mercredi 4 janvier 2017

le parcours de l'accueillant familial

Le parcours de l’accueillant familial

L’entrée dans la fonction

  • 31  Les assistants familiaux ne sont pas répartis de manière homogène sur le territoire du Finistère. (...)
  • 32  Certaines pratiques commencent à apparaître, prenant en compte la diversification des formes famil (...)
57Ce n’est pas au travers d’une ordinaire recherche d’emploi que se construit le projet d’accueillir un enfant dans sa famille. Celui-ci apparaît avant tout fondé sur une connaissance préalable de l’activité : résidence dans un territoire ayant une tradition d’accueil31, activité exercée par la famille élargie, les voisins, les amis ; dans certains cas, l’adulte s’y destinant a fait lui-même l’expérience du placement durant l’enfance :
« On va essayer de refaire ce qu’on a fait pour moi. Nous, on considère vraiment ça comme un travail. » (Assistant familial.)
Cette activité est rarement un projet individuel32 ; elle s’inscrit dans le parcours familial de la famille d’accueil :
« On a pris un an pour se décider. Il n’y avait pas que moi qui changeais de métier. C’est quand même un chamboulement et tout le monde participe. Il faut que les enfants acceptent de nous partager. » (Assistante familiale d’Anna / cat. « enfants déplacés ».)
58Elle peut être une possibilité pour « faire famille » (présence d’enfant dans un milieu jusqu’alors sans enfant), une sorte d’assurance contre la vieillesse pour continuer à être une famille (quand les enfants grandissent et qu’ils s’autonomisent en quittant le domicile familial). L’accueil peut également être perçu d’abord comme une activité professionnelle valorisante. Les facteurs aboutissant à la décision d’exercer comme famille d’accueil sont variés et s’articulent bien souvent les uns aux autres : situation matérielle de la famille (logement, rapport à l’emploi…), rapport avec l’ase (histoire des liens entretenus avec l’institution), rapport aux enfants, fonctionnement des couples, étapes familiales (départ des enfants…), liens entre l’environnement proche (famille, voisinage) et l’ase.
59Les activités d’assistant familial et d’assistant maternel sont deux activités exercées à domicile. Mais, pour l’une, l’activité est continue (24h/24h), pour l’autre, il y a des horaires de travail. Le travail de l’assistant familial a une visée sociale plus valorisée dans la mesure où l’accueil des enfants est conditionné par ce qu’ils ont vécu auparavant (situation de danger ou de risque).
60Au-delà d’un projet professionnel, l’accueil est perçu comme un projet humain fortement valorisé socialement : celui de « sauver un enfant », de sortir l’enfant d’un milieu défaillant qui l’a abîmé. La notion de réparation est importante puisqu’elle affirme le rôle nécessairement positif de la famille d’accueil, qui répare ce que la famille d’origine a abîmé.
« Pour tous ces enfants-là, s’ils sont en famille d’accueil, c’est qu’il y a eu un problème. On ne va pas tout réparer mais pour Joris… C’était peut-être un défi que je me suis lancé, je ne sais pas, mais je veux qu’il réussisse. » (Assistante familiale de Joris / cat. « enfants placés ».)
61L’accueil, c’est la possibilité de faire partager son quotidien familial, reconnu et certifié comme « bon » par les procédures d’agrément comme assistant familial. Il s’agit de faire découvrir à l’enfant que l’on accueille tous les éléments de la vie familiale que l’on considère comme importants : les repas pris ensemble, préparés collectivement, les règles de la vie familiale, les règles d’hygiène, les sorties en famille… Parce que le mode de fonctionnement familial a été évalué et jugé comme bon, les familles d’accueil sont amenées à le faire partager à d’autres au travers d’un statut non plus familial mais professionnel.
  • 33  « L’assistant familial constitue, avec l’ensemble des personnes résidant à son domicile, une famil (...)
62D’un point de vue individuel, il y a pour un des membres du couple – le plus souvent la femme – l’entrée dans un métier : celui d’assistante familiale. D’un point de vue collectif, il y a la mobilisation des autres membres de la famille (le conjoint, les enfants) et de leur réseau social (famille élargie, voisinage…). La famille d’accueil n’est pas réductible au seul métier d’assistant familial33.
63Enfin, le métier d’assistant familial confère un statut particulier, reconnu par l’institution, à celui qui l’exerce. Cela ne veut pas dire pour autant que cette personne sera celle qui joue le rôle le plus important dans la prise en charge de l’enfant placé ; cela veut simplement dire que l’assistant familial sera le référent aux yeux de l’institution, son interlocuteur privilégié.

