lundi 28 novembre 2016

troubles du comportement chez l'enfant et l'adolescent










LES TROUBLES DU COMPORTEMENT CHEZ L’ENFANT

  Nous appelons "troubles du comportement" les symptômes psychopathologiques qui mettent en cause la relation actuelle de l’enfant avec son entourage. Ces troubles provoquent inévitablement des réactions comportementales dans l’entourage, mettant en cause les parents dans leurs attitudes éducatives, parfois le groupe social tout entier et en particulier la Loi et le système judiciaire. De ce fait, ils motivent très fréquemment une consultation psychiatrique, quelle que soit la structure psychopathologique de l’enfant. C’est au psychiatre qu’il appartient de déceler au-delà du symptôme les conflits psychiques sous-jacents.  L’étude psychogénétique du développement de l’enfant montre qu’il n’y a pas de différence de nature entre des comportements considérés comme normaux à un certain âge : actes agressifs, colères, travestissement de la vérité, chapardages, et les troubles du comportement d'enfants plus âgés. C’est leur persistance au-delà d'un certain seuil qui en font des signes pathologiques, marquant une absence d’évolution ou une régression du Moi.
 1°/ Comportements agressifs

 Les comportements agressifs ne sont pas pathologiques en eux-mêmes; ils sont nécessaires à l’évolution de l’enfant. C’est grâce à l’expression de son agressivité que l’enfant s’affirme face à autrui comme un sujet, lieu de désirs et de volonté, et qu’il conquiert les limites de son Moi et de sa propriété (ses jouets, sa chambre, etc.). L’absence de sens de la propriété peut être pathologique (indistinction entre soi et les autres), comme l’est un sens de la propriété exagéré (trop grande jalousie fraternelle, vols, etc.). 
 - Les violences

 Ces comportements en réponse à une frustration sont banaux entre 1 et 4 ans. Ils sont plus fréquents chez les enfants actifs et hypertoniques et chez les garçons. Malgré leur banalité, il faut signaler les problèmes d’adaptation qu’ils posent dans les collectivités d’enfants, crèches ou maternelles (en particulier quand l’enfant mord), alors qu’ils sont en général beaucoup mieux tolérés dans le milieu familial.  L’erreur la plus couramment commise face à ces comportements est d’y répondre sur un mode analogue : mordre l’enfant qui mord, frapper celui qui donne des coups. Cela peut entraîner un cercle vicieux d’agressivité réciproque et de désir de vengeance, ou angoisser l’enfant en alimentant ses fantasmes de châtiment et de culpabilité.  Au-delà de 4 ans, l’enfant a habituellement acquis de nouveaux moyens de s’affirmer et de réagir à la frustration, en particulier grâce à la maîtrise du langage. La persistance de violences est le signe soit d’une immaturité du Moi - c’est le cas d’enfants ayant souffert d’une carence affective précoce) soit d’un déficit instrumental ou sensoriel qui empêche l’enfant d’accéder à de nouveaux modes d’expression - c’est le cas des enfants souffrant de retard de langage, de surdité, etc.
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 Les enfants psychotiques peuvent avoir de brusques passages à l’acte agressifs, non motivés et parfois d’une extrême violence, s’adressant à leur entourage du moment, sans provocation de celui-ci. Ce sont des crises clastiques.

- Les colères

 La rage correspond à un type de réaction de l’enfant très jeune (jusqu’à un an) à une frustration : décharge de mouvements anarchiques, accompagnés de cris inarticulés et de phénomènes vasomoteurs (pâleur, rougeur du visage, sécheresse de la bouche). Elle peut persister bien au-delà chez des enfants impulsifs qui réagissent ainsi à de trop grandes frustrations, avec une certaine obnubilation de la conscience et une amnésie partielle de la crise.  Les colères proprement dites sont une expression émotionnelle plus contrôlée et marquée surtout par une agressivité verbale, des injures, des critiques blessantes. La colère est une manifestation banale chez l’enfant de 2 à 4 ans, au moment où se développe en lui un besoin d’indépendance et d’affirmation de soi.
 - L’opposition

 On distingue cliniquement deux types d'opposition : L’opposition active, le plus souvent normale, marque une période dans l’évolution psychologique de l’enfant : apparition du "non !" dans le courant de la 2ème année, crise d’opposition de la 3ème année. Toutefois, certains enfants vivent en permanence en opposition à leur entourage et tendent à recréer partout une relation d’opposition sur un mode sadomasochiste.  L’opposition passive : l’enfant se contente de ne pas faire ce qui lui est demandé ou de traîner pour tout. C’est un symptôme très souvent rapporté par les mères qui se plaignent de devoir répéter de nombreuses fois les mêmes choses, du fait que l’enfant met un temps interminable pour faire la moindre chose imposée - alors qu’il fait rapidement ce qui l’intéresse. Assez souvent, l’opposition passive cache des troubles dépressifs latents chez l’enfant.


2°/ Mensonges

 On ne parle pas de mensonge chez l’enfant avant 6 ou 7 ans, l’âge dit "de raison". L’enfant jeune déforme souvent les faits ou en invente, mais on ne peut attribuer à cela la valeur d’un mensonge, car il n’a pas encore acquis une notion claire du vrai et du faux, de l’imaginaire et du réel.

- Le mensonge utilitaire

 Il est naturel à l’enfant. Son premier mouvement est de faire correspondre la réalité à ses désirs et au besoin de la fausser, soit pour obtenir un avantage, soit pour éviter un désagrément. Ce n’est que l’intériorisation progressive d’une loi sociale et d’une éthique personnelle qui lui fera respecter la vérité. Un "certain respect" du mensonge de l’enfant jeune est capital : l’adulte doit savoir se laisser berner, abuser ("Ha bon ? Tu crois vraiment ?"). En effet, il importe de ne pas lui donner l’impression que l’adulte lit dans ses pensées, dévoile sa
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ruse ou sa manipulation. Le risque d’une grande intrusion psychique (mes pensées sont les siennes) est ici très grand.  Le mensonge le plus fréquent chez l’enfant plus grand est celui de la dissimulation ou de la falsification de mauvais résultats scolaires. Elles peuvent conduire l'enfant à un enchaînement de mensonges et de falsifications de plus en plus angoissant.

- Le mensonge "névrotique"

 Il a pour fonction de compenser, au niveau  imaginaire, une infériorité ou une insuffisance que l’enfant ressent. Il s’inventera un père beaucoup plus riche et puissant que la réalité, se vantera d’exploits imaginaires, etc. Cette forme de travestissement de la réalité mérite le nom de fabulation, plutôt que de mensonge. Il ressemble au "roman familial", plus tardif, où l’enfant dissimule sa déception vis à vis de ses parents en en imaginant de "meilleurs" et "tout puissants". Les constructions sont parfois riches (cf. le personnage d’Harry Potter, enfant carencé et maltraité dans la réalité, qui se protège en devenant sorcier). Au maximum, c’est le tableau de la mythomanie (rare).  Une autre forme de fabulation est l’invention d’un double, en général du même sexe, le plus souvent un frère ou une sœur, parfois un ami. L’invention d’un double est fréquente chez l’enfant de moins de 6 ans, sans trouble psychopathologique notable. Chez l’enfant plus âgé, l’invention d’un double peut signifier un trouble profond de l’identité des personnes et de soi-même et peut prendre une allure inquiétante car elle fait craindre une organisation psychotique ou prépsychotique de la personnalité.


3°/ Vols

 On ne parle de vol chez l’enfant avant 6-7 ans. Ici ce n’est pas le sens de la réalité qui est en jeu, mais celui de la propriété. Pendant longtemps, ce qui intéresse le plus l’enfant est justement ce qui appartient à l’autre, son intérêt pour les objets passe par l’intérêt de l’autre. Les garçons en sont responsables dix fois plus souvent que les filles. La proportion des délits pour vol augmente avec l’âge. La première personne victime du vol de l’enfant est un membre de la famille, le plus souvent la mère (on parle de vols "domestiques"). Dans certains cas, les trésors du porte-monnaie de la mère représentent les richesses qu’elle renferme dans son corps, son ventre, d’où viennent les enfants. Puis l’enfant vole à l’extérieur de sa famille, mais d’abord des personnes connues, ses camarades ou sa maîtresse d’école, puis des personnes inconnues.  L’objet volé est d’abord un objet alimentaire (bonbons…) puis l’enfant vole de l’argent ou divers objets chargés pour lui de signification symbolique. A partir de la puberté, on peut voir des vols fétichistes (vols de lingerie féminine par des garçons, rares), mais aussi vols de véhicules (de loin les plus fréquents).  C’est à propos du vol que l’on remarque l’influence des perturbations affectives de la petite enfance et en particulier des séparations (observation des 44 voleurs de Bowlby) sur les comportements délinquants. C’est aussi à propos du vol que Winnicott a développé une théorie du "comportement antisocial" : le vol répond à un sentiment précoce de défaillance de l’environnement (un exemple en est une dépression de la mère, alors moins disponible pour son enfant). L’enfant voleur cherche inconsciemment à combler un manque, à prendre quelque chose qui lui était dû et qui lui a été refusé. Les facteurs affectifs (carence ou séparation) sont presque toujours présents dans la genèse des comportements de vols répétitifs.
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 Parfois, le vol de l’enfant s’inscrit dans un devenir caractéropathique, voire psychopathique. C’est le mode d’entrée le plus fréquent dans la délinquance. Il s’associe alors fréquemment à d’autres troubles du comportement telles les fugues.



