lundi 17 décembre 2018

Inégalités scolaires : peut mieux faire


Le Conseil national d’évaluation du système scolaire (CNESCO) a récemment publié une nouvelle étude faisant apparaître une offre de formation et des moyens — humains et financiers — très inégalement répartis sur le territoire.
La France, un des plus mauvais élèves
Malgré les efforts successifs des politiques d’éducation prioritaire visant à donner davantage de moyens aux écoles situées dans les quartiers dits « défavorisés » — relégués, de fait —, les inégalités persistent et signent. La France serait même l’un des plus mauvais élèves des pays occidentaux dans ce domaine.
Différences de statut
Selon la dernière évaluation PISA de 2015, « 20 % de la variation de la performance en sciences des élèves en France est associée à des différences de statut socio-économique »… contre 13 % en moyenne dans l’ensemble des pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Les territoires les plus mal lotis sont les régions rurales, les quartiers relégués des grandes villes, le Nord, l’Est et l’Outremer.
Handicaps accumulés
Un exemple : les enseignants des zones prioritaires sont à la fois les plus jeunes (trois fois plus d’enseignants de moins de trente ans dans les quartiers sensibles) et les plus précaires. Les établissements sont caractérisés par un grand nombre de contractuels et un grand turnover. Le taux de réussite est fortement corrélé au contexte social.
Zones stigmatisées
La réussite au brevet de dix points inférieure dans les 10 % de communes les plus pauvres (80 % versus 90 % en moyenne sur le territoire). Et si l’on prend seulement en considération les épreuves écrites du brevet, il est même de seulement 24, 3 % dans les zones rurales, les zones urbaines précaires et l’outremer, contre 42, 8 % en moyenne sur toute la France.
En réponse à ces constats, le gouvernement a annoncé… une révision des moyens accordés à l’Éducation nationale au printemps prochain.
Pour aller plus loin : www.oecd.org/fr

Cannabis : la pénalisation pour politique


Le 23 novembre – un vendredi soir, tard dans la soirée… – l’Assemblée nationale a adopté, par 28 voix contre 14, la création d’une amende forfaitaire (200€, initialement prévue à 300€) pour sanctionner l’usage des stupéfiants. Les chiffres officiels évoquent cinq millions de consommateurs pour l’année 2017, dont 700 000 usagers quotidiens.
Échec annoncé
Ce n’est pas ce type de mesure répressive qui va améliorer l’état sanitaire du pays. Qui plus est, un caractère inégalitaire est pointé par les opposants, qui craignent la stigmatisation des jeunes de quartiers relégués. Des magistrats, des associations, des policiers ont prédit l’échec annoncé de cette énième mesure punitive.
D’autres délits
En 2016, 83% des causes d’interpellation pour infraction à la législation sur les stupéfiants l’ont été pour usage de substances, et 6% pour trafic. L’usage illicite de stupéfiants n’est d’ailleurs pas la seule infraction ciblée : la vente ou l’offre d’alcool à un mineur, le délit de vente de tabac à la sauvette… et les mauvais traitements envers les animaux se voient aussi concernés.
Associations au créneau
Cette nouvelle amende s’inscrit dans le cadre de la loi de programmation 2019–2022 de la réforme de la justice. La Ligue des droits de l’homme rappelle que tous les dispositifs de répression en matière de drogue se sont soldés par des « échecs patents ». Un collectif inter associatif réclame le retrait de l’article. En Europe, seuls six pays pénalisent encore l’usage par de la prison ferme. Dont la France.
Livre blanc
Réunis pour l’occasion dans un même combat, les professionnels de la réduction des risques et de l’addictologie ont rédigé un livre blanc appelant à ouvrir un débat national pour une nouvelle politique des drogues « fondée sur la promotion de la santé publique et le respect des droits humains ».

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12 décembre 2018

Justes images du travail social

C’est suffisamment rare pour être salué : en quelques semaines, deux films (français) extirpent le travail social de son invisibilité, et ce avec une certaine justesse, bénéficiant tous deux d’un côté grand public dû à la présence d’actrices et d’acteurs reconnus.
Adoption
« Les gens seront heureux de voir à quoi servent leurs impôts ! » s’exclame l’acteur Gilles Lellouche, qui endosse le rôle d’un assistant familial dans le film Pupille. En effet, là, une dizaine de personnes se mobilisent pour tracer au mieux le destin d’un bébé abandonné. Quelle réponse sociétale, et comment la montrer, à ces détresses ?
Réalité de terrain
Il s’agit en effet d’accouchement sous X. La jeune mère a deux mois pour revenir sur sa décision… ou pas. Pendant cette période éminemment délicate, ce temps suspendu, les services de l’aide sociale à l’enfance vont porter cet enfant, dénicher une mère adoptante, observer, échanger, élaborer une solution.
Délicatesse
Avec un savoir faire et un savoir être touchants, les travailleurs sociaux ne cesseront de parler au bébé, mais aussi d’échanger, de croiser leurs regards sur chaque candidat à l’adoption, de faire émerger un avenir possible pour un enfant né sous X. Cette force, cette pensée collective donne des fruits évidents. L’empathie, dans les entretiens parfois hautement sensibles, y est montrée de belle manière.
Hommages
« C’est un hommage à la République française, à ses travailleurs sociaux, ses éducateurs », affirme la réalisatrice Jeanne Herry, qui dit « aimer les métiers et les gens au travail ».
Autre film, Les Invisibles (critique dans Lien Social n° 1242, en date du 8 janvier 2019). Là, face au problème croissant du sans abrisme féminin, trois assistantes sociales se démènent…
L’image de l’AS
Après un travail d’investigation et d’immersion d’une année dans des centres d’accueil de différentes villes, le cinéaste, Louis-Julien Petit, est motivé par l’humanité des travailleuses sociales qu’il côtoie. Dans un contexte de pénurie de moyens, parfois d’administrations desséchées, ce travail devient une démarche de résistance pour trouver une solution.
Justesse et drôlerie
Tourné comme une fiction, avec parfois ressorts tragi-comiques, il s’agit bien là de transformation sociale, voire de résistance. Le film s’appuie à la fois sur la justesse de jeu de deux comédiennes archi reconnues – Corinne Masiero, Audrey Lamy – et sur la résilience des femmes accueillies qui, dans leur propre rôle, contribuent à la force de ces Invisibles. En ces temps de désespérance, tout cela est fortement roboratif.

