samedi 22 septembre 2018

INFO

  1.  Assemblée Générale 


  2. de l'association 






  1. mardi 25 septembre 2018  à 10h à Saintes 

  2. ( salle de La Bourse du Travail )

jeudi 20 septembre 2018

La justice des mineurs : une action sociale judiciarisée défaillante


Certains – encore cette semaine la mission parlementaire sur la justice des mineurs (1) – s’interrogent toujours sur le lien entre les enfants en danger et la délinquance juvénile.
La réponse est pourtant connue de longue date : les enfants délinquants sont des enfants en carence d’encadrement et de protection parentale, sinon adulte.
On a une démonstration éclatante de cette évidence dans les chiffres fournis par la PJJ dans un rapport sur l’incarcération de mineurs (2) : on y apprend que 10 à 12 % des jeunes incarcérés seraient des mineurs étrangers non accompagnés (MENA).
On ne doit certes pas en déduire que les mineurs étrangers ont une part prépondérante dans la délinquance juvénile, mais deux éléments sont patents. D’abord on les interpelle plus facilement et on hésite d’autant moins à les déférer, notamment en région parisienne et à Paris même, et à les incarcérer qu’ils sont étrangers. Cela vaut également pour les majeurs. « Entre 2016 et 2017 le nombre de mineurs de nationalité étrangère progresse de 47% (120 contre 176) quand elle n’est que de 9% pour les français. »
Ayant eu à suivre 10 000 de ces jeunes de 1993 à 2014 et n’ayant compté parmi eux que très peu de cas de délinquance – quasiment aucun enfant venant l’Afrique subsaharienne et d’Asie, quelques uns d’Afrique du Nord , ayant observé personnellement que durant la période de confit aigue entre l’Etat et le département de la Seine Saint-Denis dans le dernier trimestre 2011 aucun des jeunes victimes de ce confit n’a commis le moindre de délit alors même qu’ils n’avaient qu’un ticket de restaurant pour diner et dormaient dans les fourrés du tribunal, je peux affirmer que cette poussée de délinquance de MENA est à la hauteur de l‘absence de réponse sociale. On paie ici plein tôt la guerre irresponsable Etat-Départements (3)
Le rapport du ministère de la justice le dit explicitement en faisant aussi le constat que ces jeunes hypothèquent leurs chances de s’inscrire en France: « Force est de constater que des mineurs se trouvent incarcérés faute de solution, sans mesure de milieu ouvert, avec la difficulté de travailler un projet de sortie et d’envisager des perspectives avec un mandat pénal »
Non pas qu’il ne se fasse rien pour ces MENA. Au contraire les services sociaux departementaux font beaucoup, mais pas à la hauteur du nombre de jeunes aujourd’hui concernés. Ces jeunes ne sont pas délinquants, mais le deviennent du fait de nos carences. Nous subissons les conséquences de notre désinvestissement relatif.
Et tel est bien l’enjeu depuis 1990 veiller à assurer à ces jeunes une perspective dans le cadre de la société sinon ils basculeront dans l’a-légalité avec tous les risques pour nous et pour eux.
Reste que si l’on prend un peu de recul on observe que le nombre de mineurs incarcérés a cru sensiblement depuis 2016 – de 16% de juillet 2016 à juillet 2017 avec un record pour la période la plus récente de 885 au 1er aout 2017 que l’on retrouve encore aujourd’hui au 1er juin 2018 avec 882.
Ajoutons que 10% ont moins de 16 ans.
L’inquiétude tient encore à ce que ces incarcérations interviennent plus souvent en cours d’instruction, à travers une détention provisoire, que sur condamnation au moment du jugement. Sur l’année le nombre de mineurs place en détention provisoire est passé de 948 par an en 2006 à 2339 !
On doit au passage de rappeler que la délinquance juvénile révélée par les services de police baisse dans la dernière période. Un élément majeur !
En d’autres termes le constat fort à faire ne peut pas ne pas interpeler les politiques : moins de délinquance de mineurs et plus d’incarcérations d’enfants. Soit le dispositif se durcit, soit cette délinquance évolue qui justifie plus souvent des incarcérations.
On a vu que s’agissant des MENA l’incarcération vise d’abord à s’assurer de leur présence plus qu’elle ne trahit une délinquance plus dure : ils sont d’abord auteurs de vol de rapine liés à leurs besoins qui peuvent aller pour certains jusqu’à des agressions comme le fait de tirer le collier d’une passante. Cette violence peut justifier la mise à l’écart mais elle est somme toute relative.
Les statistiques confirment en revanche que des mineurs se trouvent embarqués dans des démarches d’embrigadement qui les poussent à s’associer ou vouloir s’associer à des démarches de terrorisme. De 25 mineur(e)s mis en examen dans des affaires de terrorisme au 23 mars 2016 on est passé à 52 au 16 aout 2017. 31 ont été mis sous contrôle judiciaire et 21 en détention provisoire. On vise les « islamistes «, mais on observe – qui le dit ? – une augmentation sensible des mineurs déférés en lien avec la mouvance indépendantiste corse.
On constate aussi l‘augmentation depuis 2011 de la durée moyenne de séjour. Elle est passée de 70 à 80 jours à près de 110. Le rapport l’explique par les effets de la loi d’août 2011 qui renforce les conditions de recours à la procédure de « flagrant délit » pour mineurs. La démonstration n’est pas convaincante. En vérité on doit y voir d’abord la preuve que les alternatives à la détention font défaut. D’ailleurs le rapport lui-même ne le cache pas : « Dans l’urgence du déferement, la principale difficulté réside dans la complexité de trouver un lieu d’emplacement qui ne rend pas aux seuls critères de places disponible et de demande exclusive d’un CEF qui soit approprié à la problématique du mineur «
