jeudi 26 janvier 2017

la part éducative dans le travail de l'Ass Fam

La part éducative dans le travail de l’assistant-e familial-e

 L’histoire des nourrices en France, comme forme sociale et solidaire de soins et d’éducation apportés aux enfants « qui ne sont pas les siens », a évolué en fonction d’enjeux contradictoires, sociaux, politiques et économiques. Les reconnaissances de ce métier suivent l’évolution de la place de l’enfant dans nos sociétés occidentales, mais elles dépendent également de la place attribuée à la femme, à l’économie domestique et à l’éducation familiale au cours des siècles. Il convient de replacer brièvement l’historique du métier d’assistant familial qui, encore aujourd’hui, influence les représentations de ce métier.
« Garder » les enfants des autres :  une « occupation » en quête  de reconnaissance pendant des siècles. Jusqu’à la fin du 18ème siècle, les enfants élevés par leur mère sont une exception pour l’ensemble des classes sociales. La « fonction d’élevage » des premières années est liée au corps de la femme, (nourrir l’enfant au sein est réservée aux domestiques ou à un sous-prolétariat). Malgré le souci porté aux indigents, malades et enfants abandonnés par certaines œuvres et hôpitaux généraux2 en réponse à la très forte mortalité infantile et aux craintes du vagabondage, l’enfant reste généralement une gène, en particulier dans les villes. La place de celles qui les élèvent est donc peu valorisée.
Au 19ème siècle, d’un point de vue économique, la division à l’œuvre depuis le 17ème siècle entre, un travail productif valorisé et un travail domestique renvoyé dans la sphère du privé, se renforce. Le jeune enfant devient un être humain dont il faut envisager l’avenir (sa mise au travail), les questions sociales deviennent alors des enjeux centraux. Les femmes sont ainsi renvoyées dans la sphère domestique et, l’éducation des enfants, ce travail naturellement
féminin qui n’a aucune valeur économique, les laisse dans la dépendance du mari. « Le système donne aux femmes des responsabilités domestiques lourdes en même temps qu’il permet d’affirmer que ces femmes ne travaillent pas » (S. Agacinski, 1998). La nourrice est celle dont on peut attendre le meilleur comme le pire et chaque parent oscille entre la plus totale confiance et la plus grande méfiance. Cette femme, qui garde les enfants pour de l’argent, est suspecte . Au regard des conditions sordides des placements, la vindicte se porte sur les nourrices plus que sur les parents qui souvent « oublient » de les payer. La majorité d’entre elles sont issues du milieu rural, très pauvres et n’ont pas d’autres possibilités d’emploi.  C’est sous l’influence du pouvoir médical qu’une politique plus interventionniste se met en place à partir des années 19203. Il convient de veiller à la bonne santé physique des enfants placés. Mais il faudra attendre les ordonnances de 1945 pour voir une véritable organisation des services de protection de l’enfance, puis le décret de 1956 qui mettra en
2  Exemple : Œuvres de Vincent de Paul 3  Exemple : Œuvre du docteur Grancher
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place les conditions de collaboration entre famille d’accueil et les services ASE4. En 1962, un nouveau décret annonce les conditions d’un agrément (ne faisant pas de différence entre les nourrices « de jour » et les nourrices « temps plein »). La fonction de salarié, avec les droits sociaux qui lui sont associés, est reconnue progressivement dans les années 1977, 1979, 1980 et 1992 (plus tardivement par rapport aux autres métiers de la petite enfance).
Après l’influence hygiéniste qui avait le souci des enfants placés jusqu’au milieu du XXème siècle, ce sont les pédo-psychiatres qui prennent le relais et qui, grâce à leur approche clinique des enfants placés traumatisés par la dernière guerre5, vont faire reconnaître la nécessité des soins psychiques à leur apporter. Une nécessité de formation pour celles qu’on appelle alors « assistantes maternelles » fait suite à ce constat.
Si dans les premiers temps la formation est basée sur le volontarisme, celle-ci devient obligatoire en 1992. Cela constitue un tournant essentiel dans le processus de professionnalisation, ce dernier sera clairement réaffirmé dans la loi de juin 2005, apportant un cadre plus strict à la formation, proposant un diplôme d’état, intégrant les assistantes familiales au sein des équipes de travailleurs sociaux.
Aujourd’hui un récent rapport d’état6 fait état de plus de 80 000 enfants placés en famille d’accueil au niveau national. Or, la plupart des départements
voient arriver les départs en retraite de ces familles d’accueil alors que les besoins restent importants, des campagnes de recrutement sont engagés par certains. Il est un fait que pour des raisons tant économiques que sociales et politiques, ce mode d’accueil reste privilégié dans toute la communauté européenne, (même si le processus de professionnalisation enclenché en France ne semble pas partagé dans les autres pays européens). En France, les recrutements récents montrent un changement de profil des candidatures, de plus en plus d’hommes se sentent concernés par ce métier d’accueil, même si les femmes restent largement majoritaires, le niveau scolaire et professionnel des postulants-es augmente. Le métier n’est plus un « petit boulot », une voie d’insertion dans le monde salarié, mais un véritable choix parmi d’autres qui s’opère souvent vers la quarantaine. S’il s’envisage toujours dans un souci de qualité de vie familiale, la dimension « d’un service social » élaboré au sein d’une équipe pluri-professionnelle est de plus en plus présente et la nécessité d’être formé à ce métier n’est plus remise en cause. 
Le référentiel de compétences, élaboré dans la loi de Juin 2005, cadre les modes de certification du diplôme et organise la formation en trois domaines de compétences7. De l’avis général des professionnels du secteur, cette loi est une réelle reconnaissance et j’ai tenté dans mon travail de recherche, de savoir si elle répondait aux attentes des assistantes familiales, et si non, pourquoi ?
4  ASE : Aide Sociale à l’Enfance 5  Nous pensons plus particulièrement aux docteurs Myriam David, P. Soulé, Lebovichi... 6  Rapport de novembre 2011 de Mme M. Derain nommée «Défenseuse des enfants» 7  DC1 : l’accueil de l’enfant, DC2 : la socialisation de l’enfant, DC3 : la communication professionnelle
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2005 : Une formation, un diplôme d’état, une place au sein des équipes Une reconnaissance professionnelle réelle mais partielle
La loi de 2005 offre d’abord aux assistants-es familiaux-les la possibilité d’obtenir une légitimité sociale, en dehors de cadres de références spécifiques et limités, comme leur propre famille ou leur employeur, et il peut apparaître regrettable que cette légitimité ne soit qu’optionnelle8. Le travail de théorisation, préalable à la mise en place de la loi, a permis l’élaboration d’un référentiel qui fait de cet emploi « l’un des rares métiers spécialisés de la protection de l’enfance » (A. Oui, 2010). Le dénuement et la solitude dans lesquels ont été laissées les femmes qui accueillaient les enfants placés n’existent plus. Les approches de la médecine et de la psychanalyse ont pu justifier l’importance de suivis professionnels réguliers et complémentaires où les assistants-es familiaux-les sont des acteurs centraux qu’il est nécessaire de former9. Notons néanmoins que c’est par un corpus juridique que s’est amélioré la profession, et si la reconnaissance se développe dans la forme du droit, un chemin reste à faire pour que la place sociale qui leur est ainsi attribuée soit effective auprès des familles, des équipes10 et de la société en général. Si on regarde de plus près cette théorisation, il apparaît de « compétence » renvoie essentiellement au domaine managérial, comme des actions reposant sur un programme institutionnel que les individus doivent savoir effectuer correctement. Les termes « moyens », « outils », « ressources », « besoins » et « savoirs » utilisés dans ce référentiel renforcent cet aspect managérial et individualiste des compétences, alors que celles-ci nous apparaissent plutôt dans
une approche de type cognitiviste, comme des savoirs d’usages qui s’élaborent dans un processus permanent et dans des rapports à un environnement toujours spécifique. En poursuivant un peu cette analyse, à partir d’un classement des verbes utilisés par exemple, on peut observer que les capacités les plus attendues sont : l’observation, l’adaptation et la coopération. Ces actions sont en premier lieu la réponse aux attentes des équipes qui les accompagnent, d’autres compétences citées comme, « savoir repérer » ou « savoir répondre » sont envisagées « en sachant avoir recours à l’équipe pluridisciplinaire ». On ne relève pas moins de six rappels à l’équipe et aux règles de l’institution. Ce qui apparaît surprenant dans cette formalisation, c’est l’absence d’autres capacités qui font à l’évidence partie du socle des pré-requis nécessaires pour assurer ce métier : citons pour exemple les capacités organisationnelles (dans l’espace, la temporalité, le relationnel familial), les capacités réactives et créatives, les capacités réflexives, et surtout les capacités dites du care relevant globalement du souci d’autrui ( avec cette dimension dite « de l’amour » que revendiquent les assistantes familiales). Certes, comme le dit S. Euillet (2010) ce référentiel porte sur les compétences spécifiques attendues, mais il laisse dans l’ombre d’autres compétences dont on estime qu’elles sont déjà élaborées dans le cadre familial. La question se pose alors de savoir si ces compétences sont envisagées comme encore naturellement féminines ou comme naturellement présentes dans ces familles d’accueil ? Est-ce à dire qu’elles n’ont pas à être exprimées, rendues visibles et valorisées ? Ou, ne pouvant être acquises dans ce cadre institutionnel, ces compétences de base n’ont pas à être reconnues par un référentiel d’État ?
8   Les assistants-es familiaux-les ne sont pas dans l’obligation de passer le DEAF à la fin de la formation. 9   La formation des «nourrices» a longtemps été sujet à débats. 10  Voir à ce propos le DSTS-Master de S. Le labourier «les assistants familiaux entre droits salariaux et intérêts de l’enfant,      des travailleurs sociaux en quête de reconnaissance», 2009. 
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Ces interrogations se trouvent confortées par le fait que les 300 heures de formation obligatoires n’atteignent pas les temps de formation des autres métiers de la petite enfance11, confirmant l’idée que ces salariés arrivent bien avec un certain nombre d’acquis. Quoi qu’il en soit, la reconnaissance des compétences attendues en demeure partielle.
Un autre domaine important est resté dans l’invisibilité sociale, c’est le rôle joué par les autres membres de la famille d’accueil : en effet, comme le souligne A. Oui (2010), qui a participé à l’élaboration de cette loi, « les membres de la famille d’accueil sont les grands oubliés », les assistants-es familiauxles interrogées voient dans cet « oubli » un véritable déni de reconnaissance de l’implication familiale (conjoint(e). enfants, parents, amis... ).
Enfin un troisième domaine est apparu, au cours des évaluations des formations et de nos entretiens, ce sont les pratiques d’apprentissage spécifiques de ces professionnelles. Élaborés à partir du référentiel de compétences, les programmes de formation ont augmenté leurs apports théoriques. Bien que leur pertinence par rapport à la profession ne soit pas à remettre en cause, il est apparu que les assistantes familiales diplômées disent avoir essentiellement appris au cours de la formation grâce aux échanges entre pairs. C’est à partir de situations concrètes ou d’expériences vécues qu’elles questionnent leurs pratiques et s’approprient les apports des formateurs. Elles semblent en effet avoir acquis et investi les compétences « de base » du métier à travers des expériences personnelles successives (autoformation). Il apparaît qu’elles savent non seulement tirer les leçons de ces vécus, mais les adapter dans d’autres contextes sans passer
forcément par leur conceptualisation. Apprendre assises devant une table ou être évaluées à partir de questions théoriques, est étranger à leurs pratiques. Certaines expriment le regret de ne pouvoir évoquer les chemins personnels parcourus, le quotidien, les difficultés des membres de leur famille... Parallèlement elles reconnaissent qu’elles n’ont « pas les mots pour dire », que leur expression n’est ni celle des travailleurs sociaux, ni celle des psychologues, mais, qu’il est important pour elles comme pour les enfants, de rester dans le domaine du « familier »12. Le processus de professionnalisation, pour se poursuivre, ne doit-il pas prendre en compte l’importance du rôle du groupe-famille, de ces compétences laissées dans l’invisibilité, les pratiques d’apprentissage expérientiel, parce que c’est ainsi que ces professionnelles travaillent (c’est à dire qu’elles apprennent et transmettent) ?  Reste à approcher de plus près ces pratiques ; je n’en représenterai qu’une approche succincte, mais cela montre tout l’intérêt de ce quotidien pour la socialisation de l’enfant.    
Les pratiques éducatives des familles d’accueil, ou comment appréhender les bases d’une socialisation
Mon étude part de l’expression de 20 assistantes familiales, (ce qui confirme s’il en était besoin que beaucoup d’autres positionnements sont possibles). Ces entretiens montrent encore, malgré un certain sentiment de satisfaction, des vécus de dénis de reconnaissance que je vais exprimer comme : • l’absence de prise en compte des compétences acquises par leur parcours biographique et leurs expériences professionnelles.
11  Pour exemple : les éducateurs de jeunes enfants bénéficient de 1500 heures de formation théorique dont 15 mois de stage,
     les auxiliaires de puériculture, suivent un an de formation à temps plein et le CAP petite enfance, deux ans à temps plein,      dont 12 semaines de stage. 12  C’est à dire le vocabulaire utilisé dans les familles.
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• l’absence de prise en compte de l’implication des autres membres de la famille d’accueil • la difficulté à prendre en compte et à exprimer leur investissement affectif, tout comme les efforts consentis pour adapter leur modèle éducatif. En tant que chercheuse dans le domaine des Sciences de l’éducation, j’ai fait le choix de m’intéresser plus particulièrement à ce modèle éducatif. Présente-til des cohérences indépendamment des situations familiales ? Au delà des soins et des moments difficiles, qui sont aujourd’hui accompagnés par les équipes (et où la place des parents est généralement affirmée), que transmettent ces professionnelles dans l’intimité du quotidien et comment ?
Pour engager cette réflexion, j’ai considéré, comme d’autres chercheurs13 avant moi, que cette profession se déploie principalement sur deux axes : • Le premier, est l’axe thérapeutique, de l’ordre du soin individualisé. Il a comme objectifs d’aider l’enfant à s’épanouir malgré le traumatisme d’une rupture des liens parentaux et de retravailler ces liens. Cet axe a été particulièrement bien développé ces dernières années par des psychologues, des pédopsychiatres et l’ensemble des équipes des placements, il ne constitue pas l’objet de cette recherche. • Le deuxième axe est éducatif et considère la nécessité de transmettre à l’enfant placé, comme à tous les enfants, les bases d’une socialisation. Cet axe, je l’ai nommé éducation familiale contractualisée parce que cette éducation comporte, plus que l’éducation familiale traditionnelle, une part for
malisée (en particulier par le contrat de travail de l’assistante familiale, le contrat de placement et le projet pour l’enfant et les liens avec sa famille). Cette éducation du quotidien est celle de la transmission de règles, de normes, d’un certain modèle éducatif qui doit répondre aux attentes de notre société contemporaine (appréhender le genre, l’espace, le temps, l’autre, l’apprentissage, le beau, le sensible...) et dont nous ne pouvons exclure une certaine dimension politique14. Afin d’approcher ce quotidien et de voir si un modèle éducatif partagé est perceptible, j’ai choisi d’interroger les assistantes familiales sur le déroulement d’un « repas du soir, ordinaire »15. Après avoir analysé les interviews, il est surprenant de voir que l’on peut parler d’une véritable « communauté de pratiques de ces familles d’accueil ». En effet, les règles et les pratiques quotidiennes énoncées lors de ce moment spécifique sont presque similaires. Je ne pourrai ici que les survoler : D’abord le repas se prend en famille de façon « traditionnelle » autour de la table, dans une pièce commune. Ce repas est clairement repéré par les assistantes familiales comme un espace important pour son potentiel éducatif. - Autour de la table, la place de chaque corps qu’on immobilise, permet l’éveil des cinq sens. Cette éducation est faite toute à la fois de contraintes et de recherche de plaisirs par la découverte des nourritures. Cette nourriture joue un rôle médiateur dans la transmission culturelle (entre le respect des habitudes de la famille de l’enfant et l’intégration dans la culture de la famille d’accueil).
13    Quelques réflexions relevées : -  C Sellenet (2006) «actuellement la dimension éducative est minorée» -  S. Bosse-Platière et al (1995) «la réflexion sur la spécificité de l’action éducative auprès des enfants en dehors de leur famille est encore peu développée» - P. Durning (1995) « le livre de la transmission éducative n’est pas encore écrit.... Il faudrait écrire sur la question de l’éducation en famille d’accueil et sur les multiples enjeux éducatifs et sociaux de la transmission des valeurs, des normes , des codes... Le travail des assistantes familiales permet de souligner les points forts et d’amorcer une réflexion porteuse d’enseignements utiles» 14    Ici «politique» est au sens large, ces modèles répondant à une certaine organisation de la société. 15    A. Muxel, (1996) «Manger, c’est toujours plus que manger ! C’est dire qui l’on est, c’est donner, écouter, partager, dominer, mais aussi contraindre, aimer, éduquer».
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- Autour de la table, la place des mots : « Les repas institutionnalisent la conversation familiale, dans des conditions de fixité et d’intimité rapprochée. Ils représentent une opportunité précieuse de réaliser le rêve de famille, unie, chaleureuse et communicante », parallèlement, la conversation menace à tout instant d’ouvrir la boîte de Pandore des insatisfactions secrètes « alors on parle en contrôlant ce qui est dit, pour tenter d’en dire toujours plus, sans en dire jamais trop » ce bavardage permet de construire ensemble un univers commun, (J.-C. Kaufmann, 2005). Cette parole doit être répartie le plus équitablement possible, l’assistante familiale joue ici le rôle de chef d’orchestre, c’est le moment pour chacun de faire le modeste récit de sa journée... Elle régule, incite, observe, encourage, porte son attention sur chacun, tout en restant vigilante à l’ensemble de la scène. Quelque soit le thème de la conversation, le schéma idéal réside dans une confrontation des micro-différences sur fond de consensus, dynamiser la conversation sans provoquer de conflits. Ce socle consensuel se construit avec l’accord de chacun des membres, qui se sent ainsi appartenir au groupe familial, en partageant bien plus que le repas, des codes, des rites et des valeurs. Cette animation du temps du repas, dit encore J.-C. Kaufmann n’est pas de tout repos ! Elle va nécessiter des compétences d’expressions à acquérir par chacun, un dosage et une adaptation de son comportement par rapport aux autres, un engagement personnel dans cette rotation de l’effort d’animation. Dans ces conversations, souvent décousues, chacun du plus jeune au plus âgé, entre en scène à tour de rôle, tente d’être soi avec les autres comme partenaires ou spectateurs. C’est l’ensemble du « groupe-famille » qui voit, entend, avalise ou critique ce qui se dit, partage l’importance ou la légèreté des propos. Se construit et s’affirme alors un nous quotidien fort, qui s’impose à tous. Ce nous participe à la constitution des identités des sujets présents (ce
nous nous reconnaît) tout en renforçant l’identité du groupe (se reconnaître entre « soi » renforce les liens d’appartenance). Dans cet espace/temps le groupe se montre à lui-même, il se reconnaît comme unité et reconnaît chacun de ceux qui le constituent. Si les assistantes familiales veillent autant au « dressage des corps et à l’éveil des sens » qu’à l’apprentissage progressif de la narration de soi (P. Ricœur, 1990), le rituel du repas dépasse le cercle familial, ce temps formatif pour l’individu s’inscrit dans une histoire sociale et culturelle. La table apparaît comme un rituel de socialisation dont on acquiert les pratiques en vivant des situations répétitives et pourtant toujours singulières, favorisant l’intégration de valeurs, de règles, de représentation de soi et d’autrui mais également du monde qui nous entoure.

