n’importe quoi, et cherchant à se rendre intéressantes, etc. La méconnaissance des conséquences psychotraumatiques des violences et de leurs mécanismes, fait que les victimes sont incomprises et d’autant plus abandonnées, que les troubles psychotraumatiques ne sont pris en compte en tant que preuves médicales, qu’ils ne sont pas diagnostiqués, ni soignés en tant que tels, et que cela représente une lourde perte de chance pour la santé des victimes, leur sécurité, leur insertion professionnelle et sociale, et leur vie affective. Il est temps que les droits fondamentaux des personnes à ne subir aucune forme de violence soient enfin respectés, il est temps de ne laisser aucune victime de violence sans protection, ni soins. Dans un monde juste, digne de ce nom, ces victimes auraient dû être protégées, défendues, informées et soutenues, au lieu de subir des injustices en série, elles auraient dû accéder à des soins et des
prises en charge de qualité, on aurait dû respecter leurs droits à obtenir justice et des réparations, on aurait dû leur redonner de la valeur et de l’espoir. Il est temps que tout le monde se mobilise pour ne plus tolérer aucune forme de violence  aucune zone de non-droit et aucune impunité. Il est temps que tous les professionnels soient bien formés se sentent totalement impliqués dans la lutte contre les violences et se sentent responsables de la protection des victimes. Il est temps que les professionnels de la santé, soient formés à dépister toutes les personnes victimes de violences en posant sysématiquement des questions, à les protéger, à rechercher des troubles psychotraumatiques et à les prendre en charge. Il est temps que les pouvoirs publics s'engagent à respecter les droits des victimes à être protégées, à ce que justice et réparation leur soient rendues, à ce qu'elles aient accès dans la durée à  des soins de qualité gratuits et accessibles par des professionnels formés, à leur assurer une entière protection sociale. Il s’agit d’un impératif absolu et d'une urgence humaine, sociale et de santé publique.
Et il y a les victimes qui ne pourront plus jamais parler…Celles  qui ne sont plus là, qui ont été assassinées, qui se sont suicidées, qui sont mortes précocément, à qui nous rendons hommage et en la mémoire de qui nous voulons lutter, agir et ne plus nous taire.

Dre Muriel Salmona psychiatre présidente de l’association Mémoire Traumatique et Victimologie

violences sexuelles

POURQUOI UN TEL DÉNI ?

Article de la Dre Muriel Salmona  paru le 3 février 2017 sur le site de l'association La Parole Libérée  https://www.laparoleliberee.fr/

En France le déni des violences sexuelles règne en maître.
Les violences sexuelles commises sur les enfants n’y échappent pas. L’absence de protection, le non-respect des droits des victimes et l’impunité sont la règle : 83% des victimes de violences sexuelles déclarent n’avoir jamais été ni protégées, ni reconnues (1), moins de 10% ont accès à la justice (2), 60% des plaintes sont classées sans suite (3), et seuls 1 % de l’ensemble des agresseurs sont condamnés (2).

La lutte contre les violences sexuelles faites aux enfants n’est toujours pas une urgence majeure en terme de droits humains, de société et de santé publique malgré l’ampleur du nombre d’enfants qui en sont victimes et la gravité des conséquences à long terme sur leur santé mentale et physique. 
Des chiffres accablants

Les enfants sont les principales victimes des violences sexuelles, 81% d’entre elles démarrent avant 18 ans, 51% avant 11 ans et 21% avant 6 ans (1). Une fille sur cinq et un garçon sur treize en subissent au cours de leur enfance (4), et on estime que 124 000 filles et 30 000 garçons subissent des viols et des tentatives de viols chaque année en France, contre 84000 femmes et 16000 hommes (5). 
De graves conséquences sur la santé à long terme