Il relève que le parquet use du déférement pour rechercher un CEF pour les réitérants. Or on le sait depuis des décennies, un placement judiciaire pour être réussi se prépare sérieusement avec les parents et le jeune. Les parquets ont le sentiment que la PJJ traine des pieds à l’envisager. Ils vont donc la mettre dans l’obligation d’agir devant ce qui est vécu comme une non prise en compte de l’acuité du problème.
Comme ils saisissent de plus en plus un juge d’instruction pour obtenir une réponse plus ferme que celé donnée par le juge des enfants.
Paradoxalement on constate aussi que certains juges des enfants « testent « une courte incarcération pour en finir avec la délinquance du jeune. Un raisonnement à courte vue : s’il était aussi facile d’éradiquer le crime, cela se saurait depuis longtemps !
Autre preuve du durcissement judiciaire : les contrôles judiciaires sont doublés en 10 ans passant de 3605 en 2006 à 7345 en 2016 avec fréquemment pour obligation de respecter un placement en CEF.
Tout cela appelle à s’inquiéter.
Dans ce contexte certains rêvent toujours de reformer l’ordonnance du 2 février 1945 prétendument inadaptée et donc fautive. Ils voient LA réponse dans la césure du procès pénal : le juge condamne vite le jeune concerné, puis des mesures éducatives se mettent en place. Pour ceux-là, manichéistes devant l’Eternel, il faut condamner vite le jeune en infraction. Un leurre ! En revanche il faut réagir vite dès lors qu’il est interpellé par la police pour s’attaquer enfin au fond du problème. L’enjeu est d’abord que les mesures éducatives prononcées par le juge soient mises en œuvre, mais en plus rapidement et efficacement. Or là on est loin du compte. On voudrait être assuré que toutes les mesures de milieu ouvert soient exercées dans les 5 jours de leur prononcé le sont réellement (article 12-3 ord. 1945).
Et à qui fera -t-on croire que le même éducateur PJJ peut suivre 25 jeunes ?
Les jeunes en passe d’être embrigadés ou déjà embrigadés appellent à des efforts spécifiques importants pour être déprogrammés, retrouver un minimum d’estime d’eux-mêmes et de perspectives.
Un accompagnement lourd et très exigeant doit être engagé. Des démarches se développent, notamment en Seine Saint-Denis à travers deux associations, dans la plus grande discrétion. Elles sont d’un coût très élevé et chronophage : 5 éducateurs se relaient pour un jeune sans lui laisser le moindre instant de liberté. Or justement, dans ces conditions, par-delà le gardiennage hôtelier, comment restaurer l’estime de soi, retrouver confiance dans les adultes qui vous environnent, croire dans la société et se forger un projet dans la légalité ? Il est certainement temps d’évaluer ces démarches pour ne pas s’embarquer sur de fausse réponse ou pour les développer.
La délinquance juvénile aujourd’hui, réalité et perspectives de réponses, est un de ces débats d’actualité qu’on ne devrait pas éluder. Au risque de choquer, il est plus important socialement que l’accès à la PMA pour toutes !
Comme il doit s’agir dans le même temps de s’interroger sur une politique de prévention de la primo-délinquante à travers une politique familiale et une politique sociale. Vous avez dit politique familiale et politiques sociale ? Des mots d’un autre temps. Renvoyées au mieux en septembre !
En tout cas les données inquiétantes restituées par le rapport PJJ amènent à quelques remarques
1 ) La délinquance juvénile est plus que jamais liée à l’absence d’encadrement adulte et social en général
2) Très tôt – dès l’école – les enfants conflit avec la loi ont besoin d’un suivi éducatif qui réduise les risques de dérapages entrainants eux-mêmes la demande de réponses privatives de liberté
3) La priorité éducative affirmée par l’article 2 de l’ordonnance du 2 février 1945 élevée en 2002 au niveau d’un principe constitutionnel semble s’estomper
4) C’est une erreur que de tout miser sur les CEF comme le fait depuis des années
5) Comment imaginer que la société sera mieux protégée par des séjours de jeunes dans une prison qui demeure « l’école du crime » dénoncée de longue date ?
En d’autres terme la justice des mineurs n’est pas comme on l’imagine trop souvent une sous-justice de majeurs pour des « petits d’homme », mais s’identifie comme une action sociale judiciarisée qui vise, sous prétexte d’un fait pénal, à transformer une personne. Cette justice est dépendante de l’action sociale développée en amont ou en parallèle. En ne développant pas elle-même une intervention sociale elle est quasiment inutile et on ne voit pas pourquoi elle se maintiendrait.
A défaut d’action sociale performante on se tourne vers la privation de liberté ! CQFD
(1) Voir la vidéo de l’intervention du 5 juin 2018 devant la Mission sur
assnat.fr/gruWHQpic.twitter.com/IpZIVt4xlg
(2) Rapport relatif à l’augmentation du nombre de mineurs détenus», PJJ, mai 2018
(3) La fronde des collectivités contre le gouvernement appelle à s’inquiéter aujourd’hui sur les suites qui seront réservées à l’accord trouvé à grand peine entre l’Etat et l’ADF
(4) Le pic record est de 989 au 1er janvier 1987 avec une baisse jusqu’à 395 au 1er janvier 1991