Il m’est apparu important de nommer les pratiques de transmission décrites par ces assistantes familiales, ce travail mériterait d’être approfondi et ce n’est ici qu’une première approche : • L’imitation : c’est en effet la première étape de la socialisation selon le psychologue américain G. H. Mead (1963). « C’est la prise en charge par l’enfant des rôles joués par les autruis significatifs : en jouant ces rôles, l’enfant accède à des formes symboliques signifiantes et associées qui sont les formes d’un personnage socialement reconnu ». Ce faisant l’enfant intériorise progressivement les règles du jeu, il perçoit que certaines attitudes de l’un répondent aux attitudes d’un autre. Peu à peu, il prend conscience que les jeux sont réglementés et que l’on respecte une organisation autre que soi-même.
• La participation : Cette participation peut-être volontaire ou coutumière, elle peut varier (aider à préparer les repas ou simplement ranger son assiette...) mais elle apparaît comme
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incontournable dans, et pour, la vie de famille, c’est l’une de ses principales caractéristiques. C’est parce que chacun des membres est reconnu à son niveau, par ses capacités et ses responsabilités, qu’il est encouragé à contribuer, et qu’il contribuera, à transformer un vivre ensemble familial. Cette participation ou contribution, se construit dans un accompagnement adapté, dans la majorité des situations présentées c’est l’assistante familiale qui assure cet accompagnement, mais elle peut le déléguer à un membre de la famille. Pour l’enfant accueilli, autant qu’une autorisation à participer afin qu’il apprenne, (position éducative) c’est faire « marcher la maison » qui importe et qui donne sens à l’action. Cette participation de l’enfant à la vie familiale introduit une reconnaissance par le faire, et non par la parole. Cela correspond la part contributive à la fois obligatoire et volontaire dont nul ne peut être exclu sous peine d’une atteinte à l’estime de soi, nous dit le philosophe A. Honneth, (2000). C’est en effet par l’activité que se construit notre rapport au monde, car nous pouvons en rapport à ces actions co-situées, nous impliquer dans un objectif commun et un sens partagé.
• La négociation : Cette participation doit être progressive et adaptée à chaque enfant, pour parvenir à cette fin, « on » s’accommode par la négociation aux raisons de chacun. Les règles familiales, souvent intergénérationnelles, vont alors subir des aménagements en fonction des situations individuelles. C’est chaque membre de la famille qui pousse à cette dérogation aux règles, sans que celles-ci ne soient à terme vraiment remises en cause. C’est à partir de ce que les assistantes familiales entendent et observent d’autrui, qu’elles jugent nécessaire ou non, d’adapter leurs exigences et de bricoler des solutions pour faire passer les contraintes éducatives du quotidien. Mais l’harmonie familiale reste la toile de fond et
elles affichent clairement cette volonté de préserver une vie équilibrée au groupe-famille. L’éducation est alors appréhendée comme l’accompagnement nécessaire pour une coopération au vivre ensemble, elle est un moyen, une reconnaissance pratique, selon laquelle « je » est reconnu pour les actions qu’il porte (G. Le Blanc, 2008).
Cet accompagnement (imitation, participation, expression, négociation) qu’assurent les assistantes familiales, n’a pas de forme pré-définie, il est continuellement re/créé et adapté en fonction des conditions environnementales et des potentiels des personnes en cause. Nous pouvons penser que cet accompagnement est spécifique dans les familles d’accueil par le fait que l’enfant arrive « de l’extérieur » de la filiation et que la méconnaissance de l’enfant est réelle (de son histoire familiale, des rôles parentaux, de ses expériences relationnelles, de ses habitudes quotidiennes comme de ses représentations sociales et culturelles). Ceci pousse la famille d’accueil dans la croyance des potentiels d’auto-réalisation de l’enfant en général. L’acceptation de cette part de méconnaissance et la reconnaissance d’un potentiel « propre à son identité » qui en découle, a souvent, nous diront-elles, transformée les relations avec leurs propres enfants. C’est pourquoi nous avons vu dans cette éducation familiale contractualisée, un positionnement éducatif spécifique à mieux comprendre.
Mais, je voudrais aborder un autre positionnement spécifique de ces familles d’accueil, c’est l’implication affective que sous entend le souci de l’enfant dans son espace personnel. Cette part des affects apparaît comme le véritable déni de reconnaissance pour les vingt assistantes familiales interrogées. Ce souci d’autrui, nous l’avons envisagé non pas comme un don agnostique ou un
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« sacrifice » fait à l’autre, mais comme une réponse au souci de soi. Dans leurs récits de vie ces femmes nous ont décrit spontanément les fidélités et les ruptures de leur héritage familial16, ces apports et ces manques ont entrainé une survalorisation de la structure familiale. Cette dernière est appréhendée comme l’espace de protection et de (re)construction possible pour l’individu en souffrance. L’harmonie qu’elles présentent de leur propre famille en est souvent la preuve17 et elles font le pari de remettre en jeu cet équilibre familial, en y introduisant un enfant « extérieur ». Si elles ont conscience, dans la plupart des situations approchées, que cet enfant « rejoue » une part de leur parcours biographique et de leurs affects, c’est en terme de capacités à « comprendre » et « à soigner » qu’elles l’analysent. Elles expriment ainsi une véritable croyance dans les potentiels de l’enfant à se réaliser à l’intérieur d’un cadre familial. Le choix de ce métier, validé par les membres de la famille, l’agrément des services Protection Maternelle et Infantile et l’embauche au sein d’un Placement Familial légitime ce positionnement. C’est au fur et à mesure que ces espaces tiers de légitimation vont permettre une distanciation et éviter une possible confusion entre le souci de soi (comme être (re)construit) et le souci de l’enfant (comme être en potentialité de se construire), voir accompagner la déconvenue quand la croyance est mise à mal. D’un point de vue éducatif, il apparaît que ces femmes, en diffusant volontairement cette part d’affect dans l’accueil, qu’elles nomment amour et que j’appelle souci d’autrui, transmettent à l’enfant
la dynamique sans laquelle le lien social ne peut se construire : mettant en dette le donataire qui se retrouve dans la possibilité d’avoir à son tour le souci d’autrui pour se réaliser (avoir le souci de soi). C’est la connaissance que ce « travail éducatif reposant sur les affects » est exercé dans le cadre d’un contrat salarié qui relativise la dette de l’enfant et de ses parents, à l’égard de la famille d’accueil. Une dernière question se pose alors à nous : comment prendre en compte ces dimensions laissées dans l’invisible, dans le processus de professionnalisation 18 ?
4 - Poursuivre le processus de professionnalisation ?
Poursuivre ce processus amène à prendre un certain nombre de risques qui ont déjà été évoqués par différents acteurs de ce domaine : faire de l’accueil le domaine des normes, des règles qui limiteraient l’adaptation nécessaire à chaque situation, obligerait à des contrôles, renforcerait les hiérarchisations dans les métiers de la petite enfance, alors que selon les théories de l’attachement, c’est de complémentarité dont il s’agit. Enfin, poursuivre la professionnalisation, c’est le plus souvent objectiver, théoriser des postures et des savoirs pour les rendre « universels », renvoyer dans l’ombre la part du sensible en contrôlant la part d’affectivité, d’implication du sujet, au profit d’une technicité qui se veut plus égalitaire,.  Parallèlement, ne pas prendre en compte les vécus actuels de dénis de reconnaissance, c’est prendre le
16    Ce qui peut être également le cas dans les carrières relevant du médical , du social et de l’éducatif! 17    Pour la majorité des départements, le profil des familles d’accueil correspond encore à la famille dite traditionnelle (les parents mariés, des enfants sans gros problèmes, un logement fixe, un travail stable pour au moins l’un des conjoints) à noter que dans la plupart des cas elles ne parlent pas, ou peu de ces moments difficiles, de leur parcours biographique au moment de l’agrément. 18    Professionnalisation: dynamique identitaire, par laquelle va s’affirmer une singularité. Ce processus est lié à des notions d’autonomie, de responsabilité, d’évaluation, de formation ainsi qu’à l’affirmation d’un statut social. Ce processus de légitimation des professionnels et de leurs savoirs spécifiques définit des frontières entre les champs professionnels et produit des discours éthiques propres à la profession.
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19    S. Le Labourier,  2009.  20    Nous voyons apparaître ces questionnements à propos du téléphone, d’internet, mais aussi de la participation à certaines fêtes familiales ou entre copains... mais s’interroge-t-on sur le verrou de la salle de bain? La place des secrets ?  La façon de dire bonjour ou de s’assoir sur une chaise ? 21    Nous pensons que les positionnements diffèrent tellement dans les petites actions du quotidien que les membres des équipes en parlent rarement entre eux et qu’ils ne les abordent que très superficiellement avec les parents, or c’est à travers elles que passe une part de l’intégration sociale. 22    Je fais ici référence aux trois axes de la parentalité: l’exercice, l’expérience et la pratique.
risque que les assistants familiaux affirment un jour leur identité professionnelle uniquement à travers leurs droits, avec des positionnements qui ne seraient pas en harmonie avec l’intérêt de l’enfant placé19.  Entre ces deux risques, il m’est apparu que je pouvais m’appuyer , pour poursuivre la qualification attendue dans ces placements, sur les capacités éducatives des assistants familiaux en les rendant davantage acteurs. Si nous concevons l’éducation comme « une reconstruction continue de l’expérience dans le but d’approfondir son contenu social et les méthodes impliquées » (J. Dewey, 1916), processus qui se développe tout au long de la vie, la formation est alors conçue comme un accompagnement à cerner l’expérience, à la décrire, à la comparer pour (re) construire une dimension sociale de l’action. Il s’agit ici d’abord de se mettre d’accord sur les modes d’expression qui disent parfois l’indicible (le sensible, l’intuition, les affects, le beau ou le difficile) que ces professionnels déjà partagent, de travailler le sens des pratiques et des compétences sur lesquelles elles reposent. Les familles d’accueil expriment fortement ce besoin de partager, d’avoir une idée de ce que les autres font dans l’intimité, de savoir ce qui est encouragé, ce qui pose problème dans telle ou telle situation du quotidien20. L’éducation est alors vécue comme une construction sociale contextuée qui peut être interrogée entre pairs. Il ne s’agit ici ni de contrôler les pratiques, ni de construire des modèles éducatifs, mais bien de prendre peu à peu conscience de ses propres fonctionnements éducatifs, des dimensions morales et « politiques » qu’ils sous
tendent21, de les questionner ensemble. Des espaces, assez protégés pour permettre et accompagner l’expression de soi, sont déjà en place, comme les associations d’assistants familiaux ou les institutions de formation, certains fonctionnements d’équipe permettent également cette approche. Ces espaces peuvent être appréhendés comme des communautés de pratiques des familles d’accueil. Je vois là, la possibilité de reconnaître les spécificités éducatives qui pourraient relier les familles d’accueil, ce travail de reconnaissance ne peut s’engager sans la participation active des principaux acteurs: ces familles doivent d’abord chacune se reconnaître dans leur propre fonctionnement, puis se reconnaître entre elles, construire un mode d’expression qui n’est ni celui des travailleurs sociaux, ni celui des psychologues, avant de s’engager peut-être un jour dans une nouvelle dimension, se faire reconnaître comme des professionnels acteurs dans la parentalité : ces familles la pratiquent dans le grand silence du quotidien, elles la questionnent dans sa dimension filiale, elles en adaptent les formes en tentant de prendre en compte chaque situation, pendant que les référents ont comme champ spécifique de replacer l’exercice et l’expérience des parents de l’enfant22. Je vois là, les rôles complémentaires des parents, des enfants, des professionnels et des institutions où chacun, heureusement, n’a jamais fini de se construire et de construire sa place.
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Repère bibliographique :
DAVID M. (1989), Le placement familial de la pratique à la théorie, Paris, ESF. DEWEY