Le premier accueil et les suivants

  • 34  « L’enfant arrivé plus grand prête moins à l’expression de sentiments maternels ; il ne peut plus (...)
64La famille d’accueil est dès le début dans l’assurance de jouer un bon rôle auprès de l’enfant. Cependant, au-delà de ce que confère l’entrée dans le métier, d’autres éléments sont partie prenante de l’investissement qu’elle pourra développer. L’âge de l’enfant34 influence beaucoup la dynamique relationnelle. Un enfant placé à un âge précoce sera l’objet de projets professionnels et familiaux différents de ceux formulés pour un enfant placé à un âge où il est déjà porteur d’une histoire. La question des temporalités est centrale dans les projections autour de l’accueil : la manière dont le placement est pensé dans le temps va conditionner les possibilités d’attachement à l’enfant et, même si la durée du placement n’est pas formalisée, l’expérience des acteurs la présume :
« On sait d’avance. Même si c’est revu tous les deux ans, on comprend quand c’est un long placement. » (Assistante familiale d’Anna / cat. « enfants déplacés ».)
65Un autre élément d’importance est l’ordre d’arrivée des enfants dans la famille d’accueil, et la particularité du premier accueil.Si le parcours des enfants qui se construisent une nouvelle parenté dans le placement (« enfants placés ») est – dans notre enquête qualitative – caractérisé par le fait que ces enfants constituent pour la famille d’accueil les premiers enfants accueillis, ce n’est sans doute pas une coïncidence. Le premier accueil est souvent perçu par la famille d’accueil comme celui qui doit réussir (du point de vue du projet professionnel et social) et il est fortement investi. En évoquant son arrivée en famille d’accueil, Joris explique que l’accueil a été facilité par le fait qu’il a senti qu’il était attendu :
« Ça se passait bien parce qu’ils [le couple d’accueil] étaient assez contents de nous voir aussi. » (Joris, 16 ans / cat. « enfants placés ».)
  • 35  Nous avons rencontré deux couples d’accueil où les conjoints ont demandé un agrément plusieurs ann (...)
66Le premier accueil est un test de l’activité. Trois attitudes en découlent, selon la manière dont est vécue cette première expérience : s’engager davantage (augmenter son activité avec un agrément supplémentaire35) ; continuer (conserver la même activité) ; changer (soit en se retirant totalement de l’activité d’accueil, soit en sollicitant un autre accueil c’est-à-dire en se laissant une deuxième chance mais avec un autre enfant). Il existe toujours un décalage entre ce que la famille d’accueil projetait avant l’accueil et la manière dont l’accueil se déroule. Le premier accueil permet aux familles d’évaluer ce qui est faisable dans un placement, et d’ajuster leurs représentations initiales de l’enfant (enfant en danger), de sa famille (famille dangereuse) et de l’institution (son organisation, ses professionnels, sa hiérarchie, les recours possibles). Les accueils qui suivront le premier d’accueil n’auront pas la même place symbolique. Ils feront partie d’une vie familiale installée, dont l’arrivée d’un enfant de plus ne modifiera pas le cours.
  • 36  Quand le premier lieu d’accueil est un établissement, la durée du placement est inférieure à un an (...)
67Il ne s’agit pas pour autant de dire que, du point de vue de la famille d’accueil, les enfants se suivent et se ressemblent. La particularité de la famille d’accueil, c’est qu’elle existe comme famille avant l’accueil, et que c’est à partir du premier accueil qu’elle devient famille d’accueil, d’où les aménagements et l’appropriation d’un statut qui confère une importance particulière au premier accueil. Les accueils qui suivent sont aussi singuliers, parce que chaque enfant est différent, mais ils ne réaménagent pas directement l’organisation familiale. Contrairement aux foyers, qui ont comme particularité d’être des lieux de passage36 (il est difficile pour les professionnels de se souvenir de tous les enfants qui y sont passés), la famille d’accueil (ou au moins l’un de ses membres) conserve en mémoire tous les enfants qui ont participé un temps à la communauté familiale. Chaque enfant fait partie de la mémoire familiale ; il ne conserve pas forcément une place, mais il en a occupé une.

