lundi 18 septembre 2017

La place des assistants familiaux dans le placement familial

Jacques Jouves, ex-directeur Enfance famille dans plusieurs départements, 24, impasse Gambetta, 81000 Albi.




  • À côté du foisonnement de travaux sur le placement institutionnel, le placement familial fait figure de parent pauvre. Heureusement, quelques éminents spécialistes se sont attachés à son étude et leurs ouvrages font référence. C’est avec leurs apports et les nombreux échanges au cours de conférences et de colloques que mon expérience s’est enrichie, une expérience de plus de trente ans à l’Aide sociale à l’enfance auprès des enfants, de leur famille et des lieux d’accueil de toutes sortes. L’intérêt que je porte au placement familial depuis le début de ma carrière professionnelle [1][1] Éducateur spécialisé à l’Aide sociale à l’enfance,..., et qui ne se dément pas depuis ma retraite, m’a permis de suivre le parcours d’enfants, de m’interroger sur ses divers aspects, de rencontrer un grand nombre de services et de praticiens, ainsi que les organisations professionnelles et syndicales des assistants familiaux. C’est depuis cette place que je parlerai. Même si la distinction est difficile et peu souhaitable à faire entre les champs du sanitaire, du médico-social et du social, les modes d’administration et certains éléments du statut des assistants familiaux (employeur de droit public ou de droit privé) diffèrent néanmoins ; les pratiques de collaboration peuvent aussi varier sensiblement d’un domaine à l’autre. Pour autant, l’évolution générale de cette profession et plus encore celle à venir tendent à estomper ces différences, ce qui donnera, je l’espère, à mon discours une valeur dépassant le seul cadre du placement familial de l’Aide sociale à l’enfance.

Moïse, Œdipe et les autres

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Au plus loin que l’on remonte dans l’histoire de l’humanité, on trouve des enfants abandonnés recueillis par des étrangers pour les élever, les plus cités étant Moïse et Œdipe. À côté de ces célébrités, c’est par millions que des enfants, depuis la nuit des temps, ont été l’objet de considérations d’adultes, que ce soit par commisération, par intérêt immédiat ou bien dans l’espoir d’un salut dans l’au-delà.
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On a l’habitude, pour introduire les propos sur le placement familial et les nourrices, d’évoquer l’histoire, tant il est vrai que sa connaissance a une importance capitale pour lire les conceptions que la société occidentale se fait de l’enfant, de sa valeur. Ces récits égrènent les grandes dates qui organisent des périodes où la pensée modifie les approches.
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Après les temps d’élimination de l’enfant non accepté, les civilisations anciennes ont admis la nécessité d’assurer la survie des enfants orphelins légitimes, puis des enfants exposés, enfants abandonnés. Du Moyen Âge à la chute de l’Ancien Régime, l’Église sera la grande organisatrice du recueil et de l’enfermement des enfants. La figure emblématique en est saint Vincent de Paul (1580-1660). Tandis que les congrégations se chargent de recueillir et de placer les enfants, le pouvoir temporel tente, par de nombreuses ordonnances, de contrôler les multiples trafics et de limiter la cupidité des nourrices.
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La Révolution française constitue un tournant en considérant l’enfant comme un bien de la nation qu’elle a le devoir de protéger et d’éduquer. C’est l’origine de l’assistance publique. Ce n’est que dans le dernier quart du xixe siècle qu’apparaîtront les mesures modernes de protection des enfants et que, corollairement, s’exercera la surveillance des nourrices contre la surexploitation, les maltraitances et abus de toutes sortes [2][2] Loi Roussel, 23 décembre 1874, relative à la surveillance....
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Un siècle après apparaît le premier statut légiféré des assistantes maternelles. Ce sera notre point de départ pour examiner comment la création d’une nouvelle profession constitue un acquis fondamental pour la protection de l’enfance.

