lundi 21 novembre 2016

les risques de notre métier




Les risques du métier.

Quels risques?
Le risque de ne plus s’y retrouver avec son mari?
Le risque de perdre de vue ses propres enfants à force de s’occuper des accueillis?
D’avoir son logis mis à mal, ses affaires personnelles dégradées ou dérobées?
De ne plus pouvoir profiter de ses loisirs favoris, de la compagnie de ses amis, des visites de la famille, de ne plus être invité nulle part?
Le risque de perdre sa bonne réputation dans les magasins et auprès des voisins?
L’investissement financier dans une grosse voiture, des chambres supplémentaires, un équipement ménager de petite collectivité au risque de se retrouver sans ressources parce que sans enfant à accueillir ?
Le risque de perdre son image de “bonne” assistante familiale en cas d’allégations ou de fausses manœuvres?
Le risque de perdre son travail à la suite d’un tel épisode?
Le risque de perdre ses illusions, son courage, son entrain, sa joie de vivre, ses valeurs?

Et pourtant, nombreuses sont encore les familles d’accueil qui ont de l’ardeur à l’ouvrage et qui sont prêtes à renouveler les expériences et le partage. Comment œuvrer ensemble dans les services de l’aide sociale à l’enfance pour potentialiser les énergies et éviter les écueils énumérés ci-dessus?



LE TRAVAIL D’ASSISTANT FAMILIAL

Sigmund Freud a dit qu’il y avait trois métiers impossibles : éduquer, gouverner, psychanalyser1. On pourrait en ajouter un quatrième, celui d’assistant familial qui inclut d’ailleurs les trois autres à lui tout seul ! En effet, l’assistant familial ouvre l’espace de sa vie privée comme milieu professionnel, s’offre à être son propre outil de travail, dispose de sa propre famille comme équipe adjointe. Le principe de l’accueil consiste en ce que cet espace soit pénétré par un enfant venu d’ailleurs, séparé des siens sur décision officielle. Cet enfant est escorté, dans le meilleur des cas, par toute une équipe. Il y a là un rapport entre le dehors et le dedans qui pourrait bien être une des spécificités de ce travail. Accueillir un enfant ne s’arrête pas au seuil de sa maison. L’assistant familial transporte en quelque sorte son travail dans tout ce qui fait son existence : vie familiale, amis, évènements familiaux, sorties, parfois même vacances. L’enfant accueilli doit vivre dans une famille mais il n’est pas membre de cette famille-là. Il vient d’ailleurs et en porte la marque. Comment lui faire une place sans l’exclure de ce qui fait le quotidien de la famille mais sans l’assimiler à tout prix en déniant la part de l’étranger en lui?

DONNÉES ACTUELLES

Le métier est-il en train d’évoluer? C’est une banalité de dire que le rôle de chacun, homme, femme, père, mère, est en pleine mutation, sans parler de la place de l’enfant. Le statut des assistants familiaux a connu le tournant de la professionnalisation avec les lois de 1977, 1992, 2005 et les décrets d’application de 2006. Leur participation au projet concernant l’enfant s’est accrue, leur point de vue étant de plus en plus reconnu et sollicité. De même, les services de l’aide sociale à l’enfance ont eu à réfléchir sur leurs méthodes de travail en équipe. D’autre part, la donne en matière de protection de l’enfance a connu elle aussi une évolution certaine ces dernières années. En effet, actuellement, face au juge des enfants, les parents peuvent venir accompagnés d’un avocat qui les représente. Ils peuvent même trouver à redire sur la façon dont on s’occupe de leurs enfants, tels des clients insatisfaits d’une prestation de service. La judiciarisation de la protection de l’enfance affecte les services de l’aide sociale à l’enfance, et l’accusation de maltraitance peut basculer en direction des professionnels au sein même des équipes, plus particulièrement en direction des assistants familiaux.
Il ne s’agit pas ici de nier la possibilité de la maltraitance chez les familles d’accueil, mais de souligner la nécessité de savoir bien situer les questions de suspicion et d’allégation pour faire la part des projections de chacun et des faits avérés. La famille d’accueil est particulièrement exposée à ce qui s’apparente, dans certains cas, à des identifications projectives, miroirs de la maltraitance dans la famille d’origine de l’enfant. Il importe donc que la famille d’accueil puisse trouver auprès du référent, et au sein de l’équipe, la fonction de pare-excitation qui est nécessaire pour protéger l’accueil en tant que tel, donc l’enfant. À l’heure du signalement au procureur de la République, comment garder encore la possibilité de réfléchir et le temps pour repérer la part éventuelle du fantasme dans ces circulations d’accusations? Peut-être certains enfants ont-ils été trop vite changés de famille d’accueil pour calmer le jeu, comme ce fut le cas pour Isabelle ! À trop craindre le texte administratif et judiciaire, ne court-on pas le risque d’occasionner des dégâts très importants pour le sentiment de continuité psychique de l’enfant et l’estime de soi de la famille d’accueil?