4°/ Fugues

 La fugue est le fait pour l’enfant de partir sans autorisation et sans prévenir du lieu où il est sensé être, pour déambuler, le plus souvent sans but pendant plusieurs heures, parfois pendant des journées entières. Là encore, il faut attendre 6-7 ans pour parler de fugue. Les déambulations de l’enfant plus jeune qui s’éloigne de sa mère, sans que celle-ci s’en aperçoive, n’ont pas la valeur ni l’intentionnalité d’une fugue.  Il est très important d’avoir un emploi du temps très détaillé du fugueur. Le plus souvent, le fugueur est seul, mais parfois s’organisent des fugues en bande, sous l’impulsion d’un leader. En général, le fugueur n’a pas de but précis, il ne sait où aller et déambule au hasard. Bientôt, il cherche un refuge, ne tarde pas à se faire remarquer par son comportement indécis. Il est très soulagé d’être découvert et ne tarde pas à avouer sa fugue. D’autres fois l’enfant a un but qui est presque toujours le retour à un endroit investi par lui comme sécurisant, voire idyllique.  Les fugues de l’école méritent une mention spéciale. L’école buissonnière peut être le fait d’enfants à tendances psychopathiques, peu motivés pour l’école. Mais très souvent, c’est un mécanisme phobique qui sous-tend la fugue, laquelle masque en fait une phobie de l’école. Il en existe deux formes : - Celle des enfants au début de leur scolarité primaire, vers 6-7 ans, qui sont angoissés par toute séparation d’avec leur mère - Celle d’enfants plus âgés, vers 10 ans, qui sont spécifiquement angoissés par l’école. Ils partent le matin à l’heure habituelle, se dirigent vers l’école, mais arrivés à destination ils sont envahis d’angoisse et ne peuvent entrer. La phobie scolaire renvoie aux difficultés de séparation chez un enfant intelligent, qui travaille ses cours à la maison, en présence de sa mère. Une phobie sociale (les camarades de classe) et une agoraphobie (le trajet jusqu’à l’école) peuvent être associées (cf. Item  41).


5°/ Troubles Obsessionnels Compulsifs (TOC)

 Que certains enfants présentent des troubles de type obsessionnel, associés ou non à des compulsions, la clinique nous l'enseigne et ceci n'est pas discutable. Toute la question est de savoir s'il s'agit d'une entité morbide isolée (T.O.C.) ou si ces troubles s'insèrent dans le cadre d'une personnalité et d'une histoire humaine singulière (organisation névrotique obsessionnelle). Le T.O.C. est caractérisé par la présence de deux types de symptômes spécifiques (associés ou non): obsessions et/ou compulsions, à l'origine de sentiments marqués de détresse, de perte de temps considérable ou interférant de façon significative avec les activités habituelles du sujet.  Les obsessions sont des idées, des pensées, des impulsions ou des représentations persistantes qui sont vécues comme intrusives et inappropriées et qui entraînent une anxiété et une souffrance importante.  Les compulsions sont des comportements répétitifs (ex. : se laver les mains, ranger dans un certain ordre, vérifier…) ou des actes mentaux (ex. : compter, repérer des mots de
manière silencieuse…) dont le but est de prévenir ou de réduire l'anxiété ou la souffrance et non de procurer plaisir ou satisfaction.  Selon la théorie psychanalytique, ces modalités de penser et/ou de comportement correspondent à un mode d'aménagement psychique, régressif, lié à la confrontation à la problématique œdipienne. Toute la question étant alors pour le sujet d'aménager des stratégies, conscientes et inconscientes, de mise à distance de l'objet du désir.

 La prévalence du T.O.C. chez les enfants et adolescents est comprise entre 0,5 et 3 %. Les premiers symptômes d'obsessions et de compulsions apparaissent généralement autour de l'âge de 10 ans, avec une prédominance masculine dans les formes prépubères.

Le trouble obsessionnel compulsif chez l’enfant et l'adolescent est proche, dans les grandes lignes, de la sémiologie de celui de l’adulte. Certaines particularités méritent cependant d’être soulignées.

SPECIFICITES CLINIQUES DU T.O.C. INFANTILE  ET SYMPTÔMES LES PLUS FREQUEMMENT RENCONTRES

SYMPTOMATOLOGIE PROPRE A L’ENFANT ET ADOLESCENT SOUFFRANT DE T.O.C.

y Moins ou pas d’égodystonie. y Ignorance qu’il s’agit d’une maladie, n’en parle pas à son entourage. y Obsessions et compulsions multiples et fluctuantes (parfois plus de 20 obsessions et/ou comptions évoluant      concomitamment pouvant envahir la vie de l’enfant plusieurs heures par jour) y Implication de l’entourage familial dans les rituels, avec parfois attitudes autoritaires et tyranniques. y Crises de colère, agressivité manifeste (en cas d’interruption volontaire ou non des rituels ou de refus de      participation de l’entourage familial aux compulsions et rituels).

OBSESSIONS FREQUENTES COMPULSIONS FREQUENTES
y Crainte de blasphémer, d’insulter un enseignant. y Se sentir sale, être envahi de microbes. y Attraper une maladie. y Blesser un autre enfant. y Oublier quelque chose, ses devoirs. y Commettre une erreur, une faute. y Faire des erreurs à l’école. y Etre obnubilé par un défaut physique. y Etre préoccupé par la nourriture.
y Gestes, mimiques particulières (pseudo-tics). y Arithmomanie (compter sans arrêt) y Lavage des mains, du corps plusieurs fois par jour. y Superstitions bizarres (éviter de marcher sur les traits      d’un carrelage, se signer, etc… y Ne pas toucher certains objets (les poignées de porte,      les affaires des autres élèves…) y Faire de longues listes de vérification.




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A noter l’importance des crises de colères impulsives et anxieuses. Lorsque ces enfants sont peu à peu submergés par les obsessions et prisonniers des actes compulsifs éreintants, l’angoisse et la détresse sous-jacentes ne sont contenues que de manière provisoire et modérée. D’où la fréquence élevée d'explosions émotionnelles, de crises aiguës de colères avec insultes, de bris d’objets et parfois de coups et blessures dirigés vers les proches avec forte culpabilité a posteriori. Ces phénomènes de colères se manifestent classiquement lorsque les rituels sont perturbés, voire empêchés, volontairement ou involontairement, par l’entourage.

 Près de 75 % des enfants souffrant de T.O.C. présentent également un autre trouble psychiatrique. Il s'agit principalement de l'association à d'autres troubles anxieux : attaques de panique, angoisse de séparation, troubles anxieux généralisés ou phobiques.

 La prise en charge thérapeutique comporte 2 volets : la psychothérapie et la psychopharmacologie.  La psychothérapie est principalement d'origine psychanalytique et replace les T.O.C. dans le cadre plus général des conflits conscients et inconscients liés à la mise en place d'une structure obsessionnelle de la personnalité et tente d'améliorer l'ensemble du fonctionnement psychique. Les psychothérapies familiales et les thérapies cognitives et comportementales auraient démontré leur efficacité sur les symptômes obsessionnels et compulsifs.

 La psychopharmacologie fait appel aux médicaments inhibiteurs de la recapture de la sérotonine. En France, en 2003, seule la sertraline (Zoloft ®) a l'AMM dans cette indication, dès l'âge de 6 ans.  En pratique, il convient de débuter à faible posologie : 25 mg/jour chez les enfants de moins de 40 kg, et 50 mg/jour pour les autres.  La prise du Zoloft® se fait en une prise par jour, matin ou soir, au cours d’un repas. Par la suite, les doses seront progressivement adaptées jusqu’à l’obtention d’une amélioration (posologie maximale : 200 mg/jour). Les effets thérapeutiques sont en règle générale ressentis dès la troisième semaine de traitement (soit plus rapidement que chez l’adulte). Insistons ici sur la nécessité de prolonger le traitement au moins 12 mois après une stabilisation de la symptomatologie.
 6°/ Instabilité psychomotrice   (cf. Item  32).




CRISES ET RUPTURES A L’ADOLESCENCE 
  Dès les premiers jours de la vie et jusqu’au terme de l’adolescence (et même audelà), l’individu passe de crises en crises: crise du huitième mois, crise œdipienne, crise pubertaire, crise du milieu de la vie… Ces crises participent à la maturation du sujet et sont témoins d’une évolution du développement. Leur absence est pathologique. La crise est un moment temporaire de déséquilibre et de substitutions rapides remettant en question l’équilibre normal ou pathologique du sujet. Son évolution est ouverte, variable : tout est possible, vers le mieux ou le pire. Elle dépend tout autant de facteurs internes (psychiques) qu’externes (environnementaux).