L’école peine à s’adapter aux enfants handicapés

Les parcours à la carte voulus par « l’école inclusive » promise par Emmanuel Macron restent difficiles à mettre en œuvre.




Depuis la rentrée, Sabrina est inquiète. Son fils de 13 ans, Enzo, se rend seul au collège, faute d’une personne nommée pour l’aider au cours de la journée. « Multidys », il souffre de troubles variés dont la dyspraxie, la dyslexie et la dysorthographie. Normalement, Enzo devrait être accompagné douze heures par semaine au collège par un accompagnant d’élève en situation de handicap (AESH). Mais, pour pouvoir suivre une filière professionnelle, Enzo a fait sa rentrée en 3e dans un nouvel établissement où son ancienne AESH n’a pas pu le suivre, faute de contrat disponible pour elle.
Le fils de Sabrina fait partie des 340 000 enfants handicapés scolarisés cette année dans « l’école inclusive » portée par le ministre de l’éducation, Jean-Michel Blanquer, et la secrétaire d’Etat chargée des personnes handicapées, Sophie Cluzel. Au total, 80 000 enfants sont pris en charge dans des instituts spécialisés, où les heures d’enseignement sont variables selon les cas. Le nombre d’enfants handicapés pris en charge par l’école elle-même a augmenté de 6 % par rapport à la rentrée précédente. Ils n’étaient que 100 000 en 2006.
« Il n’y a plus de solutions à l’extérieur de l’école et les familles doivent savoir que, même si c’est difficile, dans l’intérêt de leur enfant et pour son bien-être futur elles doivent s’accrocher », insiste Sophie Cluzel, pour qui le système scolaire a trop longtemps proposé des filières fléchées, par opposition au « parcours personnalisé avec des périodes en classe ordinaire » qui devait devenir la norme à partir de la loi sur le handicap de 2005. En pratique, ces parcours « à la carte » ressemblent souvent à un parcours du combattant pour les parents.
Un métier peu attractif
La clé de voûte du parcours « personnalisé », c’est bien souvent la présence d’un accompagnant, qui permet à l’enfant de rester en classe dite « ordinaire », comme c’est le cas pour Enzo. Ils sont 110 000 en...

mercredi 19 septembre 2018

CONFERENCE

Nombre de professionnels, dans le champ de la protection de l’enfance ou de l’éducation, sont confrontés quotidiennement à des situations de violence qu’ils ne parviennent plus à prévenir ni à contenir.
Un certain nombre d’entre elles concernent les relations avec les adolescents, cet âge « charnière » où tant de questions identitaires se posent, dans un environnement social plus que jamais imprévisible et incertain.
Dans les discours de tous les jours, adolescence et violence vont souvent de pair, comme les 2 faces d’une même pièce. Comme si la violence était d’abord l’apanage de ces grands « ados ». Attention à ne pas conclure trop vite …
Pour approfondir cette thématique d’actualité, le CEFRAS a choisi de faire appel à Daniel MARCELLI, psychiatre expérimenté et auteur prolixe et reconnu tant sur la question de l’adolescence que sur celle de la violence.
Professeur émérite de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, président d’honneur de la Fédération Nationale des Ecoles de Parents et d’Educateurs, président en exercice de la Société Française de Psychiatrie de l’Enfant, de l’Adolescent et des Disciplines Associées, Daniel MARCELLI appréhende, de manière souvent percutante et toujours passionnée, les questions complexes qui se posent aux adolescents dans notre société contemporaine.

LE MARDI 16 OCTOBRE 2018
De 14h à 17h au Mans
Lieu :
Salle des Saulnières
239 avenue Rhin et Danube
72100 LE MANS

LE MARDI 5 MARS 2019
De 14h à 17h aux Ponts de Cé
Lieu :
Lycée agricole de Pouillé
29 route de Pouillé
49300 LES PONTS DE CÉ

LE MARDI 25 JUIN 2019
De 14h à 17h à Nantes
Lieu :
Salle du FJT Adelis
9 bd Vincent Gâche
44200 NANTES

LE MARDI 15 octobre 2019
De 14h à 17h à la Roche Sur Yon
Lieu :
Chambre de Commerce et d’industrie
16 rue Olivier de Clisson
85002 LA ROCHE SUR YON

Voilà ce qu’il nous livre en préambule : « La violence à l’adolescence est un thème récurrent ! Pour éviter toute stigmatisation, dont on sait qu’elle est contreproductive à cet âge, il convient de démêler les diverses lignes de tension qui s’entrecroisent autour de cette question. Définir la notion de violence d’abord, toujours inscrite dans une relation, décrire succinctement ces conduites dont une grande part est d’ailleurs retournée contre le jeune lui-même, aborder l’adolescence et ses pulsions ensuite, envisager enfin les nouvelles conditions éducatives depuis l’enfance dans un cadre social et culturel où le concept triomphant « d’individu » vient largement redistribuer les cartes ! Tout cela a profondément modifié les expressions dites de « violence » à l’adolescence, dont la rage est la caricature. Nous terminerons cette intervention en décrivant les dérives parfois radicales de cette rage ».
Ce sont les grandes lignes que développera Daniel MARCELLI lors de notre conférence interactive. Ce nouveau rendez-vous du CEFRAS visera à vous permettre :
► D’analyser, avec d’autres clés, les situations de violence vécues avec des adolescents dans votre travail.
► D’envisager de nouvelles pistes, de nouveaux repères pour leur accompagnement au quotidien.
Nous vous invitons à venir participer en nombre à ce temps d’échange et de réflexion, qui sera organisé à 4 reprises et sur 4 lieux différents.
A vous de choisir la date et le lieu qui vous conviennent le mieux !

mardi 4 septembre 2018

COMMUNIQUE DE PRESSE

Au secours, un beau métier s’éteint !