livre


Accueillir les adolescents en grande difficulté

Claude Bynau

     
Pour s’occuper d’adolescents en grande difficulté, il faut y croire. Ce dont ils ont besoin, ce n’est pas seulement d’une attention et d’un investissement affectif ou de la satisfaction de leurs besoins matériels. Ils sont aussi à la recherche d’adultes qui posent sur eux des rêves et des désirs. Ils peuvent ensuite s’y engouffrer ou au contraire s’y opposer farouchement. Mais au moins, ils ont de quoi se construire et sur quoi s’appuyer.
Pourtant, la lassitude et le découragement sont souvent au rendez-vous, consécutifs du sentiment d’impuissance qu’induit le peu de résultats souvent constatés, malgré un investissement important. Ces jeunes qui oscillent perpétuellement entre fusion et provocation créent un sentiment tour à tour de séduction et de rejet. C’est pourquoi, face à eux, il ne faut jamais travailler seul. Le travail d’équipe est nécessaire et l’appel à un collègue ne relève pas alors d’un relais passé à quelqu’un de plus compétent, mais de plus distancié.
Ces propos qui rencontreront l’assentiment de toutes celles et tous ceux qui sont confrontés à cette population, sont tenus par un psychologue clinicien, initiateur du service d’accueil familial pour adolescents (SAFA) de Merville, près de Lille. Quelle drôle d’idée que de vouloir accueillir des jeunes dans un milieu familial à un âge qui les prépare plus à entrer dans l’autonomie ! C’est que pour réussir sa vie d’adulte, encore faut-il avoir pu créer des bases satisfaisantes. Et si l’internat présente moins de rivalité avec la famille d’origine et propose une plus grande diversité d’intervenants, la famille d’accueil, avec la taille humaine, la continuité et la permanence quotidiennes qu’elle propose convient parfois bien mieux à des adolescents en grande carence relationnelle qui supportent souvent mal la collectivité.
Cela n’est pas simple à vivre pour personne. Le jeune peut attaquer fortement le lien d’attachement qui se crée, en confrontant l’assistante maternelle à la figure de la mère mythique qu’il s’est construite : elle sera trop frustrante, pas assez disponible, trop imparfaite. Il peut aussi utiliser l’éducateur référent contre la famille d’accueil ou le percevoir comme un intrus indésirable.

mercredi 25 janvier 2017

extrait de livre, la place de nos enfants face aux enfants accueillis

La question du positionnement des enfants des éducateurs dans les familles d’accueil a souvent été délaissée par les acteurs du placement familial. On ne peut pas les en blâmer, car le centre de la famille d’accueil, celui qui constitue sa raison d’être, c’est l’enfant accueilli. C’est lui qui vit un déracinement, c’est lui qui se trouve privé de ses parents, et il paraît évident que c’est lui qui souffrira le plus de cette situation : il est loin de sa maison, de son quartier, de ses proches, et se retrouve à partager sa vie avec des inconnus.
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Mais, étranger il l’est, lui aussi, pour celui qui l’accueille chez lui. Examinons le problème de l’autre côté du miroir : comment son arrivée est-elle perçue par l’enfant qui a déjà une place légitime dans la structure familiale ? Comment la famille devra-t-elle s’adapter pour accueillir l’enfant placé et quelles en seront les conséquences pour l’enfant accueillant ? Ce sont ces questions qui nous amènent à réfléchir à la place de l’enfant accueillant dans les familles d’accueil et aux liens qu’il va entretenir avec son nouveau compagnon : s’agit-il d’un partenariat ou d’une cohabitation forcée ? Qu’est-ce que la vie de famille pour un enfant d’assistante maternelle ?
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Même si l’éventail des situations d’accueil est infini, même si chaque cas est particulier, on retrouvera un certain nombre de problématiques communes. Nous nous intéresserons en particulier aux problèmes de désillusion, à la prise de conscience de l’enfant accueillant sur la véritable nature du travail de ses parents, au partage de l’espace dans la maison, et à la modification de la trame familiale.

Quand l’imaginaire trompe…

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Avant son arrivée dans la famille d’accueil, l’enfant placé fait figure de compagnon de jeu dans l’imaginaire de ceux qui vont l’accueillir à leurs côtés. L’arrivée d’un nouveau « membre » de la communauté familiale fait appel à la symbolique du frère ou de la sœur : les jeux, l’entraide, l’affection, les petits conflits, bref ce qui constitue habituellement le quotidien des liens fraternels. On ne peut rêver que de choses que l’on connaît, ici on imagine des situations stéréotypées. En fait, l’enfant raisonne sur ce même modèle : cet étranger qui va arriver ne le serait finalement pas tant que ça ; il serait, lui aussi, un enfant qui amènerait ses jeux, ses histoires, ses manies, bref, un autre qui en somme serait identique.
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Et c’est là le début de toute la problématique : avant qu’arrive le premier enfant placé, un enfant d’éducateur (ou d’assistante maternelle) ne peut véritablement se rendre compte de ce qu’est l’accueil… ou plutôt son acceptation (qui, étymologiquement, signifie « vivre avec »).
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Parce que cet enfant qui va arriver, et que les enfants de la famille imaginent comme pouvant devenir un membre de la tribu, risque fort de ne pas répondre à leurs espérances. Le petit compagnon de jeu, parfait, imaginé par les enfants d’éducateurs n’existe pas : il n’y a pas « d’identique », ni de familier, il n’y a qu’un enfant en difficulté. Et c’est toute la dimension que prendra cette relation entre lui et les enfants légitimes : une difficile conciliation entre deux modèles d’éducation, un affrontement quotidien entre deux lieux, celui de la famille d’accueil et celui de la famille d’origine.