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1°/ Crise d’originalité juvénile

- La crise pubertaire

La phase pubertaire marque le début de la crise juvénile. Elle apparaît dans les deux sexes, débutant vers 10-11 ans et se terminant vers 15-16 ans. Chez la fille l’apparition des règles signale apparemment un début franc ; chez le garçon le début est plus difficile à préciser. Deux points essentiels caractérisent cette crise : - Le doute de l’adolescent sur l’authenticité de soi et de son corps. L’adolescent hésite à assumer son corps au point d’avoir constamment un doute et un besoin de réassurance. La crainte d’être observé, les longues stations devant le miroir en sont les expressions les plus manifestes. - L’entrée en jeu de la tension génitale ou de la masturbation. L’évolution vers la sexualité adulte est parfois difficile à assumer, source de culpabilité. Les premières expériences auto-érotiques ou les premières relations sexuelles suscitent parfois des inhibitions considérables. La puberté donne de nouveaux moyens, psychiques et physiques, de s’affirmer face aux parents. Cette nouvelle capacité doit être gérée, assimilée, ce qui demande du temps.

- Le désir, la crise d’originalité

 Une horreur de la banalité, une propension à faire de soi quelqu’un d’exceptionnel et d’unique, caractérise l’adolescent. Ce désir d’originalité débute aux environs de 14 ans pour la fille et 15 ans pour le garçon. Il constitue un des premiers éléments de la "puberté mentale" qui accompagne les transformations d’ordre physiologique.  La crise d’originalité désigne la forme la plus visible et la plus complète du désir d’originalité. Cette crise n’est pas permanente, elle présente des fluctuations. Son début est très souvent rattaché à un événement tel que l’éloignement, la mort d’un être aimé, un brusque changement dans l’existence, un chagrin d’amour, une ambition déçue, etc. Cette crise éclate soudainement et avec violence et présente deux faces :

- une face individuelle se caractérisant par l’affirmation de soi avec exaltation, une contemplation et une découverte du Moi comparable à la découverte du corps chez le bébé. Elle peut se traduire par un goût de la solitude, du secret, par des excentricités vestimentaires, comportementales, langagières ou épistolaires. La pensée est avide d’inédit et de singulier. La passion de réformer, de moraliser ou de bouleverser le monde est intense. Plusieurs degrés existent. - Une face sociale se manifestant par la révolte juvénile : révolte à l’égard des adultes, des systèmes de valeurs et des idées reçues. Les adolescents adressent deux griefs à l’égard des adultes : leur manque de compréhension et le fait qu’ils attentent à leur indépendance. En fait, il s’agit d’une révolte vis à vis de tout ce qui peut gêner cette affirmation de soi.
 2°/ Crise juvénile

Dans les crises juvéniles simples, l’acceptation de l’image de soi est assez facile, les réactions de l’adolescent sont liées à des motivations vivantes et chargées d’angoisse. En consultation, le médecin ou le psychologue apparaît réel, solide dans l’esprit de l’adolescent. Si les attitudes d’échec sont observables, elles sont réversibles et l’intelligence reste disponible.
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Au contraire, dans les crises juvéniles sévères, l’acceptation de l’image de soi est difficile. En consultation, le praticien semble flottant, incertain, décevant aux yeux de l’adolescent. Trois tableaux caractéristiques sont décrits : 

- La névrose d’inhibition, avec des inhibitions multiples, une difficulté à s’exprimer, une crainte de la personne du sexe opposé, une inhibition intellectuelle et sociale avec souvent des traits phobo-obsessionnels. - La névrose d’échec avec échec scolaire, échec sentimental, expression brutale d’interdit surgissant de l’inconscient, refusant le succès que semble souhaiter le conscient. La pensée devient perturbée, labile, instable, investie par des problèmes névrotiques ; - La morosité, qui n’est ni la dépression ni la psychose, mais un état proche de l’ennui infantile : "je ne sais pas quoi faire, à quoi m’intéresser, à quoi jouer, etc.". C’est un état qui manifeste un refus d’investir le monde, les objets, les êtres, la sexualité, plutôt qu’une perturbation thymique véritable. La vigilance est de mise en raison des risques passages à l’acte : fugue ou délinquance, drogue, suicide.

Ces crises sévères doivent cependant être distinguées des aspects dissociatifs où l’image de soi n’est plus acceptée du tout, et où, en plus, on observe parfois une division de la personnalité avec des bizarreries sortant du cadre de la simple originalité. Une schizophrénie débutante doit naturellement être évoquée, mais sans précipitation, et une consultation spécialisée s’impose. Le devenir avec le temps semble un des meilleurs critères diagnostiques.


L’AGIR ET LE PASSAGE A L’ACTE

 L’opposition entre conduite agie et conduite mentalisée prend toute son importance à l’adolescence. À cet âge, l’agir est considéré comme un des modes d’expression privilégiés des conflits et des angoisses de l’individu. Il se manifeste dans la vie quotidienne de l’adolescent dont la force et l’activité motrice se sont brutalement développées avec la puberté. Une des représentations les plus concrètes de la rupture de l’adolescent avec son contexte familial ou institutionnel est le départ du milieu dans lequel il vivait.


1°/ Voyages, fugues

 Le voyage est un départ, mais il est préparé à l’avance, pour un temps déterminé, solitaire ou plus souvent en groupe, dans un but précis avec un retour prévu. Il fait appel à des motivations individuelles : découverte, aventure ou fuite de la vie quotidienne routinière. Le voyage a plusieurs fonctions : manifestation d’indépendance de l’adolescent par rapport à sa famille, rituel socialisé d’éloignement accepté par les parents… Il est parfois l’occasion d’une décompensation anxieuse : crise d’angoisse aiguë, épisode dépressif momentané, trouble particulier des conduites (anorexie, insomnie) voire même épisode délirant aigu, les premiers signes d’un état psychopathologique. La fugue est un départ impulsif, brutal, le plus souvent solitaire, limité dans le temps, généralement sans but précis, le plus souvent dans une atmosphère de conflit (avec la famille ou avec l’institution où est placé l’adolescent). Cette discontinuité dans les interactions entre
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l’adolescent et son environnement est provoquée par l’adolescent. Mais ce comportement peut renvoyer à de semblables ruptures, plus anciennes, où l’enfant n’avait aucun moyen de maîtriser la situation, d’agir (ou de réagir). Abandonner est souvent plus facile à vivre qu’être abandonné ! 


2°/ Vols (cf. le vol chez l'enfant)

 Le vol représente la conduite délinquante la plus fréquente à l’adolescence. Parmi les multiples conduites de vol, deux types prédominent largement : le vol de véhicule et le vol dans les grandes surfaces commerciales.



3°/ Violences à l’adolescence

y L’hétéro agressivité

- Violence contre les biens La violence contre les biens n’est pas un des délits les plus fréquents mais elle frappe généralement l’opinion publique par son aspect "gratuit": il n’y a souvent aucun mobile apparent à la conduite destructive. On peut distinguer la violence en bande ou vandalisme, et la violence solitaire.

- Le vandalisme : Il est toujours le fait d’une bande qui s’attaque à des biens collectifs (lampadaires, plaques indicatrices) ou individuels (voitures garées). On peut retrouver une motivation apparente, mais le plus souvent elle est hors de proportion des dégâts provoqués. La gravité des actes commis n’est pas toujours correctement évaluée par l’adolescent. - Les conduites destructrices solitaires sont plus rares. L’exemple typique en est la conduite pyromane, toujours fascinante et longtemps considérée comme un crime. Le feu renvoie à une intense excitation que l’adolescent ne peut ni maîtriser ni évacuer autrement. Parfois elle ponctue une longue période de lutte accompagnée de la pensée obsédante du feu. La conduite de pyromane renvoie alors à des structures de type névrotique, d’autant que l’adolescent éprouve un sentiment de malaise, de culpabilité ou de honte. Mais souvent l’impulsivité et la destructivité sont au premier plan. Cette conduite peut alors constituer la mise en acte des pulsions et des fantasmes agressifs, la perception de la réalité s’estompant derrière l’envahissement fantasmatique. C’est ce qu’on observe dans les structures psychotiques ou en cas de psychopathie grave.