Placer un enfant dans une famille d’accueil c’est lui donner une chance supplémentaire de s’épanouir, de préparer son autonomie et de devenir un adulte responsable capable de s’intégrer dans sa société de demain.
Pour les Départements, c’est le mode de prise en charge le moins dispendieux et pourtant on réduit encore et encore les moyens financiers des assistants familiaux.
Depuis la loi du 27 juin 2005, l’assistant familial est un travailleur social reconnu, un membre diplômé de l’équipe de l’aide sociale à l’enfance et un expert de la fonction.
Le rapport de l’IGAS de mars 2013 informe de la difficulté des services gardiens à recruter des assistants familiaux et l’enquête FNAF de Janvier 2018 révèle que 33% des assistants familiaux actuellement en poste atteindront l’âge de la retraite dans 5 ans et à 10 ans d’ici, seulement 37% seront en âge d’exercer ; on voit bien que la relève n’est pas assurée.
Que fait-on aujourd’hui pour assurer la prise en charge des enfants confiés à l’aide sociale à l’enfance dont le nombre augmente chaque année (rapport ONED de Novembre 2014 suivi du rapport ONEP de Mars 2016) ?
Pourquoi les employeurs, publics ou privés, ne parviennent-ils pas à étoffer l’effectif et pas même à le maintenir ?
Mesdames, Messieurs les Présidents des Conseils Départementaux, Mesdames, Messieurs les Présidents d’associations, vous qui employez des assistants familiaux, vous intéressez-vous réellement à leurs conditions de travail ?
Entendez-vous l’inquiétude des assistants familiaux qui vous alertent, vous sollicitent et vous proposent des idées pour revaloriser leur métier, améliorer les pratiques et ainsi donner envie aux personnes intéressées de s’engager dans la durée ?
Quelle place réservez-vous aux 31% d’enfants relevant du handicap et/ou présentant des troubles du comportement envahissants – enquête FNAF Janvier 2018 ?
La FNAF en appelle à vous, Monsieur le Président de la République, Mesdames et Messieurs les Présidents des Conseils Départementaux et Présidents d’associations, afin qu’un réel dialogue social se construise avec ces professionnels pour que leurs métier et rôle soient réellement reconnus et valorisés à leurs justes valeurs au niveau national.

ENQUETE FNAF 2018

Les chiffres évoqués dans ce communiqué résultent de l’enquête réalisée par la FNAF en Décembre 2017 et Janvier 2018 auprès de ses adhérents.
Nous vous invitons à prendre connaissance de la totalité des réponses en téléchargeant le fichier ci-dessous :

lundi 3 septembre 2018

Enfants placés, trajectoires tremblantes

Temps de lecture : 18 min

Au cœur d'un dispositif qui peine à compenser le manque d'attaches émotionnelles, les jeunes de l'aide sociale à l'enfance apprennent à être adultes.

Lorsqu'un jeune qui a été placé en foyer atteint l'âge de 18 ans, il ne bénéficie plus de la prise en charge de l'Aide sociale à l'enfance. 
«Ce qui m’a sauvée, c’est de ne pas avoir besoin d’amour.» Les mots sonnent dur dans la voix douce de Magali Panova, ancienne enfant des foyers français. «C’est terriblement compliqué de sortir de l’ASE et de se rendre compte qu’en fait, on a besoin de reconnaissance. Et qu’on n’y a pas accès.»
L’ASE, prononcez azeu, c’est l’Aide sociale à l’enfance, qui a repris en 1983 le flambeau de la DDASS. Où que l’on regarde, le constat revient comme une rengaine implacable. «Les personnes qui ont connu un parcours en protection de l’enfance parlent tous, ou presque, d’un sentiment d’isolement», affirme Séverine Euillet, chercheuse en psychologie et en sciences de l’éducation à l’université de Nanterre. Parents absents, décédés ou incapables d’assumer l’éducation: les bases affectives, cet apprentissage de l’attachement qui donne aux enfants confiance et sécurité, sont fracturées. Et les dispositifs de protection de l’enfance parviennent difficilement à les réparer.

«Je me rends compte aujourd’hui que je n’ai pas les bases ni l’assise émotionnelle qu’ont les autres, raconte Kévin Balouin, 24 ans, placé à l’âge de 4 ans. Quand ça va pas, tu es armé pour y faire face, ou tu rentres chez toi, tu peux te rattraper à quelque chose. Ne pas avoir pu construire ça avec une des personnes qui m’a accueilli, c’est une lacune que je ne rattraperai jamais.»