Le poids du quotidien

68Impliqué dans le quotidien de l’enfant, la famille d’accueil a un « poids », une influence, une autorité non négligeable sur l’enfant et sur l’ensemble de ses relations – notamment sur les relations parent/enfant – par ce qu’elle peut dire et par ce qu’elle peut faire. Elle peut volontairement ou involontairement contribuer au maintien ou à la rupture des liens avec les parents biologiques, conforter ou dissuader l’enfant dans ses positionnements :
Quand la mère d’Astrid s’est mariée, elle a invité les familles d’accueil où ses enfants étaient placés. Certaines ont honoré l’invitation, d’autres l’ont déclinée.
69La place de chacun (parents et famille d’accueil) dans le placement est aussi un parcours. Le partage des compétences parentales ne va pas de soi ; il se négocie en fonction des compétences perçues chez les parents ou les familles d’accueil, par les uns ou les autres. Dans ce processus où la fonction parentale est dissociée du statut de parent, plusieurs scénarios peuvent s’observer : la fonction peut être déléguée partiellement, totalement, ou encore les parents biologiques peuvent refuser de la déléguer. Ce dernier cas de figure créée une situation conflictuelle, avec deux issues possibles : soit la famille d’accueil se retire de la prise en charge en invoquant l’impossibilité de travailler dans un climat de tension, de conflit de loyauté rendant impossible l’intégration de l’enfant dans un autre fonctionnement familial ; soit l’institution gère les droits de visite et d’hébergement de façon à mettre de la distance entre parents biologiques et enfant. Dans ce parcours, il est primordial pour les protagonistes d’apprendre à se connaître et à reconnaître à l’autre des compétences parentales, ou un rôle parental, pour laisser à l’autre une place physique ou symbolique dans le quotidien du placement.
70Par l’ordinaire qu’elle offre, la famille d’accueil met, souvent malgré elle, l’enfant dans un entre-deux propice à la comparaison entre milieu d’origine et milieu d’accueil. Dans ce face-à-face, outre les conditions matérielles, ce sont les valeurs qui diffèrent voire s’opposent. Toute la difficulté réside donc dans la présentation à l’enfant de nouvelles manières de vivre qui ne doivent pas disqualifier ses précédentes pratiques. Concrètement la famille d’accueil se trouve face à une impasse quand il s’agit de répondre à ces préconisations : soit elle intègre l’enfant dans les « bonnes » pratiques familiales et désigne par défaut celles qui sont « mauvaises » ; soit elle laisse à l’enfant la possibilité de conserver ses règles familiales d’avant mais, de fait, ne lui permet pas d’intégrer un nouveau mode et groupe familial.
71Le quotidien de l’accueil est régi par deux types de règles : les règles de la vie familiale, souvent implicites, qui s’apprennent en partageant l’expérience du groupe familial ; les règles institutionnelles de l’accueil, qui sont formalisées avec un tiers (le référent ase) garant de la « neutralité » de la relation entre famille d’accueil et enfant. Le deuxième type de règles est discriminant, dans la mesure où celles-ci ne s’adressent qu’aux enfants accueillis : on peut penser notamment aux démarches administratives autour des sorties ou aux appellations données aux différents membres de la famille.
Quand Noémie (16 ans / cat. « enfants déplacés ») aborde la question des sorties, elle ne cache pas sa colère concernant les temporalités administratives qui lui sont imposées : « J’ai l’impression d’avoir ma vie notée sur un calendrier. »
  • 37  « Les adaptations secondaires représentent pour l’individu le moyen de s’écarter du rôle et du per (...)
72Au-delà du contrat formel, ce sont le quotidien, l’expérience et la confiance mutuelle construits au cours du placement qui participent à engager les familles d’accueil dans la prise en charge au-delà du cadre strictement professionnel. Cette marge de manœuvre que se donnent certaines familles d’accueil est possible au travers du « jeu d’acteurs », c’est-à-dire au travers des négociations permanentes entre famille d’accueil, parents, enfant, et représentants institutionnels. Ce qu’Erving Goffman appelle des adaptations secondaires37 permet d’« alléger » les contraintes de l’accueil des deux côtés, celui de la famille d’accueil et celui de l’enfant accueilli.
