jeudi 18 janvier 2018

la résilience

 

La résilience est une capacité d’adaptation d’une personne, suite à un traumatisme. Mais elle nécessite des interactions sociales pour se développer. La présence d’un réseau extérieur soutenant est indispensable et les soignants ont notamment un rôle prépondérant dans cette reconstruction.
homme dans un champ de blé
La résilience consiste à continuer à se développer après un traumatisme, mais différemment ; une nouvelle organisation qui n'est pas forcément plus forte que l'ancienne, ni plus fragile, juste différente.
Ecouter Boris Cyrulnik, neuropsychiatre, directeur d’enseignement à l’université de Toulon et auteur de nombreux ouvrages, en particulier sur la résilience, est toujours un moment rare. Récemment, l'une de ses conférences, à Marseille, s'intitulait Ce qui ne nous tue pas…. Et l'on mesure déjà l'importance des points de suspension . En effet, la plupart d'entre vous auront le réflexe de compléter cette phrase par … nous rend plus fort, selon la maxime bien connue de Nietzsche, philosophe allemand du XIXesiècle. Et bien en fait non, Boris Cyrulnik explique que chaque traumatisme laisse une trace traumatique dans l'organisme, qui marque à vie ; cela vulnérabilise et diminue le  bien-être.
Rappelons que l'on entend par traumatisme une atteinte profonde, comme par exemple une personne qui a pu côtoyer la mort ou être agressée par la vie. Selon Cyrulnik, environ une personne sur deux subit un traumatisme au cours de son existence, qu’il s’agisse d’un inceste, d’un viol, de la perte précoce d’un être cher, d’une maladie grave ou d’une guerre.
Après un traumatisme, dont la gravité est ressentie différemment selon les individus, il y a deux attitudes : on rumine, seul dans son coin, et on accroit l'impact de cet accident, l’empêchant de s'évacuer, car le souvenir  se cristallise dans le cerveau. La deuxième possibilité est d’en parler ou de le sublimer, en le mettant en scène. Cette capacité adaptative impacte positivement le reste de la vie et permet de ne plus se soumettre à l'impact que peut avoir un traumatisme sur notre propre fonctionnement, en atténuant la douleur psychique. C’est le principe de résilience.
La résilience c'est l’aptitude d’un corps à résister aux pressions et à reprendre sa structure initiale. En psychologie, la résilience est la capacité à vivre, à réussir, à se développer en dépit de l’adversité.

Résilience… soyons précis

Mais quel est donc ce concept de résilience, dont on entend parler mais dont on ne sait pas toujours ce qu’il signifie exactement ? À l’origine la résilience s’applique à la physique : c’est la résistance d’un matériau aux chocs. Par extension, et au sens figuré, c’est une force morale; qualité de quelqu'un qui ne se décourage pas, ne se laisse pas abattre. Ce concept est en travail dans la communauté scientifique depuis quelques décennies. Il s’est développé en France et dans les pays francophones surtout depuis les années 1990, grâce notamment à Boris Cyrulnik, Michel Manciaux, Stanislas Tomkiewicz. Les principales influences ont été les travaux de John Bowlby et la théorie de l’attachement (années 1960-70), les travaux sur le stress et le coping et le champ de la psychologie de la santé.
La résilience consiste donc à continuer à se développer après un traumatisme, mais différemment. Selon le neuropsychiatre, la poursuite de l’évolution ne sera néanmoins pas dans l’exact prolongement d’avant l’atteinte traumatique. Prenons  l'exemple d’un incendie : la faune et la flore sont détruites et pourtant quelques mois ou années après, la nature reprend ses droits, la végétation repousse, la faune revient, mais différemment, avec d'autres espèces. C’est tout un écosystème qui va se remettre en place. Cette nouvelle organisation n'est pas forcément plus forte que l'ancienne,  ni plus fragile,  elle est juste différente. Pour un être vivant, a fortiori un être humain, le mécanisme est le même et prend diverses formes.
Boris Cyrulnik prend l’exemple des soldats engagés dans un conflit armé. Ceux qui peuvent écrire et décrire ce qu’ils vivent, même en laissant leur lettre au fond d’un tiroir, présentent très peu de syndromes psycho-traumatiques de retour chez eux, à l’inverse de ceux qui n’ont pu en parler ou s’exprimer. De même, un enfant qui ne sait pas parler peut dessiner et trouver via cette représentation la force de dire ce qu’il ne peut pas exprimer. Prenons un écrivain de fiction. Les idées qu'il couche sur le papier, même s'il s'en défend, prennent ancrage dans une histoire de vie qu'il aura sublimée. Il imaginera des personnages et des situations lui permettant de mettre à distance ses propres émotions et de canaliser l’hyperactivité de son cerveau.... en particulier s'il a vécu un traumatisme.
Les travaux de Spitz en 1940, puis d’Harlow en 1960 sur des bébés singes privés de leur mère, ont démontré que l'absence d'amour ou de contacts dès les premières heures de la vie empêche un développement harmonieux de la personnalité et conduit un repli sur soi et des comportements totalement anti-sociaux.
Suite à un événement traumatique il faut absolument partager et rester acteur, pour diminuer l’impact de la blessure...