Le choc culturel

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L’enfant placé ne peut pas faire abstraction de son vécu. Il fonctionne, comme tous les autres enfants, grâce à des repères, des valeurs et des normes qui lui ont été transmis via l’éducation dispensée par ses parents. Le problème, ici, c’est que cette éducation n’en a pas vraiment été une. Incohérence éducative, incapacité à tenir dans le temps, les parents en difficulté n’ont pas transmis grand-chose à leurs enfants de ce qui est communément admis dans notre société : en raison de violences verbales, physiques ou affectives, les enfants accueillis souffrent, pour la plupart, de carences affectives, et n’ont pas bénéficié de véritables soins. La sociabilité n’est pas leur fort : là où une règle existe, il y a aussi un moyen de s’en affranchir. Les notions de contrainte et de respect sont plus que mises de côté. On ne voit pas de mal à tricher, mentir, voler. Le principe est simple : pas vu, pas pris. Résultat : un enfant imperméable à la parole, qui ne craint et ne respecte que l’usage de la force. Un enfant qui tolère peu les frustrations, qui ne sait pas se contenir.
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Pour l’enfant accueillant qui n’est pas du tout habitué à ce genre de comportements, et qui s’étonne de voir ses parents aussi souples face à de tels agissements (mais nous y reviendrons plus tard), il s’agit d’une révélation. Celui qu’il imaginait comme étant semblable s’avère finalement très différent, parfois trop différent : un sentiment d’insécurité peut se manifester, notamment face aux réactions parfois violentes des enfants accueillis. L’accueillant réalise, peu à peu, qu’il s’est trompé, et que les jeux dont il a rêvé n’auront jamais lieu. La cohabitation se transforme alors, rapidement, en un véritable choc culturel qui mettra les nerfs de tous à rude épreuve. C’est l’enfant accueilli qui en souffrira le plus, car il va devoir changer d’habitus, ce qui par définition reste plus que difficile.
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Mais au-delà de ces différences culturelles, d’autres facteurs bien plus importants conditionnent les rapports de l’accueillant avec le petit étranger. Nous avons vu que des différends culturels pouvaient être un obstacle à une vie commune sans heurts ; outre cette divergence d’habitus, il existe une raison beaucoup plus profonde à ce phénomène : les enfants accueillis ne sont pas des enfants, au sens où nous l’entendons.
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La déception des enfants accueillants peut s’expliquer par une profonde désillusion et un véritable sentiment de mystère qui va planer autour du vécu de l’accueilli. Si les parents connaissent le parcours de l’enfant placé et donc comprennent partiellement ses agissements, pour l’enfant accueillant, il n’en est rien. L’accueilli fait figure d’énigme vivante, et le fait de ne pas saisir la portée de ses manifestations pathologiques renforce cette impression chez l’accueillant : comment peut-on être comme ça ?
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Enfants accueillants et accueillis peuvent se ressembler en tout point, par leur âge, leurs jeux ou leurs besoins. Mais l’un d’entre eux ne correspond pas du tout à ce qu’on attend d’un véritable enfant, au sens symbolique du terme : l’enfance est communément admise comme étant une période de tranquillité, d’insouciance, une sorte de conte de fées moderne où le petit d’homme n’a rien d’autre à faire que de grandir. Seulement, pour certains, le rêve est devenu cauchemar, et il les a changés à jamais. Pour les moins bien lotis d’entre eux, l’innocence n’a jamais eu lieu, et la tranquillité n’a jamais existé. Pour ceux-là, ce que nous appelons « enfance » n’a jamais pris forme. Si, extérieurement, ils ont l’apparence d’un enfant dit normal, intérieurement ils ne le sont pas : les traumatismes psychologiques qu’ils ont subis les ont changés. La psychologie affirme que c’est dans la petite enfance que se dessinent les traits de caractère du futur adulte : ici, les blessures narcissiques infligées aux enfants accueillis en ont fait des « choses » qui, au sens littéral, peuvent être appelées « chimères », une association tout à fait anormale engendrée par des années de maltraitance et de carences affectives, déguisée en enfant. Les manifestations du quotidien relèvent du pathologique et font que les locaux disent des accueillis : « Ils ne sont pas comme nous. » L’enfant accueilli ne prend pas plaisir à importuner son nouvel entourage : c’est le seul moyen qu’il a trouvé pour dire qu’il souffre. Tous ce que les enfants d’éducateurs peuvent, ici, reprocher aux enfants placés c’est d’essayer d’exprimer leur mal-être.
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Mais la difficulté de faire coexister enfants légitimes et placés dans la famille d’accueil ne s’arrête pas à ce genre de travers. L’espace partagé par les deux communautés accueillant/accueilli est une pratique silencieuse, qui en dit long sur la nature de la situation. La question de l’intégration se pose comme une nécessité pour les accueillis, et comme un envahissement pour les accueillants.

À la conquête de l’espace vital

L’enfant qui va arriver devra se sentir « comme chez lui ». Il lui faudra une place dans la famille, un espace propre dans la maison, et un statut, difficile à définir. Il va lui falloir prendre de nouveaux repères et apprendre à s’intégrer à un monde différent où il pourra rencontrer des résistances. Et c’est ainsi que les problèmes commencent : l’accueilli peut voir en la figure des personnes avec qui il doit composer des rivaux, voire des adversaires, qu’il faut éliminer pour avoir une place. Inversement, l’enfant d’éducateur a des habitudes de longue date : ses relations avec ses parents, avec son espace, avec sa scolarité ; sa petite vie est plus ou moins organisée et la routine est pour lui une source de sécurité. Seulement, cette routine est terminée : il lui faut maintenant composer avec cet « autre » fraîchement débarqué. Un parfait étranger, un extraterrestre, qu’il pourra percevoir comme une menace à sa place dans la maison et dans la famille, surtout s’il doit bouleverser ses habitudes pour intégrer ce nouveau venu, qui d’ailleurs ne répond pas du tout à ses attentes.

Vol, parasitose et double action

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La présence de l’autre et les relations que ce dernier entretiendra avec ses éducateurs (et le reste de la maison) peuvent être interprétées par l’enfant accueillant comme un vol de ce qui était jusqu’alors sien : l’espace, le temps et l’affection de ses parents. On assiste éventuellement à une lutte intestine pour le contrôle du statut d’enfant : l’accueilli tente désespérément de se lier à un binôme symbolique père-mère, ardemment et jalousement protégé par l’enfant légitime du couple. La problématique de l’enfant accueilli prend ici toute son ampleur : il oscille entre l’attachement à ses deux familles (sa famille d’origine et sa famille d’accueil), la culpabilité, le sentiment de trahir ses « vrais » parents et le deuil qu’il doit faire de l’image ternie de ses parents, de leur capacité à l’élever (sentiment malheureusement renforcé par la vie quotidienne au sein d’une famille « normale »). Ici, c’est la frustration de l’accueilli qui va être le moteur de son comportement, confronté qu’il est à ce dilemme : ici/la-bas, où est ma place ? Il tente ainsi de récupérer ce dont on l’a dépossédé : une identité familiale.
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L’enfant accueillant, lui, perçoit le placement comme une parasitose, et n’entend pas du tout laisser ce « coucou » prendre toute la place dans le nid. Il revendique son appartenance aux lieux et au cercle familiaux, il les défend plus que de raison, et de façon parfois très cruelle : « C’est ma maison, ce sont mes parents, et pas les tiens. » Les accueillants montrent souvent le besoin qu’ils ont de se sentir chez eux, et les accueillis hurlent à l’injustice. L’espace est un bien précieux qu’il faut défendre ou conquérir. Ce n’est pas tant les dizaines de mètres carrés d’une pièce qui sont disputés, mais la symbolique qui s’y attache : l’espace et son occupation révèlent la place de chacun, et c’est pour ça que les meilleures places sont disputées.
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Même chose pour les objets qui représentent ici une extension personnelle de leur propriétaire. Jamais un enfant accueillant ne concédera une place (ou un espace de rangement) qui le met en valeur symboliquement.
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Idem pour ce qui est des relations entre frères et sœurs. Un enfant n’acceptera pas de partager ses liens fraternels avec un « étranger ». Cela fait partie du « soi », c’est une composante de l’identité familiale. Il n’oubliera jamais de préciser, si on l’interroge : « Il vit avec moi, mais ce n’est pas vraiment mon frère. » Preuve que la rupture de l’intimité familiale est une souffrance. L’enfant accueillant comprend rapidement que la durée du placement s’inscrit dans le long terme, et il devra, dans certains cas, faire le deuil de ce qu’il ne trouvera plus : la tranquillité, le refuge et l’abri constitués par l’intimité qui se crée au sein de la cellule familiale. C’est terminé, et il doit faire le deuil de ce « paradis perdu ». Il s’agit pour la famille d’un « nouveau départ », ce qui suppose un temps d’adaptation, la mise en place d’une nouvelle dynamique.
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Cette situation va être également pénible pour les adultes, qui devront assumer la double casquette « parents éducateurs », et qui se trouveront directement sur la ligne de front, à arbitrer qui, de leurs propres enfants ou des enfants accueillis, a raison (ce qui, dans un cas comme dans l’autre, posera d’autres problèmes). Les enfants accueillants perçoivent, bien évidemment, ce changement de situation : les adultes ne sont plus « parents » à temps plein, ils sont divisés structurellement, deviennent des êtres doubles. Le régime n’est pas le même selon qu’ils agissent en éducateurs ou en parents : ils seront beaucoup moins exigeants envers les enfants accueillis qu’avec leurs propres enfants (forts mécontents, d’ailleurs, d’une pareille injustice). Des négociations pourront avoir lieu entre ces parents et leurs enfants, qui verront leur éducation se transformer au contact de cette nouvelle dynamique. L’espace familial quitte peu à peu la sphère privée. C’est une période délicate, qui demandera des compromis de chaque côté, et qui aboutira sur le long terme à une situation beaucoup plus stable.

De futurs éducateurs ?

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Pour conclure, on peut observer que les adultes ont la fâcheuse tendance à considérer leurs enfants comme étant aussi accueillants et compréhensifs qu’eux-mêmes. Si un éducateur comprend et accepte les manifestations pathologiques d’un petit d’homme en souffrance, cela est beaucoup moins évident pour un enfant qui n’a ni le recul, ni la maturité d’un adulte formé professionnellement pour faire face à ce genre de situation. Les enfants placés peuvent vous rendre fous si vous ne faites pas preuve de patience et d’un minimum de compassion. Mais on ne peut pas décemment leur en vouloir : ils n’ont pas choisi la vie qu’ils ont. La vie en famille d’accueil n’est pas toujours simple à gérer. C’est un pari : celui de concilier et confondre vie professionnelle et vie familiale, en supposant que ses propres enfants accepteront les difficultés du quotidien. Mais globalement, et surtout avec beaucoup de recul, c’est une expérience très enrichissante pour les enfants accueillants : elle leur permet de s’éveiller à la souffrance d’autrui et à la misère du monde. Elle enseigne la tolérance et la patience, de gré ou de force, et génère des individus peut-être plus sensibles à la situation précaire de toute une frange de la population. Enfin, elle est susceptible de susciter des vocations et pourrait préparer la future génération de travailleurs sociaux.

Plan de l'article

  1. Quand l’imaginaire trompe…
  2. Le choc culturel
  3. À la conquête de l’espace vital
  4. Vol, parasitose et double action
  5. De futurs éducateurs ?

Pour citer cet article

Annoni Charles, « La place de l'enfant accueillant dans les familles d'accueil », Enfances & Psy, 1/2007 (no 34), p. 157-161.

URL : http://www.cairn.info/revue-enfances-et-psy-2007-1-page-157.htm
DOI : 10.3917/ep.034.0157

vendredi 6 janvier 2017

document redigé par une association de FA belges



Vous songez à accueillir un  enfant en danger, un enfant privé ou sevré d’une famille dans laquelle il aurait pu s'épanouir.  Vous voulez lui ouvrir votre famille comme un lieu où il pourra réapprendre à grandir, à retrouver la confiance en l'autre et en lui.  Vous voulez partager avec lui votre capacité d'écouter, de comprendre, d'aimer, de donner des repères.   Peut-être avez-vous vécu des situations difficiles qui, à votre avis, vous permettront de mieux comprendre et aider un enfant en souffrance.

Vous vous êtes préparés, ou vous allez le faire, en prenant connaissance des écrits que les instances officielles vous ont destinés. Vous saurez ainsi les rôles des divers intervenants : Service d’Aide à la Jeunesse, Services de Placement  Familial, Juge de la Jeunesse…. Sans doute avez vous  pris connaissance des conditions juridiques, sociales, financières qui régissent  l’accueil familial, grâce à vos contacts préalables avec l’une ou l’autre de ces instances, mais vous auriez aimé rencontrer des « gens de terrain », des familles d’accueil, entendre leurs expériences, partager avec elles vos espoirs et vos appréhensions : c’est ce que nous voulons vous apporter en toute franchise et en toute amitié. 

Reparcourir avec vous  notre cheminement, lent et progressif pour certains, plus inattendu  et surprenant pour d’autres, tel est notre objectif.  

Divers membres de  La Porte Ouverte  (A.S.B.L. regroupant les familles d'accueil de la Fédération Wallonie-Bruxelles) ont souhaité partager avec vous  leurs vécus, parfois même leurs conseils et leurs commentaires. Ceux-ci ont été recensés, regroupés et ordonnés  par cinq familles d’accueil afin de réaliser ensemble cette brochure, en privilégiant leur spontanéité plutôt que la cohérence de l’ensemble. C’est ainsi que chacun a apporté sa contribution à sa manière et dans son style personnel.  La seule cohérence recherchée  a été celle de la chronologie depuis l'éveil de l’idée d’accueillir un enfant  jusqu’à sa majorité, son insertion dans le monde adulte ou son retour vers sa famille d'origine.

Que d’étapes à parcourir, que de joies éphémères ou  profondes, que d’écueils à franchir…   

Lisez donc ces récits de bout en bout pour partager notre expérience parfois difficile à exprimer, et pour vous  rendre compte des obstacles que nous avons rencontrés.  


Comprendre l'accueil

L'accueil, qu'est-ce que c'est ?

Par suite de difficultés non surmontées vécues au sein de sa famille, l'enfant confié en accueil a besoin pendant un certain temps d'une famille – relais pour continuer à grandir dans un climat serein, sécurisant, entouré par des adultes attentifs et chaleureux.