Une autre conduite destructrice solitaire est représentée par la crise de violence de l’adolescent dans l’appartement familial : brusquement, l’adolescent se met à casser du mobilier dans l’appartement. Les objets détruits peuvent appartenir à l’adolescent luimême ou à l’un de ses proches, ce qui oriente souvent le sens à donner à ces conduites. En dehors de la psychopathologie de l’adolescent lui-même, ces conduites destructrices signent toujours des perturbations profondes dans la dynamique familiale : mésentente parentale voire scènes de violence verbales ou agies entre conjoints. L’absence physique d’un des parents, en particulier du père, s’observe parfois, mais dans d’autres cas il peut s’agir d’une absence totale d’autorité parentale, malgré les apparences…
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- Violence contre les personnes La violence intra-familiale est une maltraitance des parents. Il s’agit surtout de garçons occupant en général une position particulière dans la fratrie. La violence extra familiale concerne presque exclusivement des garçons. La majorité de ces adolescents présente déjà des antécédents de délinquance, de drogue, d’alcoolisme et parfois des antécédents psychiatriques.

y L’autoagressivité

Les manifestations autoagressives de l’adolescent sont dominées par le problème des tentatives de suicide, qui font l’objet d’un autre cours. 


- Les automutilations Dans certains cas il s’agit de véritables décharges motrices en réponse immédiate à une situation de tension, de conflit ou de frustration. Dans les autres cas, il s’agit d’un ancien enfant automutilateur dont les manifestations persistent, voire même s’aggravent à l’adolescence. 

- Les automutilations impulsives : brutalement, parfois après une montée d’angoisse ou d’agitation aisément perceptible, l’adolescent attaque son corps avec plus ou moins de violence (couteau, lame de rasoir, vitre cassée). Il se taillade alors les bras, le dos des mains, les poignets, voire même le visage, la poitrine. L’acte de se couper est le plus fréquent. Viennent ensuite les brûlures avec les cigarettes. D’autres conduites symptomatiques s’associent fréquemment : conduites anorexiques ou boulimiques, état dépressif, difficulté sexuelle, tendance toxicomaniaque. Il s’agit bien souvent de personnalité perturbée : organisation prépsychotique voire psychose, psychopathie grave,. On retrouve de graves carences dans l’image de soi et d’objet. D’autre part l’externalisation des affects et la mise en acte constituent le moyen privilégié de lutte contre l’angoisse.  - Les automutilations chroniques surviennent dans un tout autre contexte. Il s’agit d’adolescents profondément encéphalopathes qui ont déjà présenté de telles automutilations dans leurs antécédents. L’émergence de la maturité génitale, en particulier chez le garçon, peut modifier ces conduites. Elles se centrent alors autour de la masturbation intempestive qui présente d’ailleurs parfois une certaine dimension autoagressive. Ces automutilations chroniques peuvent avoir une signification variable : recherche d’une limite du soi corporel, recherche d’une autostimulation. - Enfin, on peut rapprocher certaines automutilations, surtout quand elles sont moins importantes (griffures, jeu avec des épingles, des allumettes ou des couteaux) des scarifications propres à certains rites de passage. 

- Les équivalents suicidaires Cela concerne l’ensemble des conduites au cours desquelles la vie du sujet est mise en danger du point de vue d’un observateur externe, mais au cours desquelles le sujet dénie le risque pris. Les « tendances suicidaires » sont extrêmement fréquentes à l’adolescence : elles n’aboutissent pas toujours au passage à l’acte suicidaire assumé comme tel par l’adolescent (adolescent suicidant). A l’opposé, les comportements qui font partie du champ suicidaire inconscient sont extrêmement nombreux : abus de
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drogues, d’alcool, comportements antisociaux, les accidents de la route (moto), jeux du foulard, conduites à risque.
 4°/ Significations psychopathologiques ?

 Toutes ces conduites représentent des modalités de fuite, de mise à distance, d’une tension interne avec le besoin de vérifier dans la réalité la distanciation avec ses relations objectales plus ou moins conflictuelles établies durant l’enfance. Plus ce besoin sera grand, plus la réalisation sera brutale et plus elle prendra une forme pathologique. Le doute et l’incertitude quant à sa propre identité amènent l’adolescent à vivre, à se sentir exister en partant ailleurs, à rechercher de nouvelles identifications qu’il ne peut pas rencontrer là où il vit. Comme l’a fait Ulysse, il faut être parti pour revenir ! Ces conduites s’observent volontiers chez les adolescents qui ne disposent pas d’autres moyens que l’agir et le passage à l’acte pour fuir une situation de tension. Ceci est particulièrement vrai pour les fugueurs à répétition chez lesquels on retrouve volontiers d’autres modes de passage à l’acte à type de délits, de TS ("je me casse"), de prises de drogues et pour lesquels le diagnostic de tendance psychopathique est fréquemment évoqué. Elles s’observent également chez les adolescents pour qui le deuil des images parentales (normal à l’adolescence) devient pathologique et source de dépression. Celle-ci ne peut être assumée autrement par l’adolescent que par une séparation concrète de son milieu parental ou de son équivalent. Ces conduites se rencontrent enfin chez les adolescents dont les troubles d’identité sont au premier plan, pouvant même révéler un état limite ou même psychotique.

CONDUITES A RISQUE

CONDUITES DELINQUANTES
 1°/ Généralités

 La délinquance proprement dite est une notion relative de caractère à la fois juridique, social et moral, donc variable selon les temps et les lieux. La délinquance est une forme d’inadaptation sociale à un moment donné, en un lieu donné, laquelle peut traduire mais non toujours bien sûr, des difficultés d’ordre psychologique voire des troubles psychopathologiques. Des conduites délinquantes se voient surtout lors de la période d’adolescence, laquelle est en effet une étape particulièrement délicate, angoissante, mettant à rude épreuve le sujet dans ses relations interpersonnelles et sociales. Il n’est pas rare que la délinquance de l’adolescent survienne après un ensemble de manifestations plus précoces intra et extra familiales où se retrouvent, à des degrés divers, certaines tendances antisociales qui s’expriment par exemple par des comportements agressifs, une tendance à détruire, des vols, certains mensonges, des difficultés scolaires, etc..
 2°/ Conduites délinquantes

 Les fugues et les vagabondages : l’abandon du domicile familial signe le malaise du sujet dans sa famille. Ce malaise est toujours intense et préoccupant en raison soit des perturbations affectives de l’adolescent, soit de conditions familiales très négatives.
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 Les vols, les dégâts matériels posent des problèmes différents selon l’âge de l’adolescent, leur type, leur importance, leur fréquence chez le même sujet. Il est habituel de noter que les vols extra familiaux suivent des vols à l’intérieur de la famille. Plus l’enfant grandit, plus le côté utilitaire et en même temps agressif et antisocial du vol augmente.  Les comportements violents (les délits de violence sont en augmentation) sont en général le fait de garçons d’un certain âge. Il peut s’agir de coups et blessures, voire d’homicides, certes rares mais non exceptionnels. Ces derniers peuvent signer une absence pathologique grave de contrôle des pulsions agressives, mais parfois la volonté d’agression n’est pas manifeste et fait place à la peur. Chez les jeunes enfants, la relation entre l’acte agressif et ses conséquences peut être mal perçue.  Certains comportements sexuels "antisociaux": viols (souvent collectifs), attentats à la pudeur, incitation à la débauche, etc. sont à replacer au sein des difficultés ou des perturbations de la maturation sexuelle et affective des sujets.  A propos des toxicomanies juvéniles, les prises de drogues par les adolescents a en règle une double signification psychologique et sociale. Elles représentent à la fois un moyen de lutte contre leur malaise, leur angoisse personnelle, leurs affects dépressifs. C’est aussi une occasion de transgresser certaines règles sociales et de créer un univers nouveau avec son rituel, ses règles propres. Il est essentiel de bien distinguer l’utilisation occasionnelle de drogue, relativement fréquente à cette période même si elle n’est pas du tout à banaliser, de la toxicomanie juvénile avérée qui se caractérise par une escalade d’absorption de drogues aboutissant à une consommation quotidienne qui entraîne une dépendance psychologique et le plus souvent physique.  En matière de délinquance en groupe, il y a lieu d’évaluer dans quelles conditions elle a eu lieu : conduite occasionnelle de rassemblements, de manifestations sous-tendues par une idéologie ou un intérêt commun (musique, moto, politique, etc..) ayant donné lieu à de la "casse"? Ou s’agit-il d’une activité répétitive, en bandes plus ou moins organisées, surtout urbaines ou suburbaines ?
 3°/ Qui sont les jeunes délinquants ?