Fin de la famille modèle

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Au xxe siècle, la population des enfants accueillis à l’ase s’est modifiée au fil des évolutions sociétales, avec une accélération au cours des Trente Glorieuses et après. Depuis les lois de 1889 et 1898, les pupilles et les enfants à « éloigner » du milieu familial pour des raisons de santé, d’hygiène ou de violence, étaient placés à la campagne, loin des exemples pernicieux de leur famille et du milieu urbain criminogène. La nourrice et sa famille étaient alors recherchées pour servir de modèle opposé à celui des parents. Cette situation ne changera guère jusqu’au dernier tiers du xxe siècle, même si les appellations varient et que des catégories se créent pour distinguer les « petits immatriculés ».
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Les années 1970, imprégnées de fortes interrogations sur le sens du travail social et sur la « normalisation des familles déviantes », vont contraindre les services sociaux à aborder différemment la protection de l’enfant. Ces interrogations et les réponses qu’on invente conduisent des modifications, dont la lame de fond sera le bouleversement des pratiques des nourrices. La gardienne n’est plus seulement là pour élever l’enfant, en faire un bon apprenti ou un bon paysan, suivant l’exemple qu’on lui donne quotidiennement, mais pour l’éduquer et le « rendre à sa famille dans les meilleures conditions et dans les meilleurs délais ». Sa nouvelle mission est éducative et implicitement soignante. L’objectif n’est plus la séparation d’avec les parents mais la « réparation » du lien familial. Une des conséquences sera le rapprochement des placements d’enfants de l’habitat des parents. La fin des placements au long cours conduit les travailleurs sociaux à changer d’attitude : à la visite-contrôle annuelle, il faudra désormais substituer un travail de conseil.
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C’est dans ce contexte qu’apparaît le nouveau statut, ou plus précisément la première formalisation législative du statut. L’époque des nourrices ou gardiennes est révolue, elles sont désormais des assistantes maternelles.

