jeudi 6 décembre 2018

lien social

N° 1240 | du 27 novembre 2018
Faits de société

Le 27 novembre 2018 | Marianne Langlet

Protection de l’enfance • L’alerte des juges

Des mobilisations s’organisent dans plusieurs départements. L’ensemble des juges pour enfants du tribunal de Bobigny a publié une tribune alertant sur la saturation des dispositifs de protection de l’enfance.
« La grande misère de la protection de l’enfance en Seine-Saint-Denis », l’appel au secours des juges des enfants au tribunal de Bobigny a été lancé le 6 novembre simultanément dans les colonnes du Monde et sur France inter. Les juges alertent : les mesures d’assistance éducative qu’ils prononcent attendent jusqu’à dix-huit mois avant d’être appliquées. Les raisons : le manque de personnel, d’éducateurs notamment, pour cause de restrictions budgétaires. « Nous sommes devenus les juges de mesures fictives » lancent-ils.
« Enfin ! Des juges pour enfants prennent la plume et détaillent leurs conditions de travail et les conséquences pour la population de Seine-Saint-Denis », réagit Khaled Benlafkih, éducateur spécialisé et représentant syndical FSU à l’aide sociale à l’enfance (ASE) du 93 qui se réjouit de cette interpellation forte face à une situation qu’il connaît depuis longtemps. « Nous avons des listes d’attente depuis plusieurs années autant pour les circonscriptions de l’ASE que pour le secteur associatif : actuellement en action éducative en milieu ouvert (AEMO) neuf cents familles sont en attente ». Dans sa circonscription de Drancy, comme ailleurs en Seine-Saint-Denis, 80% des accueils sont organisés en urgence. Dans l’impossibilité de trouver une place adaptée, il cherche juste une place pour une nuit dans des foyers en sureffectif, « parfois un matelas dans la salle télé ». Et la recherche recommence le lendemain. Pendant plusieurs semaines, les enfants sont envoyés de place en place. « Le système dysfonctionne : là où on est censé protéger, parfois on renforce le mal-être voire on l’aggrave » témoigne Khalid Benlafkih.
Partout en France, le dispositif de protection de l’enfance craque. Depuis le 3 octobre, à Tourcoing, les agents de l’Unité territoriale de prévention et d’action sociale se mobilisent : après une grève de dix jours, ils se sont retrouvés à Lille ce même 6 novembre. Huit cents professionnels, selon les syndicats, sont venus de toute la région. Leur manifestation devant l’hôtel du département alertait sur leur manque de moyens pour assurer leurs missions de protection de l’enfance. Et le mouvement a reçu le soutien officiel du syndicat de la magistrature.
« Fermeture de sept cents places en hébergement sur trois ans, fermeture des services de la Protection maternelle et infantile (PMI) en maternité, saturation des dispositifs départementaux d’Intervention éducative à domicile (IEAD), sur affectation des enfants en famille d’accueil - certaines familles d’accueil de Roubaix ont pu accueillir jusqu’à quatorze enfants cet été » liste le syndicat de la magistrature. La situation est encore plus grave qu’en Seine-Saint-Denis où les juges précisent que les mesures de placement en urgence restent assurées. Dans le département du Nord, même ces placements sont difficiles. Le département conteste : les sept cents places n’ont pas été supprimées mais transformées en financement de mesures éducatives à domicile. Il a inventé un concept « assez ubuesque », dénonce Dominique Thiéry, l’une des porte-paroles du syndicat SUD au Conseil départemental du Nord : « le placement à domicile », bien moins cher qu’une mesure d’AEMO renforcée. Tout est question d’économie.

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