 Une conduite antisociale est une modalité d’expression parmi d’autres d’un sujet et ceci au sein d’un contexte psychologique, familial et social, très variable selon les cas. Il n’y a pas de proportionnalité entre la gravité de l’acte délictueux et l’importance des perturbations de la personnalité de leurs auteurs. Dans un nombre très limité de cas, la conduite délinquante apparaît liée à des troubles psychotiques marqués par une altération sévère du sens de la réalité, par un Moi incapable de faire la part du monde imaginaire et du monde réel (rôle des films et des jeux vidéos ?) et agissant ses fantasmes agressifs.  L’ensemble des perturbations désignées sous le terme de psychopathie est noté chez environ 15 à 20% des délinquants. Il s’agit d’un trouble sévère de la personnalité marqué par des passages à l’acte violent, répétitifs ne faisant pas l’objet d’une véritable culpabilité et par une intolérance massive à la frustration et des difficultés relationnelles profondes liées à une incapacité à maintenir de manière positive un attachement prolongé à quelqu’un. Parfois l’association de sadisme, d’une indifférence totale par rapport aux conséquences des conduites fait parler d’enfants ou d’adolescents pervers. Le rôle des carences et frustrations affectives précoces massives apparaît majeur dans la genèse de la psychopathie.  Chez les délinquants névrotiques, la conduite antisociale est occasionnelle, peu claire, inhibée, bloquée, inachevée du point de vue du but à atteindre. On trouve chez ces patients des sentiments de culpabilité assez vifs et un certain besoin latent d’être puni. La conduite « antisociale » paraît bien être, comme un symptôme névrotique, une espèce de
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formation de compromis entre le désir et les forces contre-pulsionnelles du Moi et du Surmoi, et renvoyer à un conflit interne, actif.  Une phase juvénile difficile, une période d’adolescence particulièrement conflictuelle et angoissante peut être génératrice de passages à l’acte. Les passages à l’acte représentent-ils un moyen d’éviter l’abord des conflits et des contradictions internes ? S’agit-il d’un recours très occasionnel ou plus systématique de ce mécanisme d’externalisation du conflit, déplaçant vers l’extérieur, dans des conflits externes, ce qui ne peut être abordé à l’intérieur de soi ?   La personnalité du délinquant peut apparaître comme normale, indemne de tout conflit important. Le comportement antisocial (en règle unique ou peu fréquent) s’inscrit alors dans un contexte de circonstances particulièrement génératrices de passages à l’acte ou dans un climat familial ou social où il apparaît très réactionnel à celui-ci. Il faut donc se garder de psychiatriser à tort de telles conduites "antisociales", mais aider de tels sujets à sortir de leur phase tumultueuse de maturation, sans les faire tomber dans la stérile et stigmatisante nosographie de la "personnalité délinquante", car à l’adolescence surtout, le plus souvent tout est possible et rien n’est figé dans une "structure délinquante".


PRINCIPES DE PRISE EN CHARGE   La prise en charge se doit d'exister, tant les conduites peuvent mettre en péril le jeune et son entourage (famille, école, société). Cette prise en charge doit être plurielle : - Evaluation psychique :  . De l'enfant . Des parents . Contacts avec l'école (directeur, enseignants), éventuellement avec le relais de l'assistante sociale. Elle permet d'évaluer ce qui sous-tend les comportements déviants. - Evaluation sociale, au besoin avec une mesure de signalement à la PMI voire judiciaire. Elle permet d'aider la famille et de protéger l'enfant. - Prise en charge éducative : mise en place possible (dans son milieu de vie) d'un éducateur référent pour aider l'enfant à intégrer et accepter des "limites". La cohérence de la prise en charge, multidisciplinaire, impose que les différents intervenants se rencontrent et qu'ils élaborent des projets éducatifs et de soins, ensemble. - Une séparation s'impose parfois entre l'enfant et son milieu : - Parfois en urgence avec hospitalisation en cas de crise : permet une reprise de contact entre les différents intervenants. - Ou en tant que projet réfléchi et pensé, à moyen ou long terme : vie en internat (simple ou éducatif), ou en foyer (placement parfois judiciaire en cas d'urgence).



lundi 21 novembre 2016

la loyauté

DE LA LOYAUTÉ ET AUTRES RISQUES

Jean-Louis NOUVEL pédopsychiatre responsable de l’AFT du centre hospitalier de Poitiers

Placer un enfant n'est pas un acte banal.
Penser le développement d'un enfant à distance de ses parents biologiques ne correspond pas aux représentations actuelles de notre société. Le placement s'inscrit dans un acte premier de séparation. Celle-ci, quel que soit le travail préparatoire et la modalité du déroulement, est toujours vécue comme une déchirure. Cet acte princeps se répète lors de chaque visite et vient réveiller régulièrement la violence des affects précédemment vécus chez tous les acteurs du placement. L'enfant placé se trouve au centre d'un dispositif qui lui fait vivre des positions et des sentiments contradictoires : répondre aux demandes de ses parents ; peur de les perdre ; prendre conscience de leur réalité ; s'autoriser ou se sentir autorisé à s'en dégager malgré la dette de vie qu'il a envers eux ; répondre aux demandes de la famille d'accueil, avec, là aussi, peur de les perdre ; en même temps peur et désir de s'inscrire dans cette famille ; peur et désir d'être adopté par elle ; et enfin répondre aux exigences institutionnelles et sociétales (service de placement, service judiciaire, éducation nationale). Afin de concilier toutes ces contradictions, l'enfant devient un enfant à facettes multiples avec un risque majeur de clivage entre certaines d’entre elles. Ce risque est d'autant plus important qu'il entre en résonance avec les modalités des fonctionnements psychiques parentaux.

Par ailleurs, la dysparentalité qui a entraîné le placement est forcément majeure. Elle n'est pas le fait d'une simple histoire limitée à un individu. Elle s'inscrit toujours dans une histoire transgénérationnelle de dysparentalité. Nous sommes conduits à travailler avec des familles indifférenciées, notamment dans l’ordre des générations, où l'enfant doit venir réparer l'histoire parentale. L'accès à l'enfant réel est limité, voire impossible pour les parents. Seul existe l'enfant imaginaire qui est tout-puissant et auquel l'enfant réel doit se soumettre. Cette emprise, si elle n'est pas travaillée, empêche la séparation psychique de s'opérer malgré la séparation physique. Les phénomènes de séparation-individuation, qui sont des phénomènes à la base même des processus de pensée, sont alors entravés. La violence de la séparation, la violence de l'histoire familiale transgénérationnelle ont besoin d'être contenues par la loi afin que s'opère cette
séparation psychique nécessaire au développement des processus de pensée. Citons René Clément qui énonce avec clarté ce nécessaire recours à la loi : “la fonction du magistrat est de mettre socialement un interdit et des limites à des situations où des adultes n'ont pu établir dans leur propre fonctionnement psychique, les limites et les interdits qui se transmettent normalement de génération en génération. Le recours à la loi est thérapeutique dans la mesure où il peut être l'occasion de rappeler qu'il y a en droit un ordre possible et repérable pour remédier aux dysfonctionnements familiaux quand les places et les fonctions de chacun ne sont ni définies, ni assignables”. Pour que ce passage du social au symbolique au travers de la loi soit efficient, le placement doit être porté par une institution, par un dispositif à visée de soins, et ne pas être considéré comme une simple suppléance éducativo-affective.
Dans le cadre du placement ainsi posé, les conflits de loyauté ou d'appartenance sont des conflits intra-psychiques. La dynamique du placement se nourrit de ces conflits. Si le conflit d'appartenance de l'enfant est le plus évident, le plus central, chaque acteur du placement va lui-même vivre des conflits d'appartenance ou de loyauté qui s'inscrivent et questionnent l'histoire personnelle, intime de chacun. L'enfant nous entraîne ainsi dans le tourbillon de sa propre histoire. Les institutions doivent être considérées, dans ce tourbillon, comme des personnes morales à part entière avec leur propre histoire et leurs propres conflits.


QU'EN EST-IL DU CONFLIT DE LOYAUTÉ POUR LA FAMILLE D'ACCUEIL?

Être assistante familiale n’est pas un métier comme un autre. C’est un métier qui exige de s'engager dans le portage physique, psychique et affectif de l’enfant accueilli aussi longtemps que celui-ci en a besoin. C’est un métier qui sollicite l'assistante familiale à la frontière d’un dedans et d’un dehors, de l’intime et du professionnel. Le savoir qui le constitue n’est pas un savoirfaire mais un savoir-être avec. Être avec dans le portage de l’enfant, dans le portage psychique auprès de l'enfant de sa famille naturelle et non être à la place de l’enfant ou de sa famille naturelle.
La famille d'accueil occupe une place primordiale dans le dispositif de placement. Elle est responsable du quotidien de l'enfant. Elle lui propose un cadre repérant, structurant et sécurisant. Devenir famille d'accueil est une démarche motivée par l'affection à donner à un enfant, mais aussi une demande sociale faisant du foyer familial le cadre institutionnel du travail. La famille d'accueil vit la contradiction permanente d'être prise dans une relation d'attachement avec un enfant et d'être une famille professionnelle investie d'une responsabilité institutionnelle dans la mise en œuvre d'un projet pour cet enfant. Cette contradiction est une donnée incontournable de l'accueil familial. Par ailleurs, l'assistante familiale est à cheval entre deux institutions : d'un côté sa propre famille, de l'autre le service de placement.
Au sein de sa propre famille, l'assistante familiale introduit dans la vie commune un enfant. Cette introduction va forcément bousculer les rapports préétablis entre chaque membre de la famille d'accueil. Celle-ci se trouve soudain élargie, recomposée. L'enfant y introduit sa propre famille par sa façon d'être, de se comporter, de s'exprimer, de se lier. La vie commune devient l'intersection de deux histoires antérieures non-partagées. L'assistante familiale doit trouver un nouvel équilibre dans les relations à ses enfants et à son conjoint tout en offrant à l'enfant accueilli l'affection et la chaleur nécessaires. Ceci se déroule sous le regard direct de ses enfants, dans les mêmes gestes qu'elle a ou a eu pour eux. Ce temps donné à l'enfant accueilli
n'est plus offert à ceux de la famille. Cet ensemble est un ferment pour les sentiments de jalousie, de rivalité et de rejet qui peuvent rapidement devenir ingérables et demandent donc d'être anticipés, repérés et travaillés. Les enfants de la famille d'accueil peuvent aussi vivre l'attention de leur mère pour cet enfant dans l'effacement ou la non-compréhension du caractère “professionnel” de leur mère dans ces instants-là. Il est alors important que l'équipe du placement, par sa présence sur le terrain ou lors des consultations, viennent signifier et resignifier à la famille, la place désormais particulière de leur mère.