La filiation biologique sacralisée

Alors, que faire avec ces personnes qui, tôt ou tard, ont comme tout un chacun besoin d’amour? L’ASE continue de se débattre avec cette question. Depuis ses débuts, l’institution s'est donné pour objectif premier de «maintenir ou reconstruire le lien parental», explique Lyes Louffok, un ancien enfant placé devenu membre du Conseil national de la protection de l’enfance. Une politique dite familialiste qui reflète avant tout la difficulté de penser l’attachement en dehors des bornes bien connues de la relation filiale.
Cette idéologie a présidé pendant des décennies aux décisions en matière de protection de l’enfance. «L’idée que l’ensemble familial est une entité décisive pour la vie de la cité est très ancrée dans notre vieux pays latin conservateur, explique Nadège Séverac, sociologue spécialiste de la prise en charge des mineurs protégés. On garde une conception très patrimoniale de l’enfant comme un “bien” des parents, en quelque sorte, en tout cas sur lequel ils ont des droits.»
En plus du risque de se solder par un échec, cette politique de maintien des liens filiaux confine parfois à l’absurde. Jusqu’à handicaper la création de nouvelles attaches. Lyes, séparé de sa mère à la naissance, n’en revient toujours pas. «Alors qu’on savait que, souffrant d’un handicap mental sévère, elle ne serait jamais capable d’être mère, à aucun moment la question du retrait de l’autorité parentale ne s’est posée.» Sa première famille d’accueil lui apporte «tout ce dont un enfant peut avoir besoin». Mais quand cette femme qu’il appelle maman décide de déménager dans le sud de la France, sa demande de maintien du placement est rejetée, car ce nouveau domicile se trouve hors du département de résidence de la mère biologique de Lyes, 4 ans alors.
À l’époque où il écrivait son livre Dans l’enfer des foyers, édité chez Flammarion, le jeune homme a revu le pédopsychiatre et l’éducatrice qui le suivaient à ce moment-là. «J’ai appris que les débats avaient été intenses au sein de l’équipe.» L’éducatrice était favorable à ce qu’il suive son assistante familiale, le psychiatre et le chef de service non. «Sous prétexte que, peut-être, à un moment donné, des liens pourraient être créés avec ma mère –contre l’avis de ses médecins à elle.»
Même dans les cas d’enfants placés très tôt, et qui le resteront jusqu’à leurs 18 ans, il existe ainsi selon Nadège Séverac une «crainte de retirer l’autorité parentale, assimilée à la filiation». Cette filiation est «sacralisée, regrette Lyes Louffok. On associe encore les enfants à la sphère privée, de la même façon qu’on fermait les yeux sur la violence domestique il y a encore quelque années.» Apprenti éducateur, le jeune homme a été confronté à des cas beaucoup plus dramatiques. «J’ai vu une situation où une gamine violée par son père allait rendre visite à celui-ci au parloir… Au parloir!», tonne-t-il.
«On associe encore les enfants à la sphère privée, comme on fermait les yeux sur les violences domestiques.»
Lyes Louffok, ancien enfant placé
«Il faut bien comprendre que dans les cas de placement, les liens filiaux sont en souffrance souvent depuis la naissance, rappelle Nadège Séverac. Il faudrait une conception alternative privilégiant la protection des enfants vis-à-vis des parents, et vis-à-vis de l’institution aussi d’ailleurs. C’est une balance que l’on n’arrive pas encore à faire.»

À la sèche dénomination d’enfant placé, Séverine Euillet préfère le nom d’«enfants séparés et protégés». Dans les faits, ça se corse. «Je ne me suis pas senti protégé, tranche Kévin. J’ai toujours vécu mon placement comme une injustice. C'était sans doute la meilleure chose à faire, mais c'était injuste par rapport à la vie plutôt tranquille des autres enfants que je côtoyais. L’ASE a l’ambition d’apporter une stabilité émotionnelle. Dans mon cas, et dans beaucoup d’autres, j’en suis persuadé, c’est l’inverse qui s’est produit.»

Chance ou fiasco

Constat d'échec pour mission impossible. Kévin se souvient des week-ends passés chez sa mère, souffrant de divers troubles psychologiques et d’addiction. Une soupape de décompression. «Mais, même si c’est triste à dire, ce n’était même pas le fait de voir ma mère qui rendait ces moments heureux. Je me sentais libre, je me marrais avec mon frère et ma sœur.»
Lorsque son père, parti un an avant leur placement, refait surface autour de ses 13 ans, Kévin le voit comme une «bonne chose», mais n’est «pas transcendé». À raison d’un week-end sur deux jusqu’à ses 18 ans, il développe un attachement à ce père, «mais pas un lien filial. J’avais déjà fait le deuil des relations père-fils. Et mère-fils aussi, d’ailleurs. Je pensais ne pas avoir de père, je m’étais construit comme ça. C’était une relation mort-née». En parallèle, les personnels de l’ASE tentent d’évaluer l’état psychologique des parents afin de moduler le temps passé ensemble et de protéger au mieux l’enfant. Peine perdue selon le premier concerné. «À l’époque, je considérais que j’aurais été mieux chez moi qu’à l’ASE, peu importe les difficultés. Je le pense toujours.»
Magali dit pour sa part mesurer la «chance» qu’elle a eue d’être placée en foyer, «même si ç’a été un vrai fiasco». Placée à plusieurs reprises, la première fois à 5 ans, la jeune femme décrit sa mère comme handicapée. «Elle souffrait d’un retard du développement, et avait la maturité d’une enfant de 12 ans.» Originaire de Metz, elle est placée autour de 11 ans dans un foyer à Nancy. Une mesure rare, l’enfant devant généralement être accueilli dans le département de résidence de la famille. «Le juge des enfants a estimé qu’un éloignement serait favorable au rapprochement de la mère et de la fille, rigole doucement Magali. C’est une logique un peu particulière, mais pourquoi pas. En tout cas, ça a fini d’achever une relation déjà pas merveilleuse.»

S'attacher ou pas?

