samedi 29 février 2020

4 février 2020

► FORUM - La protection de l’enfance n’est pas en échec

Le 19 janvier, Zone interdite sur M6 a insisté sur les échecs de l’ASE, présentant ses réussites comme autant d’exceptions. Et si on s’intéressait un peu plus aux enfants qui s’en sortent ?
Les enfants placés à l’Aide Sociale à l’Enfance (ASE) vivent des parcours de rupture, souvent tristes et douloureux. Adultes, certains d’entre eux connaîtront la rue, l’exclusion, des schémas familiaux proches de ce qu’ils ont vécu eux-mêmes. Malmenés par un système, celui de la protection de l’enfance, ces enfants sembleraient être promis à un devenir marqué inévitablement par l’échec. Une forme de fatalisme paraît se dégager de la manière dont les médias nous parlent de ces enfants, des professionnels du secteur, de ce qui s’y fait et s’y vit. Le chiffre et l’affirmation selon lesquels « une personne sur quatre vivant à la rue, sans domicile fixe, a connu les services de l’ASE  » sont régulièrement relayés. On y lit un échec des politiques, des travailleurs sociaux, plus globalement d’une société qui ne parvient pas à enrayer une forme inéluctable de déterminisme social dans la reproduction de la pauvreté et de la souffrance. L’ASE fabriquerait immanquablement des S.D.F.
Je travaille auprès de jeunes qui ont connu un placement à l’ASE, des passages dans des foyers et/ou des familles d’accueil. À leur arrivée dans notre service, ils ont 18 ans depuis quelques semaines ou quelques mois. Durant leur accompagnement d’une à trois années, au titre d’un contrat jeune majeur, nous assistons à cette mutation : hier « enfant » placé à l’ASE, aujourd’hui « jeune adulte » en situation d’autonomie dans un appartement, demain « jeune adulte en société. Dois-je ressentir honte et colère d’appartenir à une corporation qui violente et maltraite ? Honte et colère de travailler dans des établissements qui, loin d’incarner les valeurs humanistes censées guider nos professions, sont accusés d’être responsables de ce désastre généré dans la vie de ces enfants. Honte et colère de côtoyer des institutions et des professionnels qui ne veulent pas voir, ignorent ou négligent ces maltraitances. En réalité, une majorité des enfants placés construisent des parcours positifs. Et le travail des éducateurs les aide à grandir et à se projeter dans l’avenir. (...)






11 février 2020

► BILLET D’HUMEUR - L’angoisse de l’incertitude


L’opinion publique en a été saisie d’effroi. La petite Vanille, à peine âgée d’un an, a été étouffée par sa propre mère, elle-même souffrant de maladie mentale. L’enfant vivait en famille d’accueil et le juge des enfants avait accordé un droit de visite à son parent. C’est à l’occasion d’une de ces rencontres que l’assassinat a été commis. Même si les autorités judiciaires ont validé les postures des professionnels accompagnant l’enfant, bien des questions surgissent.
Aurait-on pu éviter un tel drame ? Pourquoi a-t-on laissé cette femme en contact avec son enfant, sans la présence d’un tiers ? Les difficultés psychiques de cette mère étaient-elles compatibles avec la protection de sa fille ? Rétrospectivement, ces interrogations apparaissent tout à fait légitimes. Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que les professionnels ne se les posent pas après qu’un drame se soit produit, mais en permanence tout au long de l’accompagnement éducatif dont ils ont la charge. Et rien n’est moins facile que d’y apporter une réponse fiable et adaptée à 100%.
Car, travailler avec un enfant en danger c’est être systématiquement traversé par le doute. Non, que nous soyons hésitants, à ne pas savoir comment agir. Mais, ce qui nous traverse, c’est la quête d’une certaine circonspection et la recherche d’une forme de discernement qui, tout en préservant la nécessaire protection de l’enfant, prend en compte la complexité de sa situation familiale.
Car, qui sommes-nous pour orienter son destin ? La décision peut bien venir de l’autorité judiciaire. La mesure éducative peut bien faire l’objet de longues et fréquentes réunions où l’on s’interroge sur la manière d’agir. Notre volonté peut bien être sans faille dans le souci de protection. Rien n’y fait.
Un questionnement constant nous taraude. Avons-nous le droit de priver un enfant de son parent ? Devons-nous au contraire tout faire pour le rapprocher de lui ? N’aurions-nous pas dû nous montrer plus conciliant ? Avons-nous eu assez de rigueur dans nos choix ? Que répondrons-nous si plus tard l’enfant nous reproche de l’avoir laissé si longtemps avec des parents toxiques ou au contraire de ne pas avoir donné sa chance à son père, à sa mère ? Avons-nous bien fait ?
Alors, nous avançons, sans garantie, ni assurance de toujours bien faire. L’erreur nous mortifie. Mais, elle ne peut faire sens, car chaque situation est unique et singulière. Ce qui n’a pas fonctionné pour un enfant, pourra être pertinent pour un autre. Et inversement. Aujourd’hui, je pense à la petite Vanille à qui la vie aurait pu tout offrir. Je pense à ses proches dans l’affliction. Mais, je pense aussi à mes collègues professionnels effondrés, culpabilisés, découragés. Et je leur dis : vous avez agi comme vous pensiez devoir le faire. Et, il faut continuer à tout mettre en œuvre non pour agir au mieux, mais le moins mal possible.
Jacques Trémintin