73Anne Cadoret distinguait, dans les années 1980, trois types de familles d’accueil et trois projets d’accueil différents : « nous et eux », « la grande famille » et la « famille professionnelle ». Elle signalait déjà l’apparition de nouvelles manières de faire qui ne correspondaient pas aux formes traditionnelles de l’accueil avec le modèle de « la famille professionnelle ». Ces catégories paraissent encore valides aujourd’hui. Ce que nous mettrons peut-être davantage en avant, c’est le fait qu’elles peuvent se chevaucher au cours de l’expérience du placement et de l’expérience familiale. En effet, on peut imaginer le passage de la « famille professionnelle » à la « grande famille », par exemple.
  • 38  Le groupe familial se construit par une expérience commune dans la durée, où les repères des uns s (...)
74C’est dans la dynamique de la relation et au travers de certains éléments objectifs (comme la durée du parcours ou l’âge de l’enfant à son arrivée en famille d’accueil) que l’expérience du placement devient expérience familiale38, et que l’expérience familiale devient expérience professionnelle. Il est donc difficile de caractériser des types de familles qui permettent la construction de types de parcours, alors que ce sont des parcours qui construisent des individus et des groupes, et notamment des groupes familiaux. Des différences manifestes peuvent s’observer entre les jeunes générations d’assistants familiaux et les anciennes générations de familles d’accueil. Pour les plus jeunes socialisés dans le métier, les règles institutionnelles sont des repères primordiaux :
« […] Jeannine [assistante familiale], elle est vachement réglo… Il y a beaucoup de familles d’accueil qui prennent la responsabilité d’emmener les enfants chez leurs amis, ils vérifient quand même avant… Mais Jeannine, elle ne veut aucune responsabilité sur son dos. » (Noémie, 16 ans / cat. « enfants déplacés ».)
  • 39  Michel de Certeau, L’invention du quotidien – 1. Arts de faire, Folio, Gallimard, 1990.
75Pour les plus anciens, la professionnalisation de l’activité bouscule des manières de faire basées sur l’expérience de l’accueil, et leur « savoir-faire » demeure leur référence. Il ne s’agit pas ici d’opposer formation professionnelle et expérience mais il faut s’interroger sur la manière dont se construit la marge de manœuvre, le champ d’initiatives à l’intérieur des contraintes institutionnelles. Ce système des contraintes institutionnelles dans l’accueil se durcit en même temps qu’il offre aux individus un nouveau champ des possibles, avec des garanties et des droits pour les professionnels. La question qui demeure en suspens est celle de la place que va pouvoir occuper l’expérience d’accueil, dans le sens du résultat de la marge de manœuvre qui demeure : celle du quotidien partagé. Est-ce que ce cadre qui se rigidifie laissera la possibilité aux acteurs d’innover au-delà de ce qui est prescrit, de développer des tactiques de résistance39 afin d’ajuster les règles collectives aux singularités des relations humaines ?
76Le champ des possibles de la famille d’accueil ne semble pas systématiquement dépendre des dispositions institutionnelles mais paraît particulièrement influencé par la structure même de la famille et ses évolutions. Le sens de l’accueil ne peut être lu seulement en fonction de l’expérience du placement, car il est tout autant fonction de l’expérience familiale et de ses recompositions :
« […] Il se trouve qu’on a encore des enfants à charge et que pour Bertrand [assistant familial], il faudrait qu’il retrouve un travail, un autre travail parce qu’on ne veut plus faire d’accueil. On a maintenant une petite-fille, on aura bientôt d’autres petits-enfants. On est douze tous les week-ends avec les copains de nos filles et bon, il n’y a pas la place, c’est ingérable. » (Conjointe de l’assistant familial de David / cat. « enfants placés ».)
77Le parcours de la famille d’accueil est régi de manière inégale par trois projets : le projet familial, le projet social et le projet professionnel. Le projet familial s’étend depuis la prime adhésion à l’accueil jusqu’à l’intégration pérenne de nouveaux membres dans l’entité familiale. Le projet professionnel est un projet individuel (même s’il est partagé) d’apprentissage d’un métier, d’un statut, d’une fonction qui invite à se positionner en tant qu’assistant familial. Le projet social oscille entre idéaux défendus et possibilités de les mettre en œuvre. Ces projets se construisent et se remanient en fonction de l’expérience de l’accueil, des interactions avec l’enfant, sa famille et les autres professionnels du secteur social. Une même famille d’accueil peut connaître un agencement très différent de ses projets en fonction des temporalités de la carrière, mais aussi de ses expériences d’accueil.

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