1977?: un premier statut professionnel

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Ce texte très attendu soulèvera des réactions diverses. Sur le versant positif, Bonetti, Fraisse et de Gaulejac [3][3] Michel Bonetti, Jean Fraisse, Vincent de Gaulejac,... n’hésitent pas à y voir l’acte de naissance d’une nouvelle profession du travail social. En effet, la loi du 17 mai 1977 fait entrer la profession d’assistante maternelle dans le Code du travail : une base de rémunération référencée sur le smic, l’affiliation à la Sécurité sociale, les congés payés, la formation, les indemnités d’absence, etc. constituent le socle des droits de la nouvelle salariée. De ce fait, l’assistante maternelle est soumise à l’impôt sur le revenu. D’autre part, l’assistante maternelle doit trouver son inscription dans l’équipe de travail de la personne morale qui l’emploie. Si la notion de famille d’accueil n’est pas encore à l’ordre du jour, la place du mari apparaît en cosignataire du contrat de placement, distinct du contrat de travail. Les modalités de l’agrément sont précisées par décret.
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Ce statut traduit l’évolution de la place des femmes dans notre société, il concilie des versants jusque-là contradictoires du désir d’un grand nombre d’entre elles : être femme au foyer et femme au travail. Il s’inscrit dans le nouveau regard porté sur l’éducation des enfants. S’occuper d’enfants n’est plus un phénomène naturel mu par une sorte d’instinct maternel ; éduquer un enfant, c’est le faire grandir, lui offrir les conditions d’un développement harmonieux dans un environnement, à partir de réactions et pratiques analysables et de savoirs psychologique, pédagogique, thérapeutique.
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Pour autant, cet ensemble de nouveaux droits va rencontrer de fortes résistances de part et d’autre.
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Du côté des nouvelles promues : certaines parmi les plus anciennes craignent l’intrusion des services, ne comprennent pas le pourquoi des nouvelles exigences. D’autres, moins méfiantes, hésitent à se projeter dans de nouveaux savoir-faire, adoptent une position attentiste, tandis que, souvent plus jeune, une troisième catégorie revendiquera la mise en application des textes, parfois avec une certaine impatience qui donnera naissance aux syndicats et associations.
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Du côté des travailleurs sociaux et des psychologues, qui constituent les équipes chargées à la fois de l’agrément et du suivi, c’est aussi la méfiance qui est majoritairement de règle : s’ils reconnaissent volontiers la nécessité d’un salaire décent et de droits qui s’y rattachent, ils ne comprennent pas l’accès pourtant timide aux congés payés, ils restent pour le moins circonspects sur la formation et la place qu’ils doivent faire aux nouvelles venues dans les équipes. Cette position perdurera longtemps puisque le législateur devra y revenir à deux reprises et qu’aujourd’hui encore cette place est plutôt un strapontin qu’un fauteuil à l’orchestre. Beaucoup considèrent à mots couverts que cette arrivée, comme celles d’autres professions, travailleuse familiale [4][4] Les travailleuses familiales sont devenues techniciennes... par exemple, va tirer vers le bas leur propre statut, dévaloriser leur position.
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Du côté de l’administration, c’est la dimension de contrôle, gravée dans sa tradition, qui va prendre le pas. La prise en compte de ces nouveaux droits entraîne une réglementation renforcée et corollairement la création de cellules administratives spécialisées dans la gestion des carrières des assistantes maternelles. Le coût de ces nouvelles mesures n’est pas la moindre préoccupation de l’administration.
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Du côté des familles des enfants placés, les réactions sont rares compte tenu de leur mise à l’écart d’autant plus systématique que la nourrice, souvent éloignée de leur résidence, leur est totalement inconnue et est simplement vécue comme une rivale qui cache l’enfant qu’on leur a rapté. Ce n’est qu’avec la loi de 1984 [5][5] Loi du 6 juin 1984 relative aux droits des familles... que leur perception pourra se modifier très lentement.
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Finalement, cette « avancée sociale » provoquera des modifications réelles dans le droit formel mais ne changera que très progressivement les pratiques des nourrices en raison des réticences et résistances qui ont empêché les praticiens de saisir l’enjeu fondamental de la loi : l’évolution des modes de prise en charge de l’enfant par la création d’un nouveau métier du travail social.
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Trois ans après la publication de la loi, J.-L. Bianco et P. Lamy [6][6] J.-L. Bianco et J.-P. Lamy, « L’Aide à l’enfance demain.... notent dans leur rapport, dans le chapitre intitulé « l’importance des absents », que :
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« – L’information des familles d’accueil sur le passé des enfants, sur l’état de leur cellule familiale d’origine et sur son évolution n’est pas suffisante […]
– les relations avec les travailleurs sociaux, l’administration ou la justice sont trop hiérarchiques […] Les assistantes maternelles en général semblent mal comprendre le pourquoi et le comment du placement des enfants : elles ont le sentiment d’être jugées sur des critères qu’elles perçoivent mal. »