L’assistante familiale elle-même peut se retrouver dans un positionnement difficile, prise dans un conflit d’intérêts entre enfants accueillis et enfants naturels. Ce type de conflit est fréquent. Il passe par des phases d’exacerbation qui retentissent sur le comportement de l’enfant accueilli. Nous prendrons pour exemple le petit Daniel accueilli à sept mois chez Mme E. En consultation, alors qu’il a quatorze mois, Mme E. évoque des difficultés comportementales et de sommeil apparues depuis peu. Daniel bouge beaucoup. Il s’oppose. Il se réveille la nuit. Il a du mal à se coucher. Il ne fait que des siestes courtes. Ce tableau nous évoque un état anxieux de l'enfant. Nous continuons l’entretien en l’axant vers des évènements de vie qui auraient eu lieu dans la famille d’accueil. Ce n’est qu’après quelques minutes que Mme E. nous parle de son fils aîné. Celui-ci désire faire des études de kinésithérapie en Belgique. Il attend les résultats d’un tirage au sort qui lui permettra de s’inscrire. Si son fils doit partir en Belgique, Mme E. ne s’imagine pas ne pas l’accompagner et l’installer là-bas. Comment faire alors avec Daniel? Sa mère sera t-elle d’accord pour signer une autorisation de sortie du territoire? Si elle refuse, Mme E., consciente de la fragilité de Daniel, ne partira pas en Belgique installer son fils. Mais cette solution est inenvisageable. Les difficultés de comportement de Daniel sont la retranscription en acte du conflit interne : quel enfant vais-je trahir, abandonner? Quelle fonction maternelle puisje m’autoriser à vivre? Celle liée à mon fils ou celle liée à Daniel?
Dans ce cas clinique, le conflit s’est résolu en deux temps : la mère de Daniel a donné son accord pour la sortie du territoire. Et Mme E., dégagée du conflit dans ses fonctions maternelles entre enfant naturel et enfant placé, apaisée par l’accord maternel de sortie du territoire s’autorise à penser enfin le voyage avec Daniel en tant qu’enfant réel, en tant que bébé dans sa réalité. Elle nous annonce avec un grand soulagement que, finalement, ce sera son mari qui ira installer leur fils en Belgique, mettant en avant les difficultés dans l'organisation des siestes de Daniel lors de l'emménagement.

La deuxième appartenance institutionnelle de l'assistante familiale est le service de placement. Celui-ci est là pour porter un axe de travail constant, être un lieu d'échanges avec d'autres professionnels sur la question du sens de son action auprès de l'enfant accueilli. Travaillant dans son propre foyer familial, elle a besoin de ce repère extérieur pour s'ouvrir à d'autres conceptions éducatives, à d'autres manières de voir le monde, à d'autres modalités de compréhension de ce que l'enfant lui fait vivre. Ceci peut à nouveau la mener dans des conflits de loyauté entre l'institution famille et l'institution service de placement. Pour exemple, citons les propos d'une assistante familiale en consultation qui énonçait après une discussion autour des visites aux parents : “je suis d'accord avec vous, je comprends la nécessité de maintenir les visites. Mais mon mari et mes filles ne sont pas d'accord. Il faudrait que vous les rencontriez pour le leur expliquer. Moi, ils ne veulent pas m'entendre”.

Ceci pointe un paradoxe du placement familial : si le contrat de travail est signé par la seule assistante familiale, c'est toute la famille qui est cependant mise au travail lors de l'accueil de l'enfant, et c'est cet ensemble que l'équipe de placement doit accompagner.

Par ailleurs, l'assistante familiale va devoir cheminer de l'enfant accueilli imaginaire à l'enfant accueilli réel. Combien de fois entendons-nous nommer en consultation le sentiment d'étrangeté, face à cet enfant, même s'il a été accueilli bébé? Cette étrangeté faite des liens tissés avec la famille naturelle déstabilise l'assistante familiale. Commence alors la phase de l'après-idylle décrit par Myriam David. Petit à petit, l'enfant réel met en difficulté, en échec, la famille d'accueil. Cet enfant qu'elle rêvait de rétablir ne répond pas à ses attentes. L'assistante familiale éprouve de plus en plus d'ambivalence à son égard. Elle oscille entre le rejet et la captation.
On peut observer bien souvent le déplacement vers la famille d'accueil de la problématique qui a nécessité la séparation et une contamination de celle-ci par le dysfonctionnement de la famille naturelle. Sans une aide suffisante, l'assistante familiale et la famille d'accueil vont être mises à mal. Citons ici les propos d'une assistante familiale confrontée à la nécessité de l'arrêt du placement : “je n'en peux plus. J'ai à choisir entre ma famille ou cet enfant. Quand je suis avec lui, il me happe, nous vivons des moments intenses d'affection partagée mais je suis épuisée. J'ai des migraines. Je ne me sens plus disponible pour ma famille. Il est insatiable dans la relation.” La famille d'accueil va donc devoir s'adapter à cet enfant réel en aménageant ses propres standards affectifs et éducatifs, en laissant une place suffisante à cet enfant accueilli réel, tout en maintenant vivant dans son psychisme un enfant accueilli imaginaire.

Enfin, la famille d'accueil a des sentiments contradictoires vis-à-vis de la famille naturelle. La famille d'accueil ressent de la culpabilité. Elle a pris cet enfant à une autre famille. Elle peut s'identifier à la souffrance de cette autre. Inconsciemment, elle se vit comme une voleuse d'enfants. Cette culpabilité cohabite ou fait place à la colère, la révolte, voire la haine contre les parents naturels quand l'identification se fait à l'enfant. Que font vivre ces parents à cet enfant pendant les visites pour que celui-ci soit si mal après? Comment accepter ces parents qui mettent à chaque fois l'enfant en miettes, au point qu’il faut à chaque fois le reconstruire? Comment supporter que même leur absence soit si destructrice? Ce conflit est d'autant plus difficile à supporter que l'enfant est fait de ces parents-là, que cet enfant a une dette de vie à leur égard et qu'il éprouve souvent affection et attachement vis-à-vis de sa famille naturelle. La puissance de tous ces conflits vécus par la famille d'accueil montre la nécessité de la dimension institutionnelle du placement familial et du nécessaire étayage que nous devons lui apporter.

les risques de notre métier




Les risques du métier.

Quels risques?
Le risque de ne plus s’y retrouver avec son mari?
Le risque de perdre de vue ses propres enfants à force de s’occuper des accueillis?
D’avoir son logis mis à mal, ses affaires personnelles dégradées ou dérobées?
De ne plus pouvoir profiter de ses loisirs favoris, de la compagnie de ses amis, des visites de la famille, de ne plus être invité nulle part?
Le risque de perdre sa bonne réputation dans les magasins et auprès des voisins?
L’investissement financier dans une grosse voiture, des chambres supplémentaires, un équipement ménager de petite collectivité au risque de se retrouver sans ressources parce que sans enfant à accueillir ?
Le risque de perdre son image de “bonne” assistante familiale en cas d’allégations ou de fausses manœuvres?
Le risque de perdre son travail à la suite d’un tel épisode?
Le risque de perdre ses illusions, son courage, son entrain, sa joie de vivre, ses valeurs?

Et pourtant, nombreuses sont encore les familles d’accueil qui ont de l’ardeur à l’ouvrage et qui sont prêtes à renouveler les expériences et le partage. Comment œuvrer ensemble dans les services de l’aide sociale à l’enfance pour potentialiser les énergies et éviter les écueils énumérés ci-dessus?