L’accueil se situe donc au point de rencontre :   d’une famille en difficulté telle qu’elle n’est pas en mesure d’assumer son enfant au quotidien ;  d’un enfant en souffrance ;  d’instances officielles estimant qu’une orientation vers une famille d’accueil lui serait bénéfique ;  d’une famille, avec ses richesses et ses limites, désireuse de tendre la main à cet enfant, dans le respect de son histoire et de sa personne, pour lui donner une nouvelle chance.

Bref, accueillir un enfant, c’est :  marquer concrètement sa solidarité envers un enfant en difficulté ;  accueillir tel qu’il est un enfant en souffrance pour l’aider à construire sa propre personnalité et à se socialiser ;  respecter sa famille de naissance et son histoire ;  collaborer avec les intervenants professionnels, leur partager notre connaissance de l’enfant, savoir que nous avons le droit d’être aidés dans notre tâche ;  parfois aussi, c’est se battre pour que les meilleures décisions possibles soient prises pour l’enfant.



 
Accueil et adoption

Ce qui différencie surtout l’accueil de l’adoption c’est que la famille d'accueil prend en charge des enfants qui ne seront pas les siens. Ces enfants en accueil “appartiennent” toujours à leurs parents de naissance (habituellement, ils ne sont pas déchus du droit parental), mais ils sont confiés à la collectivité.   A cause de ce fait, la famille d'accueil a des “comptes à rendre” à plusieurs organismes (service de placement, Juge de la Jeunesse, Service de Protection Judiciaire, Service d'Aide à la Jeunesse, etc.…). Le contrôle exercé par ces différents acteurs sur la famille d'accueil peut donc parfois être ressenti lourdement.

Accueillir ce n’est pas avoir la même autorité sur l'enfant que celle que l’on a vis-à-vis d’un enfant naturel ou adopté.

L'accueil a ses particularités : l'enfant ne porte pas le nom des parents d'accueil; l’enfant vient avec son passé  et ses souffrances; l’enfant est placé par une institution, qui le suit; l’enfant a une mère et un père biologiques, une famille d’origine.

Accueillir un enfant c’est aussi et surtout gérer tout cela au mieux.














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 Les valeurs de l'accueil

L'accueil en famille devrait permettre de rompre l'engrenage qui se répercute bien souvent de génération en génération. C'est un partage d'amour, bien sûr. Mais c'est aussi un partage d'affection, de références et d'autres valeurs.  

L’accueil devrait donner l’occasion à l’enfant de reprendre une évolution positive : plaisir des apprentissages, envie de grandir, joie de vivre, confiance en lui et en autrui, capacité de nouer des relations et de faire des projets…

Le partage de la vie quotidienne avec des parents d’accueil, une fratrie, devrait l’aider à se situer, à s’identifier : à partir de ce «modèle» de relations conjugales, parentales, fraternelles, comment va-t-il se situer pour construire sa propre manière de devenir conjoint, parent, citoyen… ?

Quand l’accueil peut se réaliser en accord et en collaboration avec la famille de naissance, c’est un plus pour l’enfant qui ne sent pas déchiré dans un conflit de loyautés, mais qui a au contraire la « permission » d’aimer ses deux familles.

Quant aux satisfactions de l’accueil pour la famille accueillante, elles sont multiples : ouverture à un univers différent, se sentir utile, développement de l’imagination et la créativité pour faire face aux problèmes, espoir que l’enfant gardera ce qu’il aura reçu pendant son accueil,…


Qui sont ces enfants que l'on accueille ?

Difficile de définir l’enfant que l’on accueille.  De toute façon, il ne correspond pas à l’image un peu idyllique que l’on s’en fait. Il est fréquent qu'il vienne d’une famille très souvent déstructurée, recomposée, avec des repères très flous ; bref, une famille profondément blessée, marginalisée, qui n’a « pas été capable de... »

Souvent, ces enfants vivent déjà séparés de leur famille (pouponnière, institution, famille d’accueil d’urgence,…), soit à la demande de leurs parents, soit en raison d'une décision prise par un professionnel estimant cette solution préférable pour l’enfant. Certains reçoivent peu ou pas de visites de leurs parents et ressentent un abandon.

Ou encore, ils vivent dans leur famille mais n’y grandissent pas bien : un mauvais développement intellectuel et/ou psychomoteur, un repli sur soi, de l’agressivité,


 
troubles du langage, des difficultés d’entrer en relation… peuvent constituer des signes indicateurs de problèmes importants vécus par l’enfant.

Concrètement, ils peuvent avoir été confrontés, dans leur milieu familial, à des problèmes de drogue, de maltraitance physique ou psychologique, d’abus sexuel, de négligence, à des absences répétées et / ou prolongées de leurs parents…

Ces enfants gardent forcément la trace de cette souffrance. Etant donné les ruptures, la discontinuité dans l’attention et les soins prodigués,  ils peuvent connaître des moments d’angoisse très grande où l’important pour la famille d’accueil sera, non pas de parler, mais d’écouter, d’être présente pour contenir l’angoisse (pendant les cauchemars, pour essuyer les larmes,…).

Tous les enfants ne sont pas prêts à entrer en famille d’accueil. Chez certains, la capacité de s’attacher, de créer des liens proches, de faire confiance est si abîmée qu’ils se sentiront mieux en institution car ils y trouveront un plus grand nombre d’adultes entre lesquels évoluer et pourront y nouer des relations plus « à distance ». Les enfants aptes à bénéficier d’un lien affectif durable avec des adultes structurants pourront être confiés à des familles d’accueil.



Jessica vivait chez ses grands - parents depuis l’âge de 6 mois car sa maman n’arrivait pas à assurer les soins indispensables à un bébé. A 3 ans l’assistante sociale s’inquiète : Jessica parle peu et mal, s’agite beaucoup, se débilise ; l’institutrice signale son mutisme, ses peurs, sa difficulté immense à entrer en relation. Plus tard, un bilan psychologique approfondi confirma les l acunes dans la construction de sa personnalité et dans son développement intellectuel, lacunes liées au comportement (inconsciemment) destructeur de son milieu familial. Elle avait pou rtant des possibilités d ‘évolution. C'est à 5 ans qu'elle est arrivée c hez nous. Très lentement, elle s’apprivoise, apprend à faire confiance et à oser dire ce qu’elle pense et désire. Un soutien psychologique intensif est toutefois nécessaire pour l’y aider.








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  Notre Marie a fait le tour de 2 familles qui n’ont pu la garder pour diverses raisons essentiellement caractérielles. Ensuite elle a été placée chez nous par un organisme pour le mois de juillet. Elle a insisté pou r rester encore le mois d’août, et à nouveau au mois de septembre. Nous changions de formule et passions d’un accueil de vacances à un accueil à long terme, avec un autre organisme, bien sûr. Et nous nous sommes lancés sans rien connaître – ou si peu – de sa trajectoire familiale, psychologique et médicale. Au bout de quelques mois, la période de l’idylle était passée ; a commencé alors celle des tests à notre égard. C’est alors que nous avons touché du doigt toutes les sou ffrances qu’avait vécues Marie – s ans que nous en sachions plus. Elle ne savait pas grand - chose non plus. Après les 4 ans passés chez nous, où elle dépensait de plus en plus d’énergie à troubler et à déséquilibrer notre contexte familial, nous avons dû nous séparer d'elle. Elle a fait alor s 3 institutions en 3 ans, toujours pour des raisons caractérielles. A présent, elle vit chez sa maman avec sa demi - sœur, mais c’est diff icile ; cette enfant aura toujours une relation d’agressivité vis - à - vis de la vie qui aura tout bousculé pour elle. Ell e est ce que l’on appelle dans le jargon psychosocial  une « abandonnique ». Même si les choses s’améliorent - elle passe des week - ends ici, à sa demande - , il restera toujours des traces des souffrances passées.









Claire est une enfant qui est arrivée à la pouponnière directement de la clinique où elle est née, parce que ses parents avaient été considérés inaptes à l’élever. Elle avait en effet un frère plus âgé qui avait dû être écarté de sa famille parce qu’il avait été battu par le père. Là dans la pouponnière, pendant les premiers mois, elle s’est att achée à une puéricultrice qui malheureusement n’a pu rester. Elle a vécu ce départ comme un deuxième abandon après celui de ses parents et s’est complètement refe rmée. Pendant un an, elle  n’a plus souri ni parlé. Elle avait arrêté d’évoluer!   Ses parents lui rendaient très peu de visites. Seule sa grand - m ère venait la voir de temps en temps.  C’est alors qu’elle avait 18 mois que le juge de la jeunesse a chargé le service de pl acement  de trouver une solution  pour tenter de casser ce blocage. C’est à ce moment que nous avons été contactés.





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Les chemins de l'accueil

Se porter candidat

Se porter candidat famille d'accueil est généralement pour les familles l’aboutissement d’une réflexion longue et profonde. Ce n’est pas quelque chose que l’on fait à la légère. En effet, s’occuper quotidiennement d’enfants qui ne sont pas les nôtres est une lourde responsabilité. Il faut également prendre en compte l'avis de nos propres enfants, quel que soit leur âge, pour éviter qu'ils se sentent moins aimés, voire sacrifiés pour d'autres, même s'ils sont fortement dans le besoin. Les motivations des familles à avoir des enfants en accueil sont multiples et complexes (vide après le départ de ses enfants, envie de partager son expérience d'éducation, souhait d'une famille plus nombreuse…). Elles ne sont certainement pas toutes purement altruistes, mais, ce qui compte, c'est que cela aboutisse à la candidature d'une famille prête à donner toute son énergie et son amour à un enfant qui en a tant besoin. 


L'impact sur la fratrie

Nous n'insisterons jamais assez sur la réflexion indispensable au sujet de l'impact d'un accueil sur la fratrie.  Le sentiment d'injustice fréquemment rencontré entre frères et sœurs ("tu le préfères!") peut, si on n'y prend garde, être exacerbé par la somme d'efforts réclamée par cet enfant perturbé. Il faudra donc expliquer. Et garder des moments privilégiés avec chacun de ses enfants. Il est important pour l’enfant accueilli de savoir que ses frères et sœurs d’accueil ont des limites, et pour ceux-ci, de pouvoir s’affirmer par rapport à lui. Pour se donner les meilleures chances de réussite, certaines conditions nous paraissent essentielles :  respecter le droit d'aînesse (ne pas accueillir un enfant plus âgé que l'aîné);  ne pas accueillir un enfant du même âge que l'un de siens ("faux jumeaux" avec, à la longue, des rivalités inévitables);  attendre que le dernier-né ait au moins 2 ans pour qu'il ait reçu son "quota" de nursing et d'attention, et pour qu'il soit capable de mettre en mots ses émotions;  attendre que l'enfant accueilli ait construit sa place avant d'envisager une nouvelle naissance, adoption ou accueil.  









 
Dites, avant que je m’installe chez vous, j’voudrais que vous vous mettiez bien d’accord.  Promis ?
 Premiers Pas sur le chemin de l'accueil  –   Page 21 de 56  -  La Porte Ouverte
 


Je m’appelle Arthur et j’ai 22 ans. Laissez - moi vous conter l’histoire de l’accueil telle qu’elle est vécue du côté frère et sœur. Serge est mon aîné et Jean me suit de près dans la chaîne familiale. Papa, maman, Serge, Jean et moi : le tableau familial ne souffre à priori d’aucune faute de ton, de coloris ou d’harmonie. Les jours se passent et les trois frères évoluent dans le cadre rassurant (ennuyant ?) de la normalité. Et puis, allez savoir pourquoi, la génération du dessus commence à parler bizarrement, avec d’autres mots. On nous parle d’une petite sœur ou d’un petit frère un peu part ic u lier qui sera des nôtres, sans être t out à fait le même. Quand on a six ans, un tel discours est intrigant, mais sans plus. Et puis vient le jour où une petite fille s’inséra dans notre famille. Deux ans plus tard, rebelote, un nouvel arrivant défaisait ses b agages. Ces deux intrus qui sont v enus s’incruster dans l’harmonie calme de ma vie d’enfant puis d’adolescent et enfin d’adulte, je n’ai pas réclamé leurs arrivées. Cepe ndant, je n’ai jamais regretté leur présence à nos côtés et encore au moment d’écrire ces quelques mots j’ai le sourire a ux lèvres. Tous les frères et sœurs de (futurs) e nfants accueillis doivent être mis au diapason : une fois passé l’envoûtant sentiment d’exotisme et de nouveauté, le chemin s’avère long et parsemé d’embûches. Et pou rtant, vous avez toutes les raisons d’êtr e impatient. Ce qui cloche avec ces nouveaux venus c’est qu’ils ne pensent pas comme vous, ils ont des comportements et des réa ctions parfois étranges et bizarres. Mais cette différence qui effraie, est celle - là même qui vous permettra d’apprendre et de ga gner en sensibilité et en maturité. Ce frère, cette sœur dont nos parents nous proposent plus ou moins la compagnie nous permettent de voir le monde d’un point de vue différent. Le point de vue de ceux qui n’ont pas eu la chance dont nous jouissons. J’aime rais communiquer à tous les futurs frères et sœurs d’enfants en accueil, ne fût - ce qu’une parcelle de la richesse de mon expérience. Mais cela ne se
 communique pas : cela se vit. Alors n’ayez pas peur : o uvrez grand votre cœur et vivez cette différence spo ntanément. Faites moi confiance, d’ici quinze ans, vous ne regretterez rien.