1992?: le statut confirme la professionnalité et renforce les droits

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La loi du 12 juillet 1992 et ses décrets apportent des modifications d’importance au statut professionnel de 1977 : la distinction entre l’assistante maternelle qui accueille des enfants à la journée et celle qui reçoit les enfants à titre permanent est précisée dans l’agrément. La notion de famille d’accueil apparaît pour celle-ci : « L’ensemble des personnes résidant au domicile de l’assistante maternelle agréée pour l’accueil de mineurs à titre permanent constitue une famille d’accueil [7][7] Art.?123-3 Code de la famille et de l’Aide sociale.... »
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L’agrément, considéré comme une épée de Damoclès, n’est plus remis en question tous les ans, sa validité est portée à cinq ans, le nombre d’enfants accueillis est limité à trois. Les rémunérations sont sensiblement revalorisées et la?distinction salaire/indemnité d’entretien est établie. La formation de 120 heures sur trois ans devient obligatoire : c’est une formation d’adaptation à l’emploi. Les services des conseils généraux la réaliseront eux-mêmes ou feront appel avec diligence à des organismes spécialisés. En revanche, la préparation à l’accueil, qui doit être effectuée préalablement à l’arrivée de l’enfant, n’est que rarement mise en place.
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Une commission [8][8] Commission consultative paritaire départementale des... chargée d’examiner les situations litigieuses au regard de l’agrément est créée, elle entend tous les ans un rapport sur l’état des agréments et doit être consultée sur les actions de formation. Cette mesure sera rapidement mise en place par les départements, son fonctionnement est considéré par les partenaires comme satisfaisant.
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L’intégration dans les équipes de travail est une nouvelle fois soulignée :?«?[…] sauf situation d’urgence mettant en cause la sécurité de l’enfant, l’assistante maternelle est consultée préalablement sur toute décision prise par la personne morale qui l’emploie concernant le mineur qu’elle accueille à titre permanent ; elle participe à l’évaluation de ce mineur [9][9] Art. 123-3, dernier alinéa du même code. » L’accompagnement professionnel doit se distinguer de la formation.
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Cette loi installe l’assistante maternelle dans l’équipe, d’un double point de vue : d’un côté, elle est acteur permanent auprès de l’enfant, elle est consultée et participe à l’évaluation ; de l’autre, elle est membre de l’institution, l’employeur lui doit un accompagnement professionnel au même titre que pour les autres agents : «?Le département assure, par une équipe de professionnels qualifiés dans les domaines social, éducatif, psychologique et médical, l’accompagnement professionnel des assistants familiaux qu’il emploie et l’évaluation des situations d’accueil [10][10] Art. L422-5 cfas.. »
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Si le regard sur les quinze ans passés permet de noter de réelles évolutions, force est de constater que les réticences et résistances des uns et des autres que nous avons signalées au sujet de la première loi se poursuivent avec, à peu de choses près, les mêmes arguments. Il est vrai qu’à la lourdeur institutionnelle d’un dispositif complexe s’ajoute la lenteur des évolutions sociodémographiques et professionnelles : les anciennes assistantes maternelles et assistantes sociales ne se départissent pas rapidement de leurs vieilles habitudes… La mutation professionnelle s’opère lentement et ce d’autant plus que les principales intéressées tardent à faire entendre leurs voix. Associations et syndicats sont créés dans une certaine confusion d’objectifs dénotant un manque d’expérience. Ainsi la focalisation des uns et des autres sur les questions salariales entravera pour un temps la réflexion endogène sur le métier.
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Malgré leur rareté, les productions théoriques et techniques sont d’une richesse capitale ; elles émanent de psychologues, chercheurs, travailleurs sociaux, pédopsychiatres. La grande figure de proue dans ce domaine est l’œuvre de Myriam David. On trouve peu d’écrits d’assistants familiaux, à l’exception notoire de ceux de Jean Cartry [11][11] Jeannine et Jean Cartry sont éducateurs spécialisés,.... Une revue, l’as mat, porte la voix des intéressées et le grape[12][12] Le grape, Groupe de recherche et d’action pour l’enfance... nourrit une importante réflexion traduite dans ses formations et revues.