L’INVENTIVITÉ

Comment accueillir un enfant au plein sens du mot “accueil”? Pourrait-on évoquer de la part de l’assistant familial des capacités d’ajustement évoquant la préoccupation maternelle primaire? Madame C., assistante familiale se rend tous les jours à l’unité de soins mère-enfant, passer quelques instants avec le petit Jérôme dont la mère, grande psychotique, a fini par accepter le principe du placement. Dans un deuxième temps, Mme C. amène Jérôme chez elle, de plus en plus fréquemment, et pour des durées de plus en plus longues. Jérôme est un bébé d’un an, peu expressif, très replié sur lui même. Il semble indifférent à la présence de l’autre, se détourne même de façon active en réponse à toute sollicitation. Un jour, lors d’un trajet habituel en voiture, Mme C. surprend dans le rétroviseur le regard intense de Jérôme fixé sur elle. Elle s’aperçoit que par le biais du miroir, le rétroviseur de la voiture, l’enfant l’observe, la regarde. Elle peut alors, se sentant reconnue par Jérôme, s’adresser à lui d’une toute autre manière. Ce jeu de regards croisés dans le miroir, accompagné de paroles de la part de Mme C. permet un accueil à la présence de l’autre. Il se poursuivra ainsi dorénavant au cours des trajets suivants. C’est le début de l’altérité qui s’est opéré là.

Comment accueillir dans l’espace familial et tenir dans la durée en préservant la place de chacun et ce d’autant que les enfants de l’assistant familial sont encore présents au logis? Voyons comment Mme B. envisage la question : “Il est important qu’il y ait des espaces où les enfants accueillis n’ont pas le droit d’aller : la chambre des parents, les chambres des enfants de la famille. Il faut créer des compartiments et les enfants accueillis doivent savoir qu’ils ne peuvent pas naviguer dans tous les compartiments. Par contre, quand un enfant arrive dans la famille, si on lui demande de s’adapter à notre style de vie, on ne peut pas exiger tout de suite de lui toutes les contraintes imposées à nos propres enfants. Le fait que l’enfant accueilli doive respecter certains espaces privatifs au sein de l’habitat familial peut rassurer les enfants de la famille d’accueil sur le fait que tout ne sera pas dû à l’intrus qui débarque là. Cela permet aussi de mettre une limite sécurisante à la toute-puissance de l’enfant accueilli.” Voici comment cette assistante familiale spatialise, sur un plan symbolique, la notion de différence dans les appartenances. À désigner les lieux pour souligner les places, on permet de limiter l’angoisse d’invasion pour les uns et d’engloutissement pour les autres. Le jeu possible à propos des espaces permet de métaphoriser la rivalité et de distinguer lien familial et lien d’accueil. Bien entendu, le respect des lieux de chacun ne peut s’appliquer que si l’enfant accueilli se voit lui-même attribuer son espace propre

Comment accueillir au sein du service la constellation famille d’accueil/enfant déplacé? Le métier d’assistant familial est un métier artisanal : chaque situation nécessite des approches originales. Pour lutter contre le caractère mortifère de la répétition, il faut trouver de quoi renouveler son énergie, entretenir ses capacités à penser et maintenir vivant le lien à l’enfant. C’est l’écoute bienveillante des autres membres de l’équipe qui fait que l’assistant familial se sent reconnu dans ses doutes et ses trouvailles.

CONCLUSION

Si nous reprenons la définition du mot “risque” dans le dictionnaire, nous y trouvons aussi bien la notion de danger que de combat. Risquer, c’est oser comme le dit l’expression “prendre un risque”. Au titre de ce risque à prendre qu’est l’accueil familial, nous dirons en conclusion qu’un assistant familial dont le travail tient parfois du sauvetage psychique ne peut se montrer créatif dans la mission qui lui est confiée que dans une responsabilité partagée

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