Les violences sexuelles font partie des pires traumas avec les tortures, leurs conséquences psychotraumatiques ont un impact majeur à long terme sur la santé mentale et physique des enfants qui en sont victimes, sur leur scolarité, leur vie affective, sexuelle et sociale, et génèrent un risque important de re-victimisation. Le cerveau des enfants est très vulnérable aux violences. Elles entraînent des atteintes de certaines structures du cerveau et des circuits de la mémoires et de la réponse émotionnelle, et la mise en place de mécanismes neuro-biologiques de sauvegarde exceptionnels très coûteux pour échapper au risque vital lié au stress extrême qui s’apparente à une disjonction pour interrompre la sécrétion d’hormones de stress, cette disjonction est à l’origine d’une dissociation et d’une mémoire traumatique qui sont au coeur de toutes conséquences sur la santé mentale et physique. Ces atteintes sont réversibles si un traitement spécialisé est mis en place.
Avoir subi des violences sexuelles dans l’enfance est le déterminant principal de la santé même 50 ans après, peut faire perdre jusqu’à 20 années d’espérance de vie, et entraîne des risques importants de suicides et de conduites addictives, (tabac, alcool, drogues) pour 1 victime sur 2, de mises en danger (conduites à risque particulièrement sexuelles, de violences envers soi ou envers autrui), de troubles anxio-dépressifs et phobiques de troubles alimentaires et d’obésité, mais également de troubles cardio-vasculaires, endocriniens, immunitaires, gynécologiques, gastrointestinaux, de cancers, etc. (6). 96% des victimes de violences sexuelles en tant que mineurs déclarent avoir des répercussions sur leur santé mentale, et 69% sur leur santé physique (1).

Des enfants abandonnés

Les enfants victimes de violences sexuelles dans leur grande majorité sont donc abandonnés. Ils vivent dans la peur de parler : peur de représailles, peur d’être blâmés ou de ne pas être crus, peur que l’extrême violence qu’ils ont subie ne soit pas reconnue ou soit minimisée, peur d’être pris pour des menteurs, des fous, des idiots incapables de se protéger, des méchants, peur d’être culpabilisés, humiliés, accusés, rejetés…Personne ou presque n’entend, ne croit ni ne protège ces enfants victimes, personne ou presque ne s’enquiert face à des enfants présentant des signes de souffrance des violences qu’ils ont pu subir, personne n’a peur pour ces enfants.  Ils sont donc condamnés à survivre seuls aux violences et à leurs lourdes conséquences psychotraumatiques, à l’aide de stratégies de survie qui les dissocient et sont à l’origine de fréquentes amnésies traumatiques et d’un risque important de subir à nouveau des violences.