2005 : un vrai métier, l’assistant familial travailleur social

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L’enthousiasme des trois auteurs précités décrivant la loi de 1977 comme l’instauration d’un nouveau métier du travail social doit être tempéré par une réalité moins glorieuse. Vingt-huit ans après la création du premier statut, des assistants maternels sont encore à la porte des réunions pluridisciplinaires ; les placements et déplacements d’enfants se font trop souvent sans concertation. Les travailleurs sociaux sont considérés comme des supérieurs hiérarchiques ayant le pouvoir d’accorder un nouveau placement, voire de remettre en cause l’agrément. Les divisions par domaines de compétences entre social, médico-social et thérapeutique, héritées de la décentralisation, ne facilitent pas le travail en commun dans l’approche globale de l’enfant, de sa famille et de leurs liens. Les familles d’accueil, comme les enfants, sont écartelées ou renvoyées d’une institution à une autre.
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Ce constat mérite d’être contrasté, les figures de la collaboration sont plus diverses et mouvantes. Moins liées à une politique départementale qu’à des interprétations locales, les modifications se perçoivent cependant. Du point de vue du droit salarial, l’application est positive. Les salaires ont progressé au-delà du minimum légal dans une majorité de départements. Les indemnités ont été revalorisées. Les ccpd fonctionnent. Les agréments répondent aux critères. Les formations sont organisées à l’exception de la préparation à l’accueil.
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Mais l’organisation de l’accompagnement professionnel est empirique lorsqu’il existe. Les relations avec les travailleurs sociaux restent soumises à leurs représentations. La présence à l’intégralité des réunions pluridisciplinaires demeure problématique, l’assistante maternelle est sommée de rendre des comptes plutôt qu’invitée à rendre compte. C’est afin de remédier à cet état de fait que le législateur s’est à nouveau penché sur le statut. L’exposé des motifs du projet de loi affiche comme visée principale : la professionnalisation. La loi du 28 juin 2005 sépare les deux métiers, assistant maternel et assistant familial [13][13] Article L421-2 casf : « L’assistant familial est la.... On regrettera que le législateur ne les ait pas distingués dans la codification, qui garde encore trop de parties communes.
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Des droits salariaux, on retiendra : la pérennité de l’agrément (sous condition) ; la nouvelle composition du salaire ; le droit effectif aux congés ; la facilitation de l’exercice du droit syndical ; la définition des formes d’accueil (continu/intermittent).
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Dans sa dimension de construction d’une profession, la loi rappelle en termes plus explicites et incisifs des obligations dont les principes sont posés depuis la loi de 1992 : des précisions importantes sur le contrat d’accueil ; les autres membres de la famille d’accueil reçoivent une reconnaissance de capacité mais toujours sans formation ; l’accompagnement professionnel ; l’appartenance à l’équipe de suivi de l’enfant. Elle crée le diplôme d’État d’assistant familial, la possibilité d’accès à une fonction de conseil ou d’aide.

Les fondements du métier

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La loi en son article 4 [14][14] Codifié art. L221-2 du casf. prévoit : « Un projet de service de l’Aide sociale à l’enfance est élaboré dans chaque département. Il précise notamment les possibilités d’accueil d’urgence, les modalités de recrutement par le département des assistants familiaux ainsi que l’organisation et le fonctionnement des équipes travaillant avec les assistants familiaux, qui en sont membres à part entière. » Dans l’impossibilité d’imposer aux départements un mode d’organisation, en vertu du principe de libre administration des collectivités territoriales, le législateur, qui souhaitait inscrire l’obligation de créer un service de placement familial au sein du service départemental de l’Aide sociale à l’enfance, a dû se contenter de la formule « projet de service ». Néanmoins, le texte est explicite concernant les assistants familiaux, membres à part entière des équipes.
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Or cette obligation n’est pas suivie par une grande majorité de départements. La plupart se contentant d’ajustements à la marge là où le pas décisif devait être franchi. L’avantage d’un service était évident pour la construction d’une identité professionnelle, pour l’accès à la fonction d’aide par les plus chevronnés, pour la mise en œuvre de l’accompagnement professionnel et pour l’inscription dans l’équipe de suivi de l’enfant. Mais aussi pour l’efficacité de sa gestion dans le choix des lieux de placement, leur préparation, la rationalisation dans l’organisation des congés, des remplacements divers, la mutualisation du matériel, l’entraide… Partout où ces services ont été préférés aux organisations traditionnelles de l’Aide sociale à l’enfance, par secteur ou unité territoriale, la satisfaction des assistants familiaux est incomparable avec celle de leurs collègues des structures classiques.
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L’enjeu de la professionnalisation réside dans le saut qualitatif qu’accompliront les assistants familiaux, non par une drastique sélection à l’agrément ou à l’embauche – certains auteurs parlent de pure illusion –, mais par le soutien, le partage, l’accompagnement réel. L’inobservation de cette évidence amène les assistants familiaux à des stratégies de contournement qui peuvent s’avérer préjudiciables à l’enfant. Le jour où, membres à part entière d’une équipe, ils pourront amener leur riche accumulation de faits quotidiens pour être aidés, exprimer leurs doutes, leurs craintes, sans la peur d’être jugés, voire écartés de la vie de l’enfant, le jour où ils pourront s’autoriser – comme on dit dans le jargon – à risquer un point de vue, une analyse, se départir un temps de ce lien intersubjectif dans un lieu où prend corps la commande publique qui les institue, ce jour-là le vieux placement nourricier aura totalement disparu sous les habits neufs d’un placement familial ou accueil familial foncièrement professionnel.
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Cette assertion n’est pas une idée surannée que certains voudront me prêter. Je sais des services qui fonctionnent ainsi, services privés associatifs ou plus rarement services départementaux, mais ils ne sont pas légion et sont toujours menacés par la rentabilité financière, la facilité, l’urgence, pendant que d’autres continuent leur bonhomme d’entêtement sur les dégâts de la professionnalisation [15][15] « Comment offrir un cadre sécurisant aux assistants....