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Pas facile, un petit frère si différent !  On en apprend chaque jour,  mais côté ambiance,   chez nous, pas de problème !
Snif ! C’est beau la fratrie…
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Mes parents sont à la fois grands - parents et famille d’accueil d’un enfant depuis ses trois mois : un choix qui s’impose à toute une famille et qui suscite différentes réa ctions. Cinq ans plus tard, j’ai maintenant  34 ans et deux fillettes, l’une d’un an de plus et l’autre d’un an de moins que l’enfant accueilli. J’admire mes parents pour leur disponibilité et  leur ouverture aux autres  et je re specte leur choix. Je culpabiliserais d’égoïsme en refusant à cet enfant, à André, la chance de recevoir amour, tendresse, stabilité, équilibre et éducation. Ce dernier point est sensible : est - ce le rôle de grands - parents d’éduquer ? En ont - ils encore la patience et la force ? Leur disponibilité  de grands - parents de mes enfants est aussi sur la balance .Quand il s sont sans enfant, je n’ose pas leur confier les miens pour les laisser profiter de leur « temps libre » bien mérité. Par contre, ils restent jeunes et motivés à faire des activités avec tous leurs petits - enfants. D’autres questions se posent : l’avenir ? L’adolescence ?  S’il arrivait quelque chose à mes parents ? Accueillir André est un fait acquis, mais les séjours occasionnels de sa sœur …?; le flou…; Quelle est la limite ? L’enfant n’a pas encore pris conscience de la différence de milieu entre sa fam ille naturelle et sa famille d’accueil. Va - t - il accepter ce fossé ? Contre qui sera dirigée sa révolte ? Ma famille est entrée dans le système  par l’accueil d’urgence auquel nous avons tout de suite adhéré ensemble. Le glissement de la situation vers un a ccueil à long terme est une décision qui implique toute une famille au sens large. C’est là que je regrette le manque de communication et d’explication de mes parents. J’encourage de telles initiatives dans un climat de transparence pour éviter toutes jalo usies, blessures ou présupposés au sein de la famille et pour que l’enfant reçoive l’amour de toute la f amille.








J’ai envie par moments qu’elle parte car elle détruit la famille, mais je me sens co upable parce qu’elle a déjà vécu tant d ‘échecs.






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Surtout, pas de culpabilité ! Ne dépassons pas nos limites… Restons heureux !  Tout le monde y trouvera son bonheur
Eh, les vieux ! Vous n’êtes pas seuls à accueillir…
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J’avais 16 ans (j’en ai 25 aujourd’hui) quand maman a eu la bonne id ée de nous inscrire en tant que famille d’accueil. Mes grands frères et sœurs ayant quitté la maison, m aman disait : «Nous voilà avec une grande maison vide, pourquoi ne pas la remplir?».  C’est ainsi que de temps à autre nous ouvrîmes nos portes à des enf ants ayant besoin d’un accueil temporaire. Nous en avons vu défiler quelques - uns : des tout petits, des adolescents, des belges, des étrangers,… ; Ce fut à chaque fois avec joie et curiosité que nous leur ouvrîmes nos portes. Bien sûr, chaque accueil ne fu t pas sans difficultés et tous les enfants n’ont pas la même faculté d’adaptation.  Certains vivaient des crises familiales difficiles, d’autres pas. Mais ceux qui nous ont ouvert leur cœur, o ffert leur confiance et leurs rires nous ont appris beaucoup. Ch aque accueil nous fit découvrir un monde, une histoire différente, nous forçant ainsi à sortir de notre p etite bulle bien protégée. Aujourd’hui j’ai un petit frère de plus. Il est arrivé chez nous il y a 5 ans dans un tout petit couffin pour ne plus repart ir. Ses rires et ses colères animent le foyer. C’est vrai qu’il demande beaucoup d’énergie à mes parents et leur donne du fil à retordre mais il est bien vite pardonné quand il me présente à ses c opains en disant : « Tu vois, c’est chouette, hein, quand ma grande sœur est là ».  Il est vrai que je redoute un peu son adolescence, mais ses signes d’affection et sa volonté de faire partie de notre de famille nous montre d’ores et déjà que le challenge à venir en vaut la chandelle. Allez, bon vent !









Le fait d’être frère ou sœur d’accueil ne fait pas perdre l’envie d’avoir des enfants à soi, mais renforce le désir d’avoir une famille solide pour que leurs enfants ne sou ffrent pas comme l’enfant accueilli.














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D’accord, je leur en fais baver ! Mais, faut pas croire :  Ils en ont appris des choses grâce à moi !
Moi, j’aime bien ma sœur…
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J’avais presque 7 ans quand Mélanie, ma petite sœur d’accueil est arrivée et je m’en réjouissais : avec mes frères, je ne partageais pas les mêmes centres d’intérêt et souvent je m’ennuyais. J ’avais juste un peu peur de ne plus être la petite dernière, la seule fille de la famille. Cela me tracassait aussi de savoir qu’elle ne venait peut - être pas pour toujours, qu’elle pourrait retourner dans sa famille. Ce que je ne savais pas, c’est que j’allais devoir faire face à de nombreux chang ements : moins de temp s accordé par mes parents, partage de mes jeux, pleurs pendant la nuit et d’autres choses qui ont changé ma situation. En plus, elle avait un an, elle ne parlait pas et j’ai dû attendre longtemps avant de pouvoir jouer vraiment avec elle ! Malgré tout, cel a s’est amélioré jusqu’à l’arrivée de Jessica, la sœur de Mélanie, 2 ans après.  Et là, rebelote. Mélanie est devenue de plus en plus difficile, jalouse, agressive. Jess ica était très craintive, elle se méfiait de tout le monde sauf de moi et de ma maman, peut - être parce que nous étions allées lui rendre visite dans sa famille avant son arr ivée chez nous. Plus tard, Mélanie a commencé à chaparder dans ma chambre et dans celle des autres, d’abord des petites choses et puis de l’argent  (à ma mère). Alors, qu e penser de l’accueil ? Selon moi, cela a été très difficile au début mais cela s’est vraiment amélioré; j'ai maintenant 13 ans et je suis bien contente qu’elles soient chez nous. Nous jouons ensemble, nous préparons des spectacles de danse ou de cirque, n ous f abriquons en cachette des cadeaux quand c’est la fête ou l’anniversaire de quelqu’un ; nous nous disputons aussi mais c’est la vie ! Parfois, je les aide à écrire à leur famille quand elles le veulent. C’est important de passer des moments, même court s avec nos parents sans l‘enfant accueilli, car il est omniprésent, cherche à être le centre de l’attention. Nous avons aussi le droit de revendiquer des choses pour nous. 














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C’est chouette d’être grande sœur, mais j’ai besoin de souffler de temps en temps…
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En accueil chez nous depuis qu’il est tout petit, Simon a aujourd’hui 15 ans. Jusqu’il y a peu tout se passait sans problème, mais maintenant il passe une adolescence très di fficile. A défaut de bien pouvoir se situer, il accumule les bêtises. De par son compo rtement, il se fait progressivement exclure de tous les groupes sociaux qu’il côtoie (club de foot, scouts, école ...). Toute sa famille d’accueil passe aussi sous les feux nourris de son artillerie. Papa et maman en ont longue ment parlé entre eux et avec nous. Ils ont décidé la fermeté à la fois pour résister à l’assaut et lui servir de point de repère.  Cette relation d’autorité et de crainte n’est toutefois pas favorable à un échange se ntimental constructif, c’est pourquoi en tant que frère d’accueil, j’ai, de ma propre in itiative, pris un rôle de médiateur. J’informe mes parents, je conseille Simon, je lui évite des punitions et j’aplanis les tensions. Je ne le ferai pas toujours, mais ponctuellement je trouve que c’est bien. Cela me rapproche de Simon et de mes parents. Je me sens utile car je sens que je participe à la réussite de l’accueil.




L'accueil au jour le jour

Les difficultés de l'enfant accueilli et les répercussions sur la vie au quotidien

En soi, un enfant est comme un "trou noir" : il possède une énergie sans commune mesure avec sa taille, il avale tout ce qui l'entoure  et il en fera, dans un avenir non déterminé, un nouvel environnement imprévisible par le biais d'une alchimie mystérieuse. 

Que dire alors de ces enfants dont les débuts furent perturbés ? Comme s'il s'agissait pour eux de rattraper le temps perdu, ils mettent une énergie incroyable à être le centre de leur nouvelle famille et veulent en accaparer toutes les ressources, au détriment des autres membres du groupe. On peut supposer que, n’ayant pas bénéficié de l’attention intense, constante et durable dont tout bébé a besoin de la part de ses parents, cet enfant a besoin de repasser par un stade de « collage » constant à ses parents d’accueil (souvent la mère) pour vérifier qu’il est aimé, qu’on ne l’oublie pas, qu’il compte vraiment. Ce passage difficile mais nécessaire lui apprendra à faire confiance à l’adulte et à pouvoir le quitter pour s’intéresser à autre chose, en sachant que cet adulte continue à l’aimer même s’il n’est pas physiquement tout près de lui.



Ils sont confrontés à la différence de nom et de statut. Ils ont un besoin éperdu d'amour, mais paradoxalement, ils vont parfois malmener leur entourage jusqu'à se faire détester et rejeter pour tester leur attachement ("et si je fais ça, vont-ils encore m'aimer?").

De plus, il faut bien constater que la plupart du temps les carences s'additionnent : puisqu'ils sortent souvent d'un milieu défavorisé, les difficultés scolaires viennent parfois s'ajouter aux autres.

Nous pensons que la réussite à l'école n'est pas un facteur essentiel. L'important est de rétablir leur confiance en soi et vis-à-vis de ces nouveaux adultes qui les entourent; de découvrir qu'ils ne sont pas moins que les autres; mais aussi de prendre des responsabilités, de suivre des règles, de reconnaître leur implication dans les choses qui ne vont pas... Bien sûr, l'amélioration des résultats scolaires peut y contribuer, mais il faudra garder constamment à l'esprit qu'il s'agit là d'un moyen et non d'un but… (et donc, pour nous, parents d'accueil, de pouvoir abandonner le rêve "légitime" d'une réussite scolaire).



Dis, pourquoi j’ai pas  le même nom que toi ?
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Xavier est arrivé chez nous à l’âge de 3 ans. Il s’est tout de suite parfaitement adapté. C’était un petit bonhomme charmant, att achant, sans problème. Et puis l’adolescence est arrivée. En deux ans, Xavier a changé complètement d'att itude. Je ne vous énumérerai pas ici les détails, mais vous pouvez tout imaginer, tout, mêm e l’inimaginable, et encore plus. Il se fait volontairement souffrir, détester jusqu’au rejet pur et dur. Il ne conçoit pas d’autres perspectives. Pourquoi? Comment est - ce possible? Que se passe - t - il dans sa tête? Que faut - il faire? Mon épouse et moi - même avons tout essayé. Nous avons consulté des professionnels … Nous sommes à bout de nerf s , excédés. Tous les jours, la tension est permanente, la rupture imminente. On nous dit que vu son âge, cela durera encore deux ans. Tiendrons - nous encore le coup ? Nous avons des connaissances où cela fut une situation similaire. Le mari a dit «  C’est lui ou moi ». Ils ont divorcé. Nous avons d’autres connaissances qui ont tenu bon, mais l’épouse en a vieilli de 15 ans d’un coup. Et nous, comment allions - nous en sortir ? Quelques mois après… Nous avions changé Xavier d’école, le mettant en internat; nous pouvions enfin «sou ffler». Les séparations, programmées, régulières, limitées, Xavier les a très bien gérées. En fait, il se réjouissait même d’être le lundi matin pour pouvoir repartir pour la s emaine. Les week - end restaient assez « hard ». On a vu arriver la Toussaint avec a ppréhension. Et puis on a senti les choses évoluer. Une lueur d’espoir dans la tempête. Il supportait de moins en moins les éducateurs à l’internat. Nos interventions là - bas pour rétablir une certaine justice à ses yeux, le réconfortaient. Progressivement des soudures a ffectives de qualité se sont créées malgré l’éloignement. Les retours en week - end d evenaient de plus en plus une satisfaction partagée. Miracle du ciel, les résultats scolaires sont devenus bons. La spirale tournait dans l’autre sens. Après 2 ans d’internat, Xavier redevient externe. Il s’assagit, s’épanouit. A tel point q u e, m a i n t e n a n t q u e s a s i t u a t i o n le p e r m e t, n o u s e n v i s a g e r o n s p e u t - ê t r e le s d émarches en vue de l’adoption.