Au nom du maintien des relations et de l’autorité parentale, les personnels de l’ASE, éducateurs et familles d’accueil, se sont entendu dire pendant très longtemps de ne pas trop s’attacher aux enfants. Lyes Louffok, également apprenti éducateur, en veut pour preuve la «distance professionnelle» évoquée en formation. «Ce n’est pas un terme anodin. Moi, je préfère parler de bonne proximité.» Difficile pour les professionnels de se positionner et de savoir comment manœuvrer, quand les enfants accueillis peuvent être «sujets à des troubles massifs de l’attachement», rappelle Séverine Euillet.
«À l’origine, cette pensée résultait d’une peur qu’une nouvelle relation signifie le détachement vis-à-vis des parents, poursuit-elle. Mais la théorie contemporaine de l’attachement est venue montrer que l’enfant pouvait nouer des attaches multiples, sans que celles-ci ne s’annulent.» Lyes tempête. «Personne n’aurait deux amis sinon!» Même entre ses différentes familles d’accueil, l’ASE a fait en sorte que les liens ne soient pas conservés. Lyes n’est parvenu à renouer avec cette première assistante familiale, qu’il considérait comme sa mère, que bien plus tard. «Heureusement que ce fonctionnement se délite, car il était dramatique.»
Séverine Euillet, également responsable d'une formation de futurs travailleurs sociaux, abonde dans ce sens. «Je leur dis: sentez-vous libres de vous attacher!» Elle reconnaît cependant des pratiques qui continuent d’aller inconsciemment à l’encontre de cette nouvelle conception de l’attachement. «Il faut le temps que ce discours arrive dans les pratiques.» Celles-ci gardent l’empreinte d’une idéalisation impensée du lien biologique, de résidus d’opposition entre le lien au parent et le lien à l’assistant familial. «Il arrive que les éducateurs soient des figures d’attachement pour les enfants protégés, témoigne Séverine Euillet. Mais en milieu collectif, le turn-over est important, et comme me le disait une jeune fille placée, ce n’est pas en un an qu’on apprend à faire confiance à un éducateur.»
Cette confiance est pourtant vitale pour le développement de l’enfant placé. «Ceux qui s’en sortent le mieux sont d’abord ceux qui ont réussi à retisser du lien ailleurs, avec d’autres personnes, des “autrui significatifs”, qui peuvent se placer en appui au moment du passage à l’âge adulte», souligne Isabelle Frechon, chercheuse au laboratoire Printemps (CNRS).

Un sentiment permanent d'insécurité

Des personnes ressources, Magali Panova en a trouvé autour de ses 9 ans, dans la famille d’un ami proche d’origine laotienne, qu’elle nomme son «petit frère». L’ASE lui a permis d’y passer tous ses week-ends et ses vacances, sans le passage habituel par le juge des enfants avec préavis de deux semaines. «Parce que j’étais très invisible et que ça les arrangeait bien, le foyer me permettait cette largesse-là, à partir du moment où je disais où j’étais. Ils sont devenus ma famille. Je me sentais très en sécurité chez eux, et très intégrée, ce qui pour moi était complètement miraculeux.»
La famille d’accueil de Kévin n’a pas joué ce rôle. Après quelques passages en accueil d’urgence, il est placé chez une assistante familiale. Avec Élise, les rapports sont durs. «Elle m’a toujours fait comprendre que c’était son travail et qu’il n’y avait rien d’affectif. C’était bien pour la sécurité et la stabilité. Mais aucune effusion, aucun câlin.» Très vite, il n’attend plus d’affection de sa part. «J’avais un peu adopté son point de vue: la vie c’est dur, il faut être performant dans les études, tout était très carré. Je m’étais mis dans la tête que c’était comme ça.»
À l’adolescence, ce qu'il vit comme une «absence de liberté» devient insoutenable. «J’étais en train d’étouffer.» Le placement est rompu «d’un commun accord», et Kévin finit sa terminale en internat, avec une nouvelle famille le week-end. «On s’entendait bien, mais on n’a pas eu le temps de lier connaissance, et pour une si courte durée, je n’y voyais plus d’intérêt.»
De ses 14 ans de placement, le jeune homme n’a gardé aucun contact. «J’ai essayé d’appeler Élise une ou deux fois pour prendre des nouvelles. Ça a été très bref, elle semblait n’avoir rien à me dire de son côté. Je l’ai remerciée, lui ai dit que c’était clairement grâce à elle si je faisais des études. Elle m’a donné l’impression qu’elle s’en fichait.»
Pour Kévin, ce sont les professeurs qui ont été des appuis tout au long de son parcours. Il garde le souvenir précieux d’une «incroyable» institutrice de CM2. «Elle me portait de petites attentions, qui me faisaient extrêmement plaisir. Pour Noël, elle s’était présentée chez Élise pour m’offrir un cahier intime en cuir, un dictionnaire…» Au lycée, deux professeures d’économie et d’histoire l'épaulent «tant au niveau scolaire que personnel. Elles ne s’épanchaient pas forcément beaucoup, mais je me sentais soutenu car elles cherchaient à comprendre ma situation. Elles n’hésitaient pas à prendre une heure le vendredi soir pour discuter de l’avenir». Considéré comme pupille de la nation, il bénéficie des bourses d’État et ne connaît pas l’angoisse de reposer entièrement sur un contrat jeune majeur pour ses études. Ces professeurs le poussent à aller en classe préparatoire littéraire, qu’il intègre pour trois ans.
Un soutien salutaire, qui ne saurait pourtant remplacer les ressources affectives. Sa fratrie n’a pas survécu à l’ASE. «On n’a pas du tout eu les mêmes vies, et on ne se connaît pas.» Au début de leur placement, Kévin est séparé de sa grande sœur et de son grand frère, restés tous les deux, puis c’est l’aîné qui est hébergé en foyer tandis que Kévin et leur sœur vont en famille d’accueil. Le jeune homme en est convainc : «C’était une volonté de l’ASE de casser cette fratrie.» Il évoque des «logiques psychologiques un peu bidon», la crainte que le frère, plus âgé, n’ait une mauvaise influence. Aujourd’hui pour Kévin, ce n’est plus un manque, mais cela reste un vrai regret. «Je n’ai pas la sensation d’avoir un grand frère.»
«Je plonge par manque de stabilité, de repères. Je n’ai pas cet allant qu’ont les autres. J'ai la sensation de toujours marcher sur un fil, d'être un funambule. Mais sans filet.»
Kévin Balouin, enfant placé pendant 14 ans
À la fin de son adolescence, il voit son père replonger et, bien qu’aller le voir le «déprime», il reste en contact parce qu’il est le seul de la fratrie à accepter de le faire. Kévin connaît lui-même des phases intermittentes. «Je plonge par manque de stabilité, de repères. Je n’ai pas cet allant qu’ont les autres, pas d’attelle, de pilier. Je ne peux pas me permettre de faire des erreurs, parce que je suis vite dans la merde. J’ai la sensation de toujours marcher sur un fil, d’être un funambule, mais sans filet.» Et le vide en-dessous, il le ressent de plus en plus durement avec l’âge. «À 18 ans, j’étais dans une logique combattante, je me disais: ma vie commence.» Aujourd’hui, sa confiance s’essouffle. Depuis la fin de sa classe prépa, il «nage un peu», cherche sa voie.
À son arrivée à l'ASE, Magali Panova se décrit comme «mutique, sauvage», provenant d’une famille où l’on vivait «reclus». «Les relations sociales étaient quelque chose d’inconnu, d’inquiétant même, raconte-t-elle. Les éducateurs l’ont sûrement pris pour une marque de rejet. Mais je ne comprenais simplement pas le mécanisme qui fait que l’on va vers les gens.» Placée dans quatre structures différentes en dix ans, elle perd régulièrement ses repères et peine à en construire de nouveaux. «Quand on n’est pas un animal social, on est un animal territorial. Me sortir de ma chambre, de mon contexte, de mes trajets, m’insécurisait beaucoup.»
À l’idée de prendre seule plusieurs bus différents pour aller à l’école, c'est la panique. Face à ses réactions et à son caractère renfermé, les responsables de l’ASE décident de la déscolariser. La jeune femme identifie aujourd’hui un problème de diagnostic à l’arrivée. Sur la base d’un dossier très succinct, les éducateurs ne peuvent pas comprendre où son attitude prend ses racines. Et à raison de trente enfants pour une poignée d’éducateurs à la fois, un accompagnement plus personnalisé n’est guère envisageable. Magali ne sera rescolarisée que quelques mois avant ses 18 ans, un réel handicap pour envisager sereinement sa sortie du foyer de l’ASE.