LE TRAVAIL D’ASSISTANT FAMILIAL

Sigmund Freud a dit qu’il y avait trois métiers impossibles : éduquer, gouverner, psychanalyser1. On pourrait en ajouter un quatrième, celui d’assistant familial qui inclut d’ailleurs les trois autres à lui tout seul ! En effet, l’assistant familial ouvre l’espace de sa vie privée comme milieu professionnel, s’offre à être son propre outil de travail, dispose de sa propre famille comme équipe adjointe. Le principe de l’accueil consiste en ce que cet espace soit pénétré par un enfant venu d’ailleurs, séparé des siens sur décision officielle. Cet enfant est escorté, dans le meilleur des cas, par toute une équipe. Il y a là un rapport entre le dehors et le dedans qui pourrait bien être une des spécificités de ce travail. Accueillir un enfant ne s’arrête pas au seuil de sa maison. L’assistant familial transporte en quelque sorte son travail dans tout ce qui fait son existence : vie familiale, amis, évènements familiaux, sorties, parfois même vacances. L’enfant accueilli doit vivre dans une famille mais il n’est pas membre de cette famille-là. Il vient d’ailleurs et en porte la marque. Comment lui faire une place sans l’exclure de ce qui fait le quotidien de la famille mais sans l’assimiler à tout prix en déniant la part de l’étranger en lui?

DONNÉES ACTUELLES

Le métier est-il en train d’évoluer? C’est une banalité de dire que le rôle de chacun, homme, femme, père, mère, est en pleine mutation, sans parler de la place de l’enfant. Le statut des assistants familiaux a connu le tournant de la professionnalisation avec les lois de 1977, 1992, 2005 et les décrets d’application de 2006. Leur participation au projet concernant l’enfant s’est accrue, leur point de vue étant de plus en plus reconnu et sollicité. De même, les services de l’aide sociale à l’enfance ont eu à réfléchir sur leurs méthodes de travail en équipe. D’autre part, la donne en matière de protection de l’enfance a connu elle aussi une évolution certaine ces dernières années. En effet, actuellement, face au juge des enfants, les parents peuvent venir accompagnés d’un avocat qui les représente. Ils peuvent même trouver à redire sur la façon dont on s’occupe de leurs enfants, tels des clients insatisfaits d’une prestation de service. La judiciarisation de la protection de l’enfance affecte les services de l’aide sociale à l’enfance, et l’accusation de maltraitance peut basculer en direction des professionnels au sein même des équipes, plus particulièrement en direction des assistants familiaux.
Il ne s’agit pas ici de nier la possibilité de la maltraitance chez les familles d’accueil, mais de souligner la nécessité de savoir bien situer les questions de suspicion et d’allégation pour faire la part des projections de chacun et des faits avérés. La famille d’accueil est particulièrement exposée à ce qui s’apparente, dans certains cas, à des identifications projectives, miroirs de la maltraitance dans la famille d’origine de l’enfant. Il importe donc que la famille d’accueil puisse trouver auprès du référent, et au sein de l’équipe, la fonction de pare-excitation qui est nécessaire pour protéger l’accueil en tant que tel, donc l’enfant. À l’heure du signalement au procureur de la République, comment garder encore la possibilité de réfléchir et le temps pour repérer la part éventuelle du fantasme dans ces circulations d’accusations? Peut-être certains enfants ont-ils été trop vite changés de famille d’accueil pour calmer le jeu, comme ce fut le cas pour Isabelle ! À trop craindre le texte administratif et judiciaire, ne court-on pas le risque d’occasionner des dégâts très importants pour le sentiment de continuité psychique de l’enfant et l’estime de soi de la famille d’accueil?

L’INVENTIVITÉ

Comment accueillir un enfant au plein sens du mot “accueil”? Pourrait-on évoquer de la part de l’assistant familial des capacités d’ajustement évoquant la préoccupation maternelle primaire? Madame C., assistante familiale se rend tous les jours à l’unité de soins mère-enfant, passer quelques instants avec le petit Jérôme dont la mère, grande psychotique, a fini par accepter le principe du placement. Dans un deuxième temps, Mme C. amène Jérôme chez elle, de plus en plus fréquemment, et pour des durées de plus en plus longues. Jérôme est un bébé d’un an, peu expressif, très replié sur lui même. Il semble indifférent à la présence de l’autre, se détourne même de façon active en réponse à toute sollicitation. Un jour, lors d’un trajet habituel en voiture, Mme C. surprend dans le rétroviseur le regard intense de Jérôme fixé sur elle. Elle s’aperçoit que par le biais du miroir, le rétroviseur de la voiture, l’enfant l’observe, la regarde. Elle peut alors, se sentant reconnue par Jérôme, s’adresser à lui d’une toute autre manière. Ce jeu de regards croisés dans le miroir, accompagné de paroles de la part de Mme C. permet un accueil à la présence de l’autre. Il se poursuivra ainsi dorénavant au cours des trajets suivants. C’est le début de l’altérité qui s’est opéré là.

Comment accueillir dans l’espace familial et tenir dans la durée en préservant la place de chacun et ce d’autant que les enfants de l’assistant familial sont encore présents au logis? Voyons comment Mme B. envisage la question : “Il est important qu’il y ait des espaces où les enfants accueillis n’ont pas le droit d’aller : la chambre des parents, les chambres des enfants de la famille. Il faut créer des compartiments et les enfants accueillis doivent savoir qu’ils ne peuvent pas naviguer dans tous les compartiments. Par contre, quand un enfant arrive dans la famille, si on lui demande de s’adapter à notre style de vie, on ne peut pas exiger tout de suite de lui toutes les contraintes imposées à nos propres enfants. Le fait que l’enfant accueilli doive respecter certains espaces privatifs au sein de l’habitat familial peut rassurer les enfants de la famille d’accueil sur le fait que tout ne sera pas dû à l’intrus qui débarque là. Cela permet aussi de mettre une limite sécurisante à la toute-puissance de l’enfant accueilli.” Voici comment cette assistante familiale spatialise, sur un plan symbolique, la notion de différence dans les appartenances. À désigner les lieux pour souligner les places, on permet de limiter l’angoisse d’invasion pour les uns et d’engloutissement pour les autres. Le jeu possible à propos des espaces permet de métaphoriser la rivalité et de distinguer lien familial et lien d’accueil. Bien entendu, le respect des lieux de chacun ne peut s’appliquer que si l’enfant accueilli se voit lui-même attribuer son espace propre

Comment accueillir au sein du service la constellation famille d’accueil/enfant déplacé? Le métier d’assistant familial est un métier artisanal : chaque situation nécessite des approches originales. Pour lutter contre le caractère mortifère de la répétition, il faut trouver de quoi renouveler son énergie, entretenir ses capacités à penser et maintenir vivant le lien à l’enfant. C’est l’écoute bienveillante des autres membres de l’équipe qui fait que l’assistant familial se sent reconnu dans ses doutes et ses trouvailles.

CONCLUSION

Si nous reprenons la définition du mot “risque” dans le dictionnaire, nous y trouvons aussi bien la notion de danger que de combat. Risquer, c’est oser comme le dit l’expression “prendre un risque”. Au titre de ce risque à prendre qu’est l’accueil familial, nous dirons en conclusion qu’un assistant familial dont le travail tient parfois du sauvetage psychique ne peut se montrer créatif dans la mission qui lui est confiée que dans une responsabilité partagée

lundi 14 novembre 2016

vidéo : le placement familial de l'ado

Critiques de vidéos

Le placement familial de l’adolescent

Jacques Trémintin

ANTHEA
7 place aux herbes
BP 219
83006 Draguignan Cedex
Tél. 04 94 68 98 48


Thème : Placement familial
Comment rendre compte du métier de famille d’accueil, surtout auprès d’un public réputé si compliqué : les adolescents ? C’est à cette question que se sont attelés Maryse Vaillant et Daniel Lacroix, en collaboration avec le placement familial de l’Œuvre de l’Abbé Denis. Cela a donné cette production de grande qualité qui pose un certain nombre de vraies questions. La trame est donnée par l’accueil d’Émilie, reçue au service de placement puis accompagnée dans une famille qu’elle ne connaît pas et où on la voit vivre différents moments. Ce récit est régulièrement entrecoupé par des témoignages d’assistantes maternelles et d’anciens jeunes placés. Beaucoup de paroles fortes dans ces 36 minutes de vidéo. Du côté des assistantes maternelles d’abord