À voir
  • Pupille, film de Jeanne Herry. 1h47. Avec Sandrine Kiberlain (Karine), Gilles Lellouche (Jean), Élodie Bouchez (Alice), Miou-Miou (Irène)…
    Sur les écrans depuis le 5 décembre 2018.
  • Les Invisibles, film de Louis-Julien Petit. Avec Audrey Lamy, Deborah Lukumuena, Noémie Lvovsky, Corinne Masiero.
    Sortie en salles le 9 janvier 2019.

jeudi 6 décembre 2018

lien social

N° 1240 | du 27 novembre 2018
Faits de société

Le 27 novembre 2018 | Marianne Langlet

Protection de l’enfance • L’alerte des juges

Des mobilisations s’organisent dans plusieurs départements. L’ensemble des juges pour enfants du tribunal de Bobigny a publié une tribune alertant sur la saturation des dispositifs de protection de l’enfance.
« La grande misère de la protection de l’enfance en Seine-Saint-Denis », l’appel au secours des juges des enfants au tribunal de Bobigny a été lancé le 6 novembre simultanément dans les colonnes du Monde et sur France inter. Les juges alertent : les mesures d’assistance éducative qu’ils prononcent attendent jusqu’à dix-huit mois avant d’être appliquées. Les raisons : le manque de personnel, d’éducateurs notamment, pour cause de restrictions budgétaires. « Nous sommes devenus les juges de mesures fictives » lancent-ils.
« Enfin ! Des juges pour enfants prennent la plume et détaillent leurs conditions de travail et les conséquences pour la population de Seine-Saint-Denis », réagit Khaled Benlafkih, éducateur spécialisé et représentant syndical FSU à l’aide sociale à l’enfance (ASE) du 93 qui se réjouit de cette interpellation forte face à une situation qu’il connaît depuis longtemps. « Nous avons des listes d’attente depuis plusieurs années autant pour les circonscriptions de l’ASE que pour le secteur associatif : actuellement en action éducative en milieu ouvert (AEMO) neuf cents familles sont en attente ». Dans sa circonscription de Drancy, comme ailleurs en Seine-Saint-Denis, 80% des accueils sont organisés en urgence. Dans l’impossibilité de trouver une place adaptée, il cherche juste une place pour une nuit dans des foyers en sureffectif, « parfois un matelas dans la salle télé ». Et la recherche recommence le lendemain. Pendant plusieurs semaines, les enfants sont envoyés de place en place. « Le système dysfonctionne : là où on est censé protéger, parfois on renforce le mal-être voire on l’aggrave » témoigne Khalid Benlafkih.
Partout en France, le dispositif de protection de l’enfance craque. Depuis le 3 octobre, à Tourcoing, les agents de l’Unité territoriale de prévention et d’action sociale se mobilisent : après une grève de dix jours, ils se sont retrouvés à Lille ce même 6 novembre. Huit cents professionnels, selon les syndicats, sont venus de toute la région. Leur manifestation devant l’hôtel du département alertait sur leur manque de moyens pour assurer leurs missions de protection de l’enfance. Et le mouvement a reçu le soutien officiel du syndicat de la magistrature.
« Fermeture de sept cents places en hébergement sur trois ans, fermeture des services de la Protection maternelle et infantile (PMI) en maternité, saturation des dispositifs départementaux d’Intervention éducative à domicile (IEAD), sur affectation des enfants en famille d’accueil - certaines familles d’accueil de Roubaix ont pu accueillir jusqu’à quatorze enfants cet été » liste le syndicat de la magistrature. La situation est encore plus grave qu’en Seine-Saint-Denis où les juges précisent que les mesures de placement en urgence restent assurées. Dans le département du Nord, même ces placements sont difficiles. Le département conteste : les sept cents places n’ont pas été supprimées mais transformées en financement de mesures éducatives à domicile. Il a inventé un concept « assez ubuesque », dénonce Dominique Thiéry, l’une des porte-paroles du syndicat SUD au Conseil départemental du Nord : « le placement à domicile », bien moins cher qu’une mesure d’AEMO renforcée. Tout est question d’économie.