Le délicat passage à l'âge adulte

Entre honte et résilience, l’absence de bases émotionnelles rend très délicat le passage à l’âge adulte pour les jeunes placés. «Encore maintenant, je reste une incasable, raconte Magali. Je ne suis dans aucun milieu social, je n’arriverai jamais à m’intégrer. Ça ne me fait pas souffrir, j’ai appris à trouver un équilibre comme ça. Mais je sais que pour d’autres, c’est très douloureux et pénalisant.» Elle dit puiser sa résilience dans cette tolérance au manque d’amour. «Ça a été plus facile pour moi de ne pas être un animal social. Que le regard des autres ne soit pas un frein.»
Peiner à être en relation avec des gens sur le long terme reste handicapant pour elle dans le monde du travail. Elle a fait beaucoup de tentatives, mais ce «tout et n’importe quoi» lui a permis de dépasser la honte. Elle restera «la môme de la 202» –son numéro de chambre, qui a toujours été le même de foyer en foyer, et qu’elle a retrouvé sur la porte de sa chambre de maternité. «Mais j’habite dans une baraque que j’ai construite avec mes mains, j’ai une marque de fringues, j’écris pour la presse russe, je fais des interventions en protection de l’enfance… J’ai un gros boulet, c’est sûr, mais je n’ai plus honte.»
La honte. Si présente dans les discours d’enfants de l’ASE, «c’est elle qui fait que rien ne bouge pour nous», affirme Magali. «Je sais la honte qu’on éprouve et, du coup, la facilité qu’on a à rester dans ce milieu. Parce qu’on y est jugé mais, au moins, on est entre semblables. On peut reprocher aux gens les mêmes choses que l’on nous reproche. C’est plus dur de se retrouver confronté à un monde où les gens ont des valeurs, font des études, n’ont pas envie d’abandonner. Le pire, c’est ça: la honte de ne plus croire, de croire que c’est foutu. C’est ça qui tue.»
L'été dernier, la petite sœur de Magali s’est défenestrée. Toutes deux avaient suivi la même trajectoire: la famille bancale –elles n’ont pas le même père–, le foyer, puis la rue. «J’en suis encore à me demander comment on peut sortir du même moule et le gérer de façons si différentes.» Sans domicile à 15 ans, elle en est ressortie alcoolique, toxicomane, enceinte et séropositive. «Ma sœur, c’était l’inverse de moi, elle était pot-de-colle, elle voulait du contact, cherchait à être aimée. C’est ce qui l’a perdue.»
«C'est dommage de ne pas pouvoir comprendre qu'on peut compter pour quelqu'un, qu'on n'est pas un boulet.»
Magali Panova, ancienne enfant placée
Magali s’épanche peu sur la période où elle-même était sans abri, près d’un an et demi en tout. À sa sortie du foyer, les éducateurs «ne se sont pas posé trop de questions, ils se sont juste couverts auprès du juge des enfants en me rescolarisant quelques mois avant mes 18 ans». Sans ressources, elle retourne chez sa mère, mais le nouveau mari de celle-ci ne veut pas d’elle à la maison. Elle n’ose pas faire appel à sa famille de cœur, celle de son ami d’origine laotienne, par peur de déranger. «Je n’avais pas conscience de la place que j’avais dans leur cœur. C’est un peu dommage de ne pas être en capacité de comprendre qu’on peut compter pour les gens, qu’on n’est pas forcément un boulet.»
Pour Magali, le fait qu’il y ait encore tant de jeunes de l’ASE dans la rue est symptomatique. «L’arrivée à la majorité est représentative de ce qui a été fait –ou non– en amont.» Un travail de préparation qui ne peut se faire qu’en accord avec le jeune. La protection de l’enfance voit ainsi émerger en ce moment l’exigence d’une plus grande participation de l’enfant et de l’adolescent.