L’absence de dépistage, de protection et de prise en charge de ces enfants est une lourde perte de chance pour eux, d’autant plus que les soins dont ils pourraient bénéficier sont efficaces (7). 
Pourquoi ce silence assourdissant, cet aveuglement total, cette indifférence générale incompréhensible et scandaleuse, alors que protéger les enfants de ces crimes et délits particulièrement graves est un impératif catégorique ?
Pour bien trop de personnes encore, qu’elles soient ou non des professionnelles susceptibles de prendre en charge des victimes, il y a un véritable refus à penser les violences sexuelles faites aux enfants, à en reconnaître l’ampleur, la réalité et les conséquences, mais également à les entendre lorsqu'elles sont révélées. Exprimer des doutes, se montrer incrédule, imposer le silence aux victimes, voire même les culpabiliser leur permet de se débarrasser très facilement du problème : plus besoin de remettre en cause l’opinion favorable qu’elles peuvent avoir des personnes désignées comme agresseurs, et du monde dans lequel elles pensent vivre en sécurité. Le refus d’intégrer que de telles violences aient lieu dans des espaces que ces
personnes veulent continuer à penser comme protecteurs et fiables, le sentiment d’horreur face à des crimes et des délits qui les rendent impensables et inconcevables quand ils les touchent de trop près, la peur des conséquences d'une dénonciation des violences, la volonté de protéger coûte que coûte la réputation de personnes, de familles ou d’institutions, font que par angoisse, lâcheté ou complicité, tout sera mis en place pour dénier les violences. Et c’est comme cela que la grande majorité des victimes se retrouvent abandonnées à leur sort et à leurs souffrances, et qu’elles sont souvent maltraitées par ceux là-mêmes qui devraient les protéger et les réconforter.  
De fait, nous sommes dans une société où le déni des violences sexuelles et la mise en cause de la victime qu’ on nomme « culture du viol » sont encore très répandus, ils nuisent gravement aux victimes et garantissent l’impunité aux agresseurs. Trop de personnes y adhèrent et diffusent des idées fausses qui minimisent les actes et l’intentionnalité des agresseurs, les réduisant à une pulsion sexuelle, alors qu’il s’agit d’une volonté de domination et d’instrumentalisation. Du fait de ces idées fausses, trop de personnes décrédibilisent également la parole des victimes parce que trop jeunes ou ayant un récit trop confus, et les soupçonnent de mentir, de se tromper ou d’être manipulées, voire les rendent responsables de ce qui leur est arrivé. 
Dans un retournement pervers, le projecteur est braqué avant tout sur les victimes au lieu de l’être sur les agresseurs. Et les conséquences psychotraumatiques comme la sidération, la dissociation et la mémoire traumatique vont souvent être retournés contre les victimes pour les mettre en cause alors que ce sont des preuves du grave traumatisme qu’elles ont subi, telles :  - la sidération qui paralyse leurs fonctions supérieures et les empêche de se débattre, de crier et de fuir ;  - la dissociation traumatique qui les anesthésie émotionnellement et physiquement tant qu’ils restent en contact avec les agresseurs, les met sous mode automatique, déconnecte leur mémoire avec une amnésie traumatique (que l’on retrouve chez 40% d’entre eux et qui peut durer des années voire des dizaines d’années), et leur fait tolérer des niveaux très élevés de violences donnant l’impression à leurs interlocuteurs que les victimes sont indifférentes et pas suffisamment traumatisées pour considérer comme crédible leur parole ; - mais également la mémoire traumatique qui leur font revivre à l’identique, avec des flashbacks incontrôlables, les pires moments des violences comme une machine à remonter le temps à chaque fois qu’un lien rappelle les violences, une véritable torture à laquelle les victimes vont devoir échapper en mettant en place des stratégies de survie très coûteuses pour leur santé qui leur seront souvent reprochées : conduites d’évitement et de contrôle pour que la mémoire traumatique ne se déclenche pas, et conduites dissociantes pour s’anesthésier et ne plus la ressentir, qui sont des conduites addictives (drogues, alcool, tabac) et des conduites à risque (mises en danger, violences contre soi, contre autrui). En fait, ces conduites dissociantes, en créant un état de stress extrême, re-déclenchent  un mécanisme de sauvegarde et provoquent à nouveau une dissociation et une anesthésie émotionnelle. 
La non-prise en compte de ces mécanismes participe grandement à la mise en cause des victimes, particulièrement lors des procédures judiciaires. Et l’absence de soins les maintient dans des processus de dissociation et d’emprise qui sont un facteur de risque important de re-victimisation.