Prendre sa place

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Reconnaissons tout de suite que les principales protagonistes n’ont pas été véritablement motrices dans la construction du nouveau visage du placement familial. Comme des infans, elles ont été privées de parole. Le premier statut (1977) est le fruit de l’administration ministérielle, de juristes du droit du travail, de syndicalistes et d’une poignée de militants déterminés de la cause de la petite enfance. Il n’a pris de la valeur que par les modifications qu’il a subies au fil des trois dernières décennies (lois de 1992 et 2005) grâce aux recherches de praticiens et cliniciens, et tardivement grâce à l’entrée en lice des principales intéressées, les assistantes maternelles. Des insuffisances notoires subsistent. Elles sont imputables aux assistants familiaux eux-mêmes, aux travailleurs sociaux des équipes, psychologues, médecins…, aux administrations et organismes de gestion ainsi qu’à la pusillanimité des législateurs qui se sont succédés.
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Les assistants familiaux sont les acteurs premiers du placement familial, mais cette tautologie est souvent prise en défaut par les autres acteurs, qui n’accordent qu’une place relative aux familles d’accueil.
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Il est d’usage, depuis quelques années, de s’intéresser en toute logique au sens des mots utilisés dans notre secteur, démarche indispensable à toute conceptualisation. Pratiquée plus ou moins judicieusement, cette méthode nous entraîne parfois à des effets de mode, loin du but recherché. Ce pourrait être le cas du terme « accueil familial » qui est souvent substitué à « placement familial » dans le but avoué d’en transformer l’image. Certes, les placements d’antan manquaient singulièrement de chaleur ; lieu de l’omnipotence des gardiennes, ils concurrençaient dans l’âpreté du contact les lieux d’enfermement et les rudes travaux dont ils étaient doublés. Mais l’accueil qui vient le « relooker » ne répond pas forcément à toutes les attentes : synonyme de bienveillance, il peut aussi avoir une connotation charitable. Il n’inscrit pas forcément dans la continuité. Si le placement est pour l’enfant la conséquence d’un déplacement, il doit devenir le lieu où il trouvera enfin sa place, car c’est bien ce qui est en jeu dans sa protection : donner une place, à chacun sa place. Dans la multiplicité des prises en charge, le placement devient plus rare, raison de plus pour mieux le préparer, le conduire en (ré)attribuant les places : enfant, parents, assistant familial, travailleur social référent, membres de l’équipe d’accompagnement, de l’équipe de soin, psychothérapeute, responsable de l’Aide sociale à l’enfance, juge des enfants…
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À propos de place et de fonction, M. David insiste sur la nécessité de « cesser d’opposer ou séparer le social, le sanitaire, l’éducatif, le pédagogique, le thérapeutique. L’enfant séparé de ses parents et placé en famille d’accueil a besoin d’attention et de soins dans tous ces domaines, tout comme ses parents ». Et pourtant, force est de constater qu’il y a loin de la coupe aux lèvres et que chaque institution, dans son domaine de compétence, tente de garder ses spécificités jusqu’aux particularismes. Aujourd’hui, les placements familiaux s’organisent à partir des prérogatives des conseils généraux au titre de la protection de l’enfance. Cette recomposition du paysage est la conséquence du tarissement des financements dans le sanitaire et le médico-social plutôt que d’une volonté manifeste de penser les imbrications de ces champs et d’en tirer les conséquences pratiques et organisationnelles. Ces places ne sont toujours pas sincèrement repérées en dépit des progrès dans l’appréhension des besoins des enfants, dans les conceptions éducatives, dans le statut des personnes qui en ont la charge, dans le droit des usagers, parents et enfants, dans la durée des placements.
