dimanche 27 octobre 2019

9 octobre 2019

Protection de l’enfance. Maltraitance politique


M. avait 15 ans. Il venait d’Algérie. Le 28 septembre, il a sauté du toit de son foyer à Montfermeil. Ce jeune mineur isolé étranger était en grande souffrance psychiatrique ; un suivi hospitalier était prévu mais l’attestation CMU était demandée pour entamer les soins. La veille de son suicide, la cellule d’accompagnement des mineurs non accompagnés (CAMNA) de Bobigny avait appelé le foyer pour l’informer de l’arrivée de cette fameuse attestation...
La nouvelle de la mort du jeune garçon a sidéré une équipe déjà très mal en point. Elle a d’abord pensé exercer son droit de retrait. « Mais on nous a dit qu’il n’y avait pas de danger grave et imminent » explique une des éducatrices spécialisées (toutes ont souhaité gardé l’anonymat). « Or, à nos yeux, lorsque nous voyons arriver des jeunes qui sont dans une détresse totale, qui nous disent qu’ils pensent passer à l’acte, je pense qu’il y a danger grave et imminent ». Le 2 octobre, l’équipe entière a saisi la médecine du travail qui a ordonné un arrêt en prévention de risque psycho-sociaux. La CAMNA, soutenue par une large intersyndicale, a ensuite déposé un préavis de grève qu’elle entame aujourd’hui jusqu’à la fin de la semaine.
Maltraitant
Cette cellule d’accompagnement s’est ouverte en septembre 2018 avec une équipe de 10 travailleurs sociaux pour une capacité d’accueil de 300 mineurs pris en charge par l’Aide sociale à l’enfance. « Dès le mois de décembre, nous avions 500 jeunes à charge pour 8 travailleurs sociaux » témoigne une éducatrice. Puis, au mois de mars, après une série d’arrêts maladies et de départs, quatre travailleurs sociaux restaient en poste pour 800 mineurs… Face à cette situation intenable, la CAMNA engage sa première grève du 23 au 26 avril 2019. Et semble être entendu : ils reçoivent le renfort de postes éducatifs, un poste d’infirmière et un poste de psychologue, au total 12 postes fixes et deux postes de remplacement.
Pourtant, six mois plus tard, la coupe déborde : « Aujourd’hui, nous « suivons » 1150 jeunes et sommes toujours 10 travailleurs sociaux, les autres postes restent vacants car le département a beaucoup de mal à recruter… » explique une éducatrice. Chacune « s’occupe » de 80 à plus de 100 enfants… insupportable. « Dans ces conditions, impossible de faire de la protection de l’enfance. Nous devenons même maltraitant avec ces jeunes. Ils sont dans des hôtels insalubres, remplis de punaises de lit, nous sommes en retard d’une semaine à un mois dans le versement des allocations (300 euros par mois) pour qu’ils puissent manger, cela entraîne de l’agressivité de leur part, mais c’est normal ! » s’emporte une éducatrice.
Par cette nouvelle grève, la CAMNA interpelle l’Etat, les élus, le département, pour trouver des réponses à cette situation « explosive ».

à mediter

17 octobre 2019

Haute-Garonne - La solidarité craque



Du jamais vu. En Haute-Garonne, depuis le 11 octobre, 21 des 23 maisons des solidarités (MDS) et les services du siège de l’action sociale départementale sont totalement ou partiellement fermés : un droit d’alerte et de retrait a été déposé le 10 au soir par une intersyndicale SUD, CGT, FO.
La mobilisation a débuté le 26 septembre au service de l’aide sociale à l’enfance (ASE) de la MDS de Frouzins. Le trop plein s’est exprimé après un accès de violence d’une jeune fille contre son éducateur. Un passage à l’acte que l’équipe lit au travers de la mauvaise prise en charge de l’adolescente en besoin de soins spécifiques : impossible de trouver une place dans une structure adaptée. « A charge pour les référents ASE de trouver des solutions au jour le jour », explique Marina Lergenmuller, éducatrice à l’ASE et représentante du personnel syndiquée à Sud CT 31. Insupportable pour l’équipe qui décide d’exercer son droit de retrait.
Une situation symptomatique pour les professionnels de la dégradation des conditions d’accueil et de travail dans les structures de solidarités du département. Cette MDS est rapidement rejointe par la MDS de Cazères. Là encore, il ne reste que quatre référents ASE en poste quand ils sont officiellement onze pour répondre aux missions. Intenable. « De nombreuses mesures de protection de l’enfance ne sont pas exercées, les instances pluridisciplinaires ne peuvent pas se tenir et nombre de procédures ne sont pas respectées », avance le syndicat SUD.
Historique
Les jours suivants, d’autres MDS rejoignent le mouvement, une assemblée générale des services est organisée le 10 octobre. Elle réunit plus de 500 personnes, « fait historique » selon l’intersyndicale qui décide de déposer un droit d’alerte et de retrait pour l’ensemble des maisons des solidarités et des équipes du siège départemental. Insomnies, angoisses, perte de confiance, tension, stress… lors de cette assemblée, les professionnels déversent leur mal-être. Une enquête CHSCT s’engage et l’ensemble des services demandent à être entendus : il faudra deux jours pour que chacun puisse s’exprimer. Le 16 octobre, le département annonce un plan d’urgence devant une salle remplie de plusieurs centaines de professionnels de l’action sociale.
Sebastien Vincini, conseiller départemental PS, chargé du personnel au département de Haute-Garonne avance plusieurs mesures, notamment des créations de poste : le renforcement du pool de remplaçants déjà annoncé de 15 référents ASE et 5 AS de polyvalence par 10 puériculteurs et 5 infirmier diplômés ; la création de 16 postes de référents ASE pour limiter à 25 en moyenne le nombre de mesures ASE par agent ; la création de 8 postes de psychologues à temps plein ; mise en place d’espaces de réflexion et d’élaboration sur les pratiques ; allongement de tous les contrats à durée déterminée à un an ; accord avec les instituts de formation pour l’octroi de bourses d’études en échange d’un engagement auprès de la collectivité. Le département promet par ailleurs l’ouverture d’un service d’accueil d’urgence, de 40 places en MECS et de place pour les jeunes accompagnés en logement diffus.
Oubliés
Si l’intention est là, les professionnels maintiennent la mobilisation. L’inquiétude face à une vaste réorganisation des services dans le cadre d’un projet de territorialisation demeure importante. Et « il reste beaucoup d’oubliés », remarque Vincent Poliani, de SUD CT 31. « La polyvalence subit les disfonctionnements de la protection de l’enfance, explique sa collègue Marina Lergenmuller. Les AS croulent sous les informations préoccupantes à traiter, parfois lorsqu’elles estiment qu’il faudrait une aide éducative à domicile, elles attendent avant de la transmettre à leurs collègues de l’ASE parce qu’elles savent que la mesure ne sera pas exercée concrètement puisque l’ASE est sous l’eau… Elles gardent tant qu’elles peuvent la situation et elles craquent ». En PMI, l’absence de médecins empêche le respect de toutes ses missions. Le département compte cinq conseillères en économie sociale familiale. « Elles se partagent les 23 MDS, courent partout, n’ont pas de bureau attitré, pas d’interlocuteurs… », témoigne Martine Urzay, assistante sociale syndiquée SUD CT 31. Le département promet de revoir leur périmètre d’intervention. Pas suffisant.
Désormais, les professionnels attendent le résultat de l’enquête CHSCT dans les prochains jours. Tous conviennent qu’il y aura un avant et un après cette mobilisation.