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Et dire qu’on était prêts à jeter l’éponge…
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Si un jour un enfant élit domicile chez vous, rappelez-vous toujours qu’il n’est pas et ne sera jamais votre enfant. Cela afin de mieux comprendre que dans son esprit vous n’êtes pas et ne serez jamais ses parents. Il n’a pas demandé à venir chez vous, on a décidé sans lui demander son avis… De cette révolte naîtra ses difficultés d’assumer les règles du quotidien que vous lui imposerez et qu’il appliquera tant bien que mal. Il pensera d’abord: «ils me font ch…». Ensuite, il vous le dira. Vous aurez du mal à le comprendre. Il vous en voudra. Il vous en fera voir jusqu’à enrager. Croyez-nous, il faut être solide pour résister. Il faut non seulement être solide soimême, mais il faut être un couple solide. La fratrie sera également secouée. Dites-vous que s’il vous fait souffrir, c’est parce qu’il souffre lui aussi. Il n’y a pas d’autre solution que de continuer à l’aimer et de prendre patience, et de ne pas s’imaginer qu’accueillir c’est rose tous les jours. Le partage avec d'autres parents d'accueil, tel qu'il se pratique à La Porte Ouverte, peut constituer un soutien important et une source d'idées pour faire face à la situation. 



Lorsque Sophie est arrivée , rien ne semblait si difficile, mais au fur et à mesure que le temps passait, elle prenait non seulement sa place, mais aussi celle des autres membres de la famille; Le "statut" qu'on était heureux de lui offrir la bousculait, les antécédents qu'elle avai t vécus ne la préparaient pas à une place stable. Elle n'était habitée par aucune structure affective et sociale, et donc ne pouvait pas non plus respecter nos "bulles" personnelles. Pas de limites et donc difficultés scolaires et trouble de l'attachement étaient au rendez - vous.  
















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J’en ai marre, marre, marre ! de tout, de vous, de moi… J’vais tout casser !
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LA voici. Enfin, elle est chez nous… Elle a l'air heureux . MON papa, MA maman, MON chien, MA maison. Elle a besoin de posséder des choses à elle. De fait, au home, tout est à tout le monde. La jolie poupée offerte a été découverte nue et dégoûtante dans un coin. Nous avons pu un peu la r econstituer, et, 8 ans après, elle est restée sa poupée fétiche. Mais elle veut aussi continuellement posséder notre attention et tout est bon pour y arriver : se débattre lors des habillages, parler sans arrêt, ne pas entendre quand on lui parle, ennuyer les autres enfants de passage à la maison, etc… Notre patience est mise à rude épreuve. Que faire ? "Comme avec nos enfants" nous répond le service de placement. Alors des petits trucs, des bons points, des menaces de manger seule, le coin, mais surtout so uvent lui dire que nous l'aimons, la féliciter à chaque progrès, beaucoup la câliner, l'embrasser, lui témoigner beaucoup d'attention lorsqu'elle est "sage", se lever quatre à cinq fois la nuit pour la rassurer, instaurer des habitudes très régulières, les rituels d'avant dodo, les mêmes repas aux mêmes heures, lui créer très vite des hobbi es, la sieste tous les jours, le biberon continué longtemps… en fait, tout ce qui peut la ra ssurer, la contenir. Jusqu'en deuxième gardienne, l'illusion : elle suit car elle parle très bien et se met volontiers dans le mouvement. Mais en 3°, c'est très dif ficile. Outre un problème m édical, les différentes ruptures qu'elle a vécues font qu'elle n'a aucune orientation temporelle. Malgré des habitudes de vie très régulières, elle confond matin, midi et soir, et quant aux jours de la semaine, n'en parlons pas! En accord avec le PMS et le service de placement, elle recommence sa 3° gardienne. De fait, cela va un peu mieux. Au bilan suivant, nous apprenons qu'elle a un quotient "limite" et effectivement, tout est difficile : la lecture, l'écriture, mais surtout le calcul. Se rappeler ce qu'on a fait, ce qu'on doit faire, suivre des indications multiples, s'y retrouver dans son plumier, dans ses fardes. Les travaux scolaires prennent deux à trois fois plus de temps et sont souvent inachevés. Mais c'est une petite fi lle volontaire qui termine victorieusement sa 1°, sa 2°, sa 3° primaire, avec des matières non acquises, mais un bagage suffisant pour continuer l'enseignement normal, et les "lots de consolation" (elle chante bien, dessine des hi stoires, fait des imitatio ns, aime le sport) nous font croire en son avenir et en l'utilité de notre travail.






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Une caractéristique commune à de nombreux enfants d'accueil est leur hyperactivité. Plutôt doués pour les jeux physiques et les sports, ils y dépensent beaucoup d'énergie  mais souvent sans discipline ou en ordre dispersé. Ils passent fréquemment d'une activité à une autre  et peuvent ainsi échapper à un effort de concentration dans la durée. En groupe, leur agitation est communicative au point d'atteindre tous les copains / copines et de saboter ainsi le jeu ou la partie de sport qui les réunit. 

Un syndrome courant est le mensonge, par nécessité de prendre une attitude défensive acquise au cours de la confrontation de plusieurs méthodes éducatives dans les milieux que l'enfant a successivement connus:  pouponnière, famille d'origine, institution, famille d'accueil, etc…. Cette habitude de mentir est parfois si constante que l'enfant ne perçoit plus la différence entre le vrai et le faux. Il peut alors devenir mythomane jusqu'à l'âge adulte, une tendance qu'il n'est pas rare de découvrir chez les parents d'origine qui ont fait le même parcours. Dans certains cas le mensonge est une habitude  prise pour couvrir divers petits

larcins dans l'entourage direct, ou même de véritables vols dans les supermarchés, boutiques, à l'école, etc… Mais il ne faudra pas confondre mensonge et manifestation de ce qui est connu sous le nom de "loyautés familiales". De quoi s'agit-il ? Chez l'adulte, la loyauté, qui est une des formes de l'affection, exige notamment du renoncement, du courage ou de l'abnégation lorsqu'elle est mise à mal par d'autres ou par les circonstances de la vie. L'enfant, plus fragile, a beaucoup de peine à vivre simultanément des attachements qui lui paraissent concurrents, notamment à propos de sa famille d'origine et de sa famille d'accueil. Si l'enfant se sent incapable de manifester spontanément son attachement envers plusieurs proches simultanément, il court le risque de subir une dé
Dessin de Michel Demoor 
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pression ou de sombrer dans l'autodestruction. Ou bien, il se défendra peut-être contre cette situation qui le dépasse, en recourant au mensonge, à la manipulation ou au renfermement sur lui-même. Même le refus de communiquer est en soi un message de détresse. L'enfant rencontre une réelle difficulté au niveau de son partage affectif entre deux attachements familiaux. Il est fréquemment obligé de faire un choix impossible. Il pense devoir exclure une famille pour être reconnu par l'autre. Il va aller jusqu'à les monter l'une contre l'autre, négativisant encore l'image des parents d'origine. Parfois, le malaise ira jusqu'aux troubles de santé. Essayer que parents et familles d'accueil ne rentrent pas dans ce jeu de rivalités (composé par l'enfant) permet d'éviter le renforcement de ce jeu, Cet enfant en accueil voudrait être sauvé par et avec ses parents. Il peut en vouloir à ses parents d'accueil d'être là à la place de ses parents ("le bisou, c'est ma maman qui devrait me le donner"). Parfois aussi, inconsciemment, il voudra se porter soignant des douleurs d'enfance vécues par ses parents; cela peut aller jusqu'à demander son retour chez eux parce qu'il veut les consoler, s'en occuper, et non parce que ce retour serait bon pour lui. Que de multisentiments paradoxaux, alors qu'il est retiré de leur garde, pour négligence ou maltraitance ! ! Un long travail sera nécessaire pour accompagner cet enfant partagé. C'est pourquoi il est utile pour tous les protagonistes de connaître la raison réelle du placement. Avant d'intervenir, il faut chercher à comprendre, afin de ne pas ajouter au traumatisme du placement la lourdeur du non-dit. Il est donc opportun que les parents d'origine, les parents d'accueil et l'enfant soient informés mutuellement de ce qu'ils savent et ne savent pas. Ce qui était problématique pourrait peut-être dès lors ne plus l'être. Cela peut permettre à chacun de ne plus être tiraillé par le non-dit, et cela modifierait également la manière de voir leur propre réalité. Il faut savoir reconnaître les signes de souffrance sans les occulter ni les minimiser.














 
Moi, j’veux qu’on m’aime !
Ah, si on avait su !!! On aurait pu…

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8 ans déjà… Les relations avec sa mère restent chaotiques. Depuis longtemps, l'annonce d'une v isite déclenche une tempête de pleurs, de hurlements. Et c'est vrai que la maman, pe rdue dans les problèmes liés à son incompétence, ne fait rien pour arranger les choses. Elle s'absente pendant plusieurs mois, revient en larmes avec des discours dram atique s, et puis passe la visite suivante à parler de ses autres enfants… Le service de Protection Judiciaire, ayant enfin récupéré du personnel, nous convoque après plusieurs années. Dès l'arrivée, Paul se précipite dans les bras de sa maman qui fond en larmes. Pendant toute l'entrevue, il se couche littéralement sur elle, provoquant l'apitoiement de la directrice et de sa déléguée. Paul finit par dire "je veux retourner pour toujours chez maman".  Heureusement, le dossier est très clair et les rapports du servi ce de plac ement bien construits. Les décisions prises sont donc dans la logique du dossier et de l'intérêt de l'enfant et ne nous surprennent pas. Mais nous en sortons perturbés! Après tant de cris et de larmes à l'annonce des v isites, voilà un tout autre Paul, en rupture complète avec ce que nous connaissions. Sans un mot, nous rejoignons la voiture. Sentant notre trouble, il nous dit soudain : "Moi, tout à l'heure, quand maman pleurait et faisait ses grimaces, j'avais envie de rigoler!"… Nous réagissons, et le discours se modifia petit à petit "C'est tonton qui m'a dit que si je ne demandais pas de retourner, j'aurais une baffe!". Et, là, nous nous demandons s'il fabule. Et pourtant, nous connaissons les théories sur les multiples loyautés, nous comprenons que ces enfants sont soumis à des environnements différents, à des adultes qu'ils croient devoir satisfaire et qu'ils en arrivent à prendre le mensonge comme mode de survie… Mais, quand on le vit, quand on s'est battu pour le protéger, quand on a cru qu'il allait enfin être capable de dire à "Madame la Directrice" qu'il en avait marre de ces visites perturbantes… on se sent trompé, trahi, rejeté. Mais, une fois le premier choc passé, comment lui en vouloir ? Après tout, il ne fait que se défendre…       


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J’veux pas faire de peine, moi. Je n’y comprends plus rien. Vous n’êtes jamais d’accord…
J’vous veux pour toute ma vie ! Si je rentre chez maman, on me fichera la paix ?
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Les interactions avec la famille d'accueil

L'arrivée d'un enfant en accueil va bien sûr être une source de joie. Mais aussi une source de tensions avec les frères et sœurs d'accueil qui vont devoir partager l'attention des parents, et aussi pour le couple qui va parfois réagir différemment devant les demandes de l'enfant, devant une moindre disponibilité du conjoint ou d'une plus grande fatigue. D'où l'importance de bien préparer l'accueil avec l'aide du service de placement pour que celui-ci soit vraiment un projet commun. D'autre part, il est possible que nos enfants découvrent à travers la situation de l'enfant accueilli des problèmes dont ils connaissaient à peine l'existence. Ils auront besoin d'être écoutés, de pouvoir dire ce qu'ils ressentent.

Il faut aussi être prêt aux désillusions car l'enfant rêvé n'existe pas. Et l'image du petit enfant éternellement reconnaissant envers ses bienfaiteurs est un mythe! Au contraire, il va demander et demander encore, et il vaut mieux s'attendre, comme chez les autres enfants, à ces petites phrases qui vont nous révolter : "C'est pas juste ! Les autres, ils ont…".

Mais, par contre, il va nous apporter beaucoup de richesses, l'occasion de se dépasser, de retrouver un objectif commun, de réaliser ensemble une goutte d'espoir. 