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Si les grandes figures de J. Bowlby ou D. Winnicott sont convoquées à satiété, si après une première réaction suspicieuse les livres de M. Berger [16][16] Maurice Berger, L’échec de la protection de l’enfance,... sont lus avec intérêt, si M. David reste la référence en matière de placement familial, leurs réflexions ne sont pas assez saisies pour mettre en marche des manières de travailler différentes, des façons d’organiser autrement les services, qui donneraient un autre cadre aux équipes, assistants familiaux compris. Cet autre cadre de travail serait apte à prendre en compte et à traiter ce point fondamental que nous rappelle M. David, et qui est la souffrance des enfants et des parents induite par la séparation et par les distorsions des liens parents-enfant qui fondent l’indication du placement de l’enfant [17][17] M. David, Le placement familial, de la théorie à la....
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On m’objectera les ratios d’encadrement, les charges de travail, les moyens financiers, l’absence de formation spécifique… Tout cela est vrai, mais ne nions pas que l’histoire pèse lourd et que la reconnaissance des assistants familiaux à leur juste place n’est pas encore totalement acquise du point de vue des administrations, du point de vue des intéressés eux-mêmes, du point de vue des équipes. C’est sur ce dernier point qu’il faut insister car il constitue un verrou qui interdit la construction de la place originale de l’assistant familial dans le placement. « Actuellement, nous pensons que c’est surtout le travail de l’équipe chargée de suivre le placement qui est à revoir ainsi que la participation à ce travail d’un pédopsychiatre ou psychologue psychothérapeute [18][18] M. David, interview à Lien social, septembre 2000.. »

Au terme de ce survol

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Il faut reconnaître l’évolution qu’a subie ce métier de par les bouleversements de notre société, les profondes mutations de la famille et des liens intrafamiliaux, le statut des femmes, les droits des usagers et notamment ceux des enfants, la multiplication des métiers du social, de l’aide, de l’accompagnement, les avancées législatives. La connaissance des traumatismes de l’enfance, des troubles du lien, la souffrance psychique de l’enfant et de ses parents liée à la séparation nous invitent à un autre regard sur le placement.
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Après quelques errements sur la question, je ne crois pas que la solution soit dans une meilleure spécification des accueils renvoyant à une spécialisation des assistants familiaux (certains parlent d’un profilage), mais dans toujours plus d’intégration par un accompagnement sans cesse renouvelé.
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Les évolutions à venir du placement ou de l’accueil familial seront de l’ordre du droit salarial, espérons-le, mais le plus important et délicat sera cette recherche d’équilibre entre les sphères de la vie privée et de la vie professionnelle ; cet exercice que depuis des lustres les assistantes maternelles ont réalisé avec plus ou moins de bonheur dans des contextes moins exigeants, il nous faut désormais le construire au sein de profondes mutations sociétales dans des conditions autrement périlleuses pour la jeunesse.

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