Et si les Français sont 95% à reconnaître que les violences sexuelles envers les enfants sont graves et entraînent de lourdes conséquences sur la santé (8), et sont tous d’accord que les violeurs, les incestueurs, les pédocriminels doivent être fermement condamnés, ce positionnement n’est valable que pour certaines violences sexuelles, celles qui ne toucheraient pas des personnes proches, ni des victimes et des agresseurs connus. 
Dans ce système de dénégation, les crimes et les délits sexuels existent mais « pas dans notre monde, pas dans notre entourage, pas chez nous, pas dans notre famille, pas dans notre univers professionnels, pas dans nos institutions, pas chez ceux que nous côtoyons et encore moins chez ceux que nous admirons… ». Les enfants victimes y sont invisibles, leurs souffrances jamais reliées à d’éventuelles violences, et même si les enfants parlent, ils ne seront pas pris au sérieux, et les dangers qu’ils courent ne seront pas reconnus, d’autant plus si les enfants présentent une dissociation traumatique qui, en les anesthésiant émotionnellement, fait que les personnes avec lesquelles ils sont contact, ne ressentiront aucune émotion, ni empathie envers eux. Ils n’auront pas peur pour eux et considéreront qu’il n’est pas nécessaire de les protéger.
Toujours dans ce système de dénégation, les violences sexuelles existent mais seulement dans un espace social de personnes « peu civilisées, sans éducation, de malades mentaux, ou bien d’ennemis ». Or les crimes et les délits sexuels sont uniformément répandus dans tous les milieux socio-culturels sans exception, et sont le fait de proches le plus souvent, dans 94 % des cas pour les victimes mineures et de personnes de la famille dans 50% des cas (1). La famille et les institutions, d’autant plus si elles sont très hiérarchisées, peuvent être des zones de non-droits où s’exercent les pires violences,. La proximité des agresseurs avec leurs victimes, leur pouvoir et leur position d’autorité leur permet d’exercer sur elles une emprise souvent totale, et de leur imposer d’autant plus facilement le silence, et de les dissocier avec souvent des amnésies traumatiques qui peuvent durer des décennies et les empêcher de dénoncer les violences subies et de faire valoir leurs droits. 
Une offre de soins insuffisante qui participe au déni et à l’abandon des victimes 
L’absence de dépistage, de protection et de prise en charge de ces enfants est une lourde perte de chance pour eux, d’autant plus que les soins dont ils pourraient bénéficier sont efficaces (7). Idéalement la prise en charge des troubles psychotraumatiques doit être la plus précoce possible, pour autant il n’est jamais trop tard pour proposer des soins, même 50, 60, 70 ans après…
Mais les troubles psychotraumatiques et leurs mécanismes sont encore trop méconnus, et cela porte lourdement préjudice aux victimes. Les professionnels de la santé ne sont toujours pas formés au dépistage systématique des victimes de violences, à leur protection et à la prise en charge des conséquences psychotraumatiques des violences, ni en formation initiale, ni en formation continue, et l’offre de soins adaptés est bien trop rare. De nombreux diagnostics sont portés à tort et des traitements essentiellement dissociants et anesthésiants proposés, quand ils ne sont pas maltraitants (7).    Or une prise en charge de qualité permet de traiter la mémoire traumatique et de réparer les atteintes cérébrales, et d’éviter ainsi la majeure partie de toutes les conséquences des violences sur la santé, ainsi que de leurs conséquences sociales. La méconnaissance de tous ces mécanismes psychotraumatiques, l’absence de soins, participent donc à l’abandon où sont laissées les victimes, à la non-reconnaissance de ce qu’elles ont subi et à leur mise en cause comme nous l’avons vu. C’est un scandale de santé publique.
Il est donc urgent de se préoccuper des enfants, de les protéger des violences sexuelles, de soigner et rendre justice à ceux qui en ont été victimes. 
C’est une véritable révolution qu’il faut donc opérer, en passant d’une situation où presque aucune de ces personnes victimes de violences sexuelles n’est repérée, et où les rares qui parlent ne sont pas entendues, ni crues, à une situation où la préoccupation majeure sera d’assurer leur protection en les questionnant toutes fréquemment, pour savoir ce qu’elles subissent et tenir compte du danger qu’elles courent, et afin que les agresseurs soient enfin démasqués et jugés.   Pour lutter contre ce déni généralisé, il faut donc informer et faire de la prévention sans relâche, et inciter chaque citoyen à protéger les enfants. Il faut exiger une implication totale des pouvoirs publics pour protéger, prendre en charge et soigner les enfants en créant des centre de soins spécifiques, former tous les professionnels, et lutter contre l’impunité en supprimant les délais de prescription, en améliorant les lois et le parcours judiciaire des victimes.

Bourg la Reine, le 31 janvier 2017
Dre Muriel Salmona psychiatre,  présidente de l’association Mémoire Traumatique et Victimologie, drmsalmona@gmail.com www.memoiretraumatique.org