Ainsi, de cette motivation de départ qui était d’apporter aux autres et qui s’oriente vers la question : qui répare qui ? Ou encore cet enfant de 10 ans qui dit un jour à sa mère : « Tu ne me vois plus ». Il peut arriver que les enfants de la famille d’accueil perdent leur statut avec l’accueil du jeune : il faut faire le point régulièrement avec eux. Mais aussi, le risque essentiel du métier : rester isolé, ne pas bénéficier d’un travail en équipe. Du côté des anciens accueillis, la même intensité : la difficulté d’arriver dans une famille dont on ne fait pas partie, l’importance du dialogue et de la relation de confiance qui peut se rompre si l’adulte porte des jugements trop hâtifs sur les comportements ou la famille du jeune, la nécessité de construire un projet avant le départ. De quoi faire réfléchir sur ce mode d’accueil

lecture sur les placements d'enfants

Les placements d’enfants

Dominique Attias et Lucette Khaïat


éd. érès, 2014, (378 p. – 20 €) | Commander ce livre
Thème : Internat
Si, avec une trentaine de contributeurs, cet ouvrage ne prétend pas à l’exhaustivité sur la question des placements d’enfants, il propose néanmoins un tour d’horizon très diversifié. Le choix a été fait de ne pas donner la parole aux sachants des sciences humaines que l’on trouve si souvent ailleurs, mais à des acteurs institutionnels. Mis à part quelques professionnels de terrain et psychiatres, ce sont surtout des cadres issus de la PJJ, des conseils départementaux et des services de protection de l’enfance, des magistrats de la jeunesse, avocats et juristes qui s’expriment.
Que retenir d’un contenu parfois riche, malgré un ton parfois convenu ? Quelques rappels qui méritent d’être faits. Le manque de plus en plus cruel de places d’accueil pour les mineurs délinquants, en dehors du milieu carcéral. Aucun modèle unique dans l’organisation des ASE qui, pour s’être diversifiées depuis la décentralisation, ont vu aussi leurs pratiques s’éparpiller. Un placement qui n’est pas forcément un aveu d’échec, tout comme le retour en famille qui ne constitue pas la seule issue estimable, chaque enfant devant suivre son propre cheminement. L’importance de la continuité et de la stabilité, de la souplesse et de l’adaptabilité qui sont essentielles pour agir au plus près de l’intérêt de l’enfant. Le faible taux de contrôle des établissements qui intervient, en moyenne, une fois tous les 23 ans.
Et enfin, la négligence de la prévention, véritable parent pauvre du dispositif : la moitié du coût du placement en MECS d’une fratrie de trois enfants pourrait financer un logement décent, une formation qualifiante pour l’un des deux parents, un large étayage pluridisciplinaire en milieu ouvert, un soutien scolaire et des aides financières venant permettre non seulement la subsistance, mais aussi l’accès aux loisirs et aux vacances. À chaque lecteur de trouver ici son compte.


petit document : implication dans la relation d'accompagnement

Distance professionnelle et implication dans la relation d’accompagnement

Collectif, Les Cahiers de l’Actif n° 460-461


Les Cahiers de l’Actif, Septembre-Octobre 2014, (266 p. – 17 €) | Commander ce livre
Tout travailleur social est confronté, dans sa recherche de la bonne posture, à une trop grande ou trop faible implication, en même temps qu’à une trop grande ou trop faible distanciation, par rapport à la personne qu’il accompagne.
Quelle proximité lui faut-il adopter ? Sa fonction de technicien de la relation le conduit à une recherche d’objectivité fondée sur des connaissances en sciences humaines. Mais, intuitivement autant qu’empiriquement, il sait l’absurdité d’une telle quête. Sa volonté d’établir une relation de sujet à sujet l’incite à se laisser affecter par autrui et à se prêter tant aux projections affectives réciproques qu’aux manifestations d’émotions émergeant inévitablement, de part et d’autre. Les risques inhérents à l’affection sont bien connus : attachement fusionnel, indifférenciation entre soi et l’autre le réduisant à l’identique, dépendance, captation, chantage affectif, toute-puissance, protectionnisme aliénant la liberté d’autrui…
Mais les pièges de la désaffectation le sont tout autant : annulation d’autrui par exclusion, neutralité illusoire, aveuglement sur ce qui se joue de toute façon en soi, comme chez l’autre… Les contributeurs le rappellent clairement : la désimplication n’est pas distanciation et l’implication n’est pas contiguïté. Et de prôner une éthique de la proximité qui, située entre la fusion et le clivage, consisterait d’abord non à dénier mais à assumer sa subjectivité, ses affects et ses émotions.
Mais il convient aussi de gérer la dynamique des relations transférentielles et contre-transférentielles. Enfin, il s’agit d’accepter d’articuler le personnel, l’intime et le professionnel, tout en garantissant une attitude inconditionnellement bienveillante, articulée sur le non jugement et la disponibilité. La bonne proximité, donc, et non la bonne distance.

Dans le même numéro

petit document: de l'interdit à la transgression

De l’interdit à la transgression : la place de la sanction dans la relation éducative

Collectif, Les Cahiers de l’Actif n° 468-469


Les Cahiers de l’Actif, Mai-juin 2015, (253 p. – 18 €) | Commander ce livre
La transgression peut, d’abord, être ordinaire (expérimenter son pouvoir d’agir, prendre un risque ou affirmer un choix). Elle peut, aussi, être la conséquence d’une mise en échec (induisant l’indiscipline, l’agressivité et la provocation). Mais elle peut tout autant être compulsive (en réaction avec un contexte immédiat). Quelle qu’elle soit, toute transgression justifie une réponse. Non dans l’esprit d’une quelconque vengeance, mais avec pour objectif essentiel de responsabiliser l’auteur afin qu’il réponde de ses actes et les assume. Ne pas le sanctionner serait le considérer comme pas suffisamment sujet face à ce qu’il a commis.

Pour autant, les contributeurs à ce numéro des Cahiers de l’Actif en sont tous d’accord : la sanction doit répondre à toute une série de conditions pour ne pas tomber dans l’illégitimité, l’arbitraire et l’illégalité.

Première exigence, respecter un cadre de recevabilité : l’acte incriminé doit être juridiquement sanctionnable et l’autorité amenée à en juger doit être autorisée à le faire.
Seconde condition : les modalités d’exercice de la sanction doivent respecter le droit démocratique : légalité des sanctions, recueil contradictoires des témoignages, proportionnalité de la peine par rapport à l’acte incriminé, individualisation de la décision, possibilité de voies de recours.
Et puis, viennent ces caractéristiques qui distinguent la sanction éducative de la seule punition : se centrer sur l’acte plutôt que sur la personne qui l’a commis, initier au changement plutôt qu’à la soumission, assumer une fonction de pacte mutuel, en maintenant le lien plutôt qu’en produisant une rupture du lien. Et d’identifier trois temps de la sanction : arrêter la transgression, nommer pour donner du sens et prendre une décision qui soit à la fois cohérente, pertinente et bienveillante.

mercredi 2 novembre 2016

lecture

Entre déchirure et soulagement. Des parents face au placement.

Jean-Louis Mahé


Entre déchirure et soulagement. Des parents face au placement de leur enfant dans une collectivité de l’aide sociale à l’enfance - éd. Champ Social, 2013 (298 p. ; 26 €) |   
Thème : Placement familial
Après avoir donné la parole aux enfants placés (Désenchantements voir LS n° 1012) et aux professionnels d’internat éducatif (Polyphonies voir LS n° 1081), Jean Louis Mahé nous présente ici le troisième opus de sa trilogie, en s’intéressant au point de vue des parents. Il est intéressant d’entendre ces familles exprimer leurs ressentis, leurs émotions et leurs (dés) espoirs. On est loin des représentations idéologiques stigmatisant ou idéalisant des parents sur lesquels on dit tout et n’importe quoi.
Après qu’une brève vignette ait présenté leur situation ils causent pour de vrai, l’entretien faisant l’objet d’une fidèle retranscription. Certes, l’échantillon qui s’exprime ici n’a rien de représentatif. Mais ils donnent néanmoins leur avis. Ils se positionnent soit dans le déni permettant de mesurer le décalage entre ce qui est vécu par leur enfant et la conscience qu’ils peuvent avoir, soit dans un soulagement produit par un placement venu apaiser leur détresse.
Qu’ils le reconnaissent ou non, ces parents ne s’en sortent pas. Ils n’y arrivent pas, qu’ils ne sachent pas vraiment assumer leur fonction ou qu’ils soient submergés par des enfants au caractère particulièrement difficile. Les propos qu’ils tiennent les humanisent, alternant la culpabilité, la colère ou le ressentiment. Ils peuvent tout autant exposer lucidement les raisons de la séparation que montrer l’incompréhension de ce qui leur arrive, avoir l’impression d’avoir pu utilement se faire aider ou, au contraire, se plaindre d’être victimes des services sociaux.
Certains ont le sentiment d’avoir mis le doigt dans un engrenage sans savoir comment s’en sortir, quand d’autres ne se voient pas reprendre leur enfant, comptant sur un placement de long terme. Et puis, il y a ceux qui affirment n’avoir pas été informés des raisons du retrait, sans que l’on sache s’ils n’ont pas vraiment entendu ou voulu entendre. Le placement de leur enfant les renvoie parfois à leur propre vécu, ayant été eux-mêmes placés ou ayant voulu l’être.
Les relations aux professionnels de l’établissement sont d’autant plus satisfaisantes qu’ils ne se sentent ni jugés, ni méprisés ou exclus des questions essentielles concernant l’éducation de leur enfant. Ils expriment souvent le souhait d’être plus informés et associés à l’évolution de ce dernier, ressentant la suppléance tantôt comme une opportunité, tantôt comme une stigmatisation. Ils se sentent en confiance quand ils sont écoutés et compris, pouvant tisser un lien privilégié avec tel ou tel éducateur.
Au final, on ne peut que s’étonner de la forte proportion d’adhésion de ces parents, tant est coutumière l’idée que le retrait d’enfant se fait sous forme d’arrachement, quand ce n’est pas de kidnapping.