Pour des raisons différentes, les grands - parents acceptaient mal la présence de Pa uline dans notre famille. Ils ne comprenaient pas notre démarche d'accueil. Cette réa ction négative a encore été renforcée par les difficultés grandissantes que nous avons vécues avec elle. Les frères et sœurs d'accueil qu' elle essayait très souvent de faire punir, avaient besoin de plus en plus de patience, certains finissant même par se d ésintéresser d'elle. Ils devaient prendre du recul. Elle éprouvait des valeurs très i mportantes pour nous par des vols, des mensonges per manents, de la manipulation des gens etc...  Je ne savais plus si nous faisions quelque chose de bien. Elle poussait sans cesse la provocation pour voir jusqu'où on tiendrait. Les claques étaient là. Cela ne me ressemblait plus. Un jour, mon fils m'a dit: « Mamy, jusqu'où vas - tu aller ? Décide - toi: C'est elle ou nous ». Et j'ai choisi. Pauline a dépassé toutes nos limites, c'est pourquoi elle a dû partir.





 
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Vouloir arriver à n’importe quel prix n’est pas la bonne solution. Nous devons aussi nous protéger ainsi que nos enfants.

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Dans l'ensemble, mes contacts de mère, belle - mère, grand - mère, arrière - grand - mère, veuve, sont bons, même s'il y a parfois des incompréhensions. Proche par les joies et soucis partagés, je pressens rapidement leurs tra cas… et m'efforce d'attendre qu'ils m'en parlent. Un jour, ils me disent que de très jeunes enfants vivent dans des homes adaptés parce que leurs parents ne sont pas capables de les éduquer. "Nous allons de temps en temps dans un de ces homes. Peut - être en visagerons - nous de prendre chez nous un de ces petits puisque nos enfants mariés seraient d'accord". M'efforçant au calme, je dis seulement : "A vous de voir, mais les soucis éducatifs vont freiner repos et liberté." "Nous y avons pensé, mais si tu visitai s ces petits…".  De ci de là, j'apprends qu'une petite fille vient parfois chez eux. D'abord quelques heures, puis des journées, des week - ends. Je me sens TRES tiraillée. Oui, je souhaite que cette petite ressente l'affection, d evienne peu à peu importante dans le cœur des papy - mamy de remplacement. En atte ndant, je tremble à l'idée de la première rencontre. Et je "gaffe" tout le temps. He ureusement, les enfants aident… et nous nous en sortons. Est - il possible que mon souhait de vie un peu tranquille pour m es enfants me fasse d evenir un peu égoïste ? Après un parcours de deux ans de prise en charge, cela va mieux, sûrement grâce au véritable accueil du papy, de la mamy. Mais SURTOUT grâce à la fillette elle - même. J'étais seule avec elle dans SA maison. Duran t deux heures, elle s'est appliquée à f abriquer une espèce de petit emballage carton, enveloppé d'un papier. Puis, venant m'embrasser, elle a dit : "C'est à moi, je l'aime. Mais je te le donne parce que tu es ma bonne - maman." C'était son collier de perles colorées… J'en avais les larmes aux yeux. Tout n'est pas rose depuis lors. Mais nous bavardons au téléphone. Et parfois, je l'invite à passer une journée avec moi (peut - être bientôt à dormir une nuit ici). Rire ensemble nous fait grand bien. Et si une rema rque est nécessaire, je la fais, avec m esure j'espère!    


Les obligations et les impuissances de la famille d'accueil

Beaucoup d'entre nous ont connu des moments de découragement ou d'inquiétude  face à leurs obligations ou à leurs impuissances. Lors de l'accueil, nous souhaitons ardemment que l'enfant puisse pleinement jouir du climat stable et affectueux que nous voulons lui offrir, et se défaire progressivement des systèmes négatifs de défense qu'il s'était naturellement construits tels que mutisme, mensonges, chapardages, violence verbale ou physique. Et malgré tout l'amour, même réciproque, qui s'est déve
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loppé, nous devons parfois nous incliner  devant un combat impossible et décevant. Sachons toutefois faire la part des choses et ne pas céder au désappointement: ce nouvel amour parent-enfant reste fondamentalement une expérience positive pour l'enfant ou l'adolescent. Face à toutes les images d'adultes  qui ont blessé son enfance, il saura un jour se souvenir des visages de ceux qui ont cherché humblement (à défaut d'avoir réussi) à l'aimer tel qu'il est, et bâtir sur cette vision une meilleure  ouverture à autrui. On ne peut donc tout réparer d'un passé de manques, de maladresses ou de souffrances, mais on peut toujours faire preuve de ce que nous sommes: des mamans et des papas qui ont élevé un ou plusieurs enfants et qui savent les aimer même révoltés et surtout blessés. Dans certains cas, il peut paraître aberrant de poursuivre les visites dans la famille d'origine, tant les retours sont toujours difficiles. Il se peut même que la famille d'origine ait un mode de vie que nous désapprouvons totalement et qui contraste avec notre rythme de vie familial: horaires du coucher, du lever, des repas, friandises exagérées, sans parler de consommation trop précoce de café, d'alcool ou de tabac, de critiques à notre égard, etc….  Dans d'autres cas, c'est l'enfant qui ne veut plus aller en visite dans la famille d'origine. Etant donné que la finalité du décret de 1991 est principalement orientée vers l'aide à l'enfant dans son milieu de vie et donc vers l'espoir (parfois utopique) d'un retour dans sa famille d'origine, il est difficile de se soustraire aux visites, même lorsque l'enfant les perçoit négativement. S'il importe toujours de bien informer le service de placement de ces développements et d'avoir avec lui une relation de véritable partenariat, il reste indispensable de rester vigilant et de ne pas laisser exposer l'enfant à  un danger immédiat ou plus lointain dans son développement (au risque de s'opposer sur ce point aux instances officielles). Le maintien du contact de l'enfant avec sa famille d'origine, lorsqu'il ne présente pas de danger préoccupant, empêche l'enfant d'idéaliser les parents avec lesquels il ne vit pas  et permet d'éviter bien des déboires à  l'adolescence. Rappelons aussi l’aspect positif des visites lorsqu’un lien affectif réel a pu se maintenir entre parents et enfant ou lorsque ces rencontres aident l’enfant à se construire parce qu’en connaissant ses parents, il comprend mieux sa situation. Cela atténue aussi les conflits de loyauté pour l’enfant. Vous l’aurez compris : tous ces problèmes peuvent généralement être mieux pris en charge dans une relation de confiance et de collaboration entre la famille d’accueil et le service de placement. Les visites du service sont plus fréquentes au début de l'accueil ou en cas de problèmes, sinon une fréquence de trois mois en trois mois est pratique courante. Le service de placement doit informer régulièrement l’instance de placement de l’évolution de la situation  de l’enfant ; il doit notamment rédiger un rapport avant la réunion annuelle d’évaluation, rapport destiné selon le cas au Service d'Aide à la Jeunesse, au Service de Protection Judiciaire ou au Juge de la Jeunesse. Ce rapport sera
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d’autant plus précis que votre partenariat avec le service de placement sera réel, car c’est vous qui partagez la vie quotidienne avec l’enfant. Plus ces informations seront fidèles au vécu de l’enfant, plus les chances seront grandes de prendre des décisions adéquates pour la bonne évolution de cet enfant.



Nous avons deux enfants en accueil, Christian qui a 16 ans et Yves qui en a 14. Christian reçoit (à notre domicile) plus ou moins régulièrement la visite de sa maman biologique. Nous constatons en fait que si elle vient en visite, c’est plus l’occasion pour elle de faire une petite sortie que réellement pour voir son fils. Elle vient boire son petit café et regarder la TV. Ces visites ont toutefois permis à Christian de mieux connaître sa mère natu relle, ses limites ... A l’issue de la dernière visite, il nous a dit   " Elle est vraiment grossière et elle ne doit pas se laver souvent !"  Yves n’a jamais reçu de visite de sa famille naturelle. Au premier abord on pourrait penser que c’est mieux, et p ourtant ... Maintenant qu’il aborde l’adolescence, nous voyons qu’il ne dit rien mais qu’il souffre en silence. Quand il pense à sa maman, il se dit «  Elle ne m’aime pas » ou bien « Qu’ai - je fait pour qu’elle ne m’aime pas ? » ou encore « Je n’en vaux san s doute pas la peine, d’ailleurs je suis nul partout ; à l’école, à la maison ... » Il est en train de se faire une image dans la délinquance, il se noue d’amitié avec des copains peu recommandables ... 



 La fin du placement

L’accueil a un début. Il a aussi une fin. Il y a des fins heureuses et des fins moins heureuses. Les aléas de la vie ne permettent pas de prévoir au départ ni même bien souvent en cours de route, vers quel type de fin on s’achemine. Quelques exemples très brefs illustrent la variété rencontrée :

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Pierre a été adopté par sa famille d’accueil avant même ses 18 ans,
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Joël, 23 ans, habite maintenant avec sa compagne. Ils forment un couple stable et très heureux,
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A 20 ans, André est parti vivre seul, comme il le souhaitait. Il travaille et subvient à ses besoins,
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A 15 ans, Christian est devenu infernal. Nous ne maîtrisions plus la situation qui était devenue ingérable. Nous avons dû nous en séparer. Maintenant il est en inst itution. Il revient occasionnellement nous dire bonjour ,
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Progressivement les contacts de Kevin avec sa famille naturelle se sont normalisés et l’ont épanoui. Ces contacts se sont étendus. Encore quelques semaines et il r etournera définitivement dans sa famille naturelle,
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Le juge de la jeunesse voulait qu’Olivi er retourne dans sa famille naturelle. Cela nous semblait un non sens. Il est retourné. Ce fut un échec. Nous ne reprendrons pas Olivier.

Nous pensons que la crainte d'une hypothétique fin douloureuse ne doit pas empêcher de se lancer dans l’accueil. Accueillir un enfant, parfois pendant des années, l’inviter à créer de nouvelles racines, lui donner de nouveaux repères, cela crée des liens d’attachement importants et réciproques. Un départ est donc forcément toujours douloureux, tant pour l’enfant luimême que pour nous et pour ses frères et sœurs d’accueil. Mais après tout, c’est aussi la finalité de notre rôle parental. Aimer, éduquer et laisser partir. Laisser partir même si à nos yeux ce n’est pas vers un monde plus facile. Quelques années de vie familiale équilibrées sont capitales pour construire l’avenir d’un enfant et justifient a elles seules de s’engager dans l’accueil. L’accueil a cependant sa spécificité : le retour possible en famille d'origine.  Parfois nous sommes d’accord avec la décision de retour en famille d'origine prise par les instances officielles : l’enfant est prêt, désireux de rentrer ; l’évolution de la situation des parents et la qualité des liens noués entre eux et leur enfant nous rassurent quant à l’avenir. Si, de plus, notre relation avec les parents est empreinte de collaboration autour des besoins de l’enfant, nous savons que nous aurons des nouvelles et probablement des contacts.
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 Parfois nous ne sommes pas d’accord : les garanties que nous jugeons indispensables ne sont pas réunies. L’enfant ne souhaite pas ce retour; il revient perturbé des visites dans sa famille d'origine; des faits précis nous font craindre l’échec. Notre devoir est alors d’attirer l’attention des décideurs, de nous faire aider de professionnels psychologues, avocats..., voire de demander l'intervention du Juge de la Jeunesse. Nous devons toutefois garder à l'esprit que nous ne sommes qu'acteurs, pas décideurs. Un enfant accueilli n'est pas notre enfant.  Parfois c’est nous-mêmes qui sommes amenés à mettre fin à l’accueil. Cela peut être le résultat de circonstances extérieures à l’enfant (décès, maladie, divorce, ...) ou à l’attitude de l’enfant accueilli. Il arrive que celui-ci ne s’adapte pas, ait un comportement destructeur envers lui-même ou envers sa famille d’accueil.  Il faut alors établir un bilan objectif, ne pas aller au-delà de nos limites ou celles de nos enfants. Il faut en parler avec le service de placement et rechercher, avec l’aide de celui-ci, la meilleure solution possible pour chacun : internat, institution ou autres. Le service de placement est là aussi pour soutenir l’enfant et sa famille d’accueil dans le choix du changement d’orientation. Il faut accepter de ne pas s’obstiner dans un accueil qui devient destructeur… parce l’enfant vit tout attachement comme menaçant et le rejette… parce qu’un des parents d’accueil désinvestit… parce que nos enfants craquent.... Apprendre le respect à l’enfant en accueil c’est aussi ne pas lui permettre de démolir ceux qui l’aiment.



La fin du place ment est de toute façon une rupture à gérer d'où que vienne la déc ision. Ici c'est nous qui en avions fait le choix. Cela fut d'autant plus difficile qu'elle ne retournait pas chez sa mère mais était placée dans un home. Sa mère ne présentait pas suffisamm ent de sécurité pour la reprendre. Trois ou quatre mois après son départ, elle demandait de revenir. Nous avons choisi l'option « porte ouverte », mais nous ne l'avons plus prise à demeure. Nous restons ainsi sa famille d'accueil. Depuis son départ, elle a encore changé souvent de home, d'école et de pensionnat, mais nous restons un lieu, une référence où elle vient volo ntiers lorsqu'il y a un problème.






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