Fouiller le passé, essayer d'envisager l'avenir

La manifestation la plus visible de la nécessité d’intégrer l’enfant dans les processus qui le concernent est peut-être l’usage croissant de la thérapie par la parole. L’institution cherche à lui permettre de reconstituer son histoire en déroulant son propre récit biographique, aidé par les éducateurs et psychologues. Car «ce n’est pas parce que les raisons du placement sont dites qu’elles font d’emblée sens», avance Séverine Euillet.
Kévin se souvient des tentatives du personnel de l’ASE de mettre des mots sur les circonstances de son placement. «Même si au début, les raisons de mon placement étaient très floues, je me suis vite rendu compte de ce qui n’allait pas à la maison. On me l’expliquait: oui, tu sais Kévin, ta famille est malade, il faut qu’elle prenne soin d’elle, singe-t-il. Mais ils ne m’apprenaient rien. Je savais.»
Autre obstacle à la reconstitution d’une histoire personnelle: le changement fréquent des professionnels qui accompagnent ce récit, selon la sociologue Nadège Séverac. «En France, tout le monde croit que l’évocation du passé est thérapeutique. Mais à l’ASE, ses modalités ne permettent pas toujours de prendre en charge un traumatisme. Elle est donc parfois vécue comme une perte de temps par l’enfant ou le jeune.»
Le temps, Magali l’a pourtant pris pour tenter de mettre du sens sur son passé. Elle a ressenti ce besoin biographique quand les bribes de souvenir qui lui revenaient parfois se sont faites plus pressantes, «dérangeantes», lorsqu’elle-même est devenue mère. «Quand j’ai eu mon fils, j’ai commencé à avoir des flashs de plus en plus fréquents: ma mère dans mon dos qui ouvre une porte, me pousse à l’intérieur, les gens souriants, ma mère qui part et moi qui ne comprends pas…»
Elle s’est alors mise à chercher des réponses. D’abord du côté de sa grand-mère, auprès de laquelle elle s’est rendu compte que sa mère avait caché les détails de son placement
à toute la famille. Puis auprès de sa mère. «Je voulais savoir si elle comprenait ce qu’elle m’avait fait.» Lors d’une conversation qu’elle veut sereine mais claire, elle s’aperçoit que sa mère «n’a aucune conscience de ça, ou ne veut pas en avoir conscience».
Pour tenter de résoudre le problème, Magali se met en quête des traces administratives de son placement. «Et là, j’ai pris une claque. On ne m’avait jamais dit qu’il y avait des dossiers, ni, surtout, qu’il fallait en réclamer certains dans un délai de dix ans… Plus rien du côté des tribunaux, donc.»

Ne restait que celui de l’ASE, stocké aux archives départementales. Elle y découvre que ce dossier ne porte aucune trace de sa voix. «Il y avait des éléments sur ce que ma mère connaissait de la situation, il y avait le point de vue des professionnels… Je n’étais nulle part.» Rien non plus sur les raisons de son placement. Elle rit jaune. «Je ne sais même pas si c’est ma mère qui a voulu que j’aille en famille d’accueil ou si on m’a retirée de chez elle. Ma mère ayant caché ça à toute ma famille, et les dossiers étant si incomplets, personne ne pourra jamais me donner cette information. Quand mon fils me questionne, je lui dis: “J’aimerais bien te répondre, mais…”»
Kévin, lui, n’a pas encore consulté le fameux dossier, mais le voudrait bien. «Pour y trouver tout ce qui a été dit sur moi.» Il y a quelques années, sa sœur a lu le sien, et «a mis six mois à s’en remettre. J’ai l’impression qu’il leur faut inventer des problèmes aux gamins, en fait. Tes moindres faits et gestes sont constamment analysés, avec en prime une surinterprétation vraiment nocive. Tout est lu selon la grille de lecture du placement, tout y est toujours ramené. Or le placement d’un enfant n’explique pas l’ensemble de ses comportements.»

En 2015, Magali a pris connaissance dans un article de la volonté de Laurence Rossignol, alors secrétaire d’État chargée de la Famille, des Personnes âgées, de l’Autonomie et de l’Enfance, de changer le cadre légal de l’ASE. «Son discours me semblait très pertinent, mais je craignais que les retours de terrain ne viennent que de l’ASE et que seuls soient sélectionnés les meilleurs exemples.»
Dans l’impulsion du moment, elle écrit à la responsable politique. «Je ne pensais pas être lue. Étant à peu près sûre que c’était une lettre perdue, je me suis un peu lâchée, j’ai bien tartiné.» Quelques mois plus tard, alors qu’elle avait à peu près oublié cette histoire, Magali Panova a reçu un coup de fil du cabinet de Laurence Rossignol, devenue ministre, et a été invitée à Paris pour un entretien. Bien qu’elle ne se sente pas «militante», elle continue aujourd’hui de raconter son histoire dans le cadre de formations pour les professionnels de la protection de l’enfance.

Afin de faire entendre leurs voix à tous, Magali a aussi créé une page sur Facebook, nommée Les Mômes de l’ASE contre-attaquent. «On parle beaucoup de ceux qui entrent à l’ASE, de ceux qui y sont, moins de ceux qui en sortent. Mais depuis des décennies, ça commence à faire une masse non négligeable.» Elle espère que la parole de cette «masse invisible» sera de plus en plus «difficile à nier» pour les pouvoirs publics. «Je voulais dire à tous les mômes de l’ASE que leur histoire n’est pas seulement un fardeau à porter. C’est une analyse à livrer.»