Quand ceci explique cela...

Lors de cette conférence, Boris Cyrulnik nous a conté avec émotion sa visite aux enfants de Roumanie qui, fruits d'une politique ultra-nataliste sous le régime des Ceausescu, étaient  abandonnés dans des orphelinats. Ils étaient placés sous la surveillance de gardiens qui s’adaptaient à leur situation en maintenant un détachement distant, ne leur parlant jamais, ni ne jouant avec eux. Ces enfants étaient laissés dans des lits à barreaux, avec une soupe par jour et sans aucune communication, ni marque d’affection. Pour calmer la douleur intense de cet abandon, certains de ces jeunes enfants développaient des attitudes quasi autistiques, accompagnées de mouvements de balancier ou de routines obsessionnelles. Après avoir insisté, le neuropsychiatre a obtenu des scanners cérébraux pour ces enfants et s'est aperçu que les deux zones préfrontales (zones du contrôle des émotions et de la projection) étaient totalement asséchées, expliquant certains désordres d’ordre moteur ou de coordination, et que leur amygdale (siège des émotions intenses et de la peur) était  devenue trop sensible à cause de leurs blessures de vie. Ces enfants devenaient agressifs et renfermés sur eux-mêmes, n’ayant d’autre choix pour calmer leur angoisse que de taper leurs bras de façon compulsive contre les barreaux du lit, crier, mordre… Ils ne pouvaient que se défendre contre un univers qu’ils ressentaient comme hostile. Cependant une preuve en image existait bien, et permettait d’objectiver cette souffrance. Un autre exemple nous a été donné. Lors du tremblement de terre en Haïti, il y a quelques années, les enfants des rues qui étaient méprisés et rejetés par tous, se sont retrouvés en première ligne.
Suite au séisme, ils guidaient les rescapés dans la ville, car ils en connaissaient bien les méandres. Ils ont pu jouer un véritable rôle d’orientation, conseillant les points d’eau potables et autres lieux sûrs aux riches de la ville. Par la suite, il s'est avéré que ces enfants en guenille qui étaient au départ les moins bien lotis ont le moins souffert de cette catastrophe. Ils ont réussi à se mettre au service de l'autre grâce à leur mode de vie, et ont aidé les plus nantis à se sauver des décombres. Voilà un bel exemple de résilience.
On voit donc au travers de ces quelques cas, que suite à un événement traumatique il faut absolument partager et rester acteur, pour diminuer l’impact de la blessure. On sait que la solitude est le plus sûr moyen d’empêcher la résilience. Ce phénomène est cependant réversible.
Les orphelins roumains de l’ère Ceausescu, abandonnés très tôt dans des institutions inhumaines, étaient considérés comme des monstres… et pour cause...

La résilience n'efface rien...

En effet, la résilience n’efface rien, elle permet de supporter et de continuer. C’est pour empêcher les  ruminations de leur cerveau que ces personnes blessées  prennent de la distance par rapport à la situation aversive. Pour cela, certains tiercéisent, c’est-à-dire éloignent l’émotion via un support externe d’expression (tiercéiser signifiant introduire un troisième élément dans une relation pour faire le lien entre les deux autres). On retrouve même des enfants privés d’amour qui entendent des voix, se créent des amis imaginaires, surinvestissent la relation avec un animal, tant le besoin d’altérité est grand. En se libérant de leur secret, ils transforment leur blessure en œuvre d’art. Ce qu’ils veulent avant tout c’est devenir l’auteur de leur destin. Ce sont des décideurs parce qu'ils n'ont rien décidé de leur enfance.
Cependant la capacité de résilience de chacun est moitié innée, moitié acquise. Les déterminants et les facteurs de résilience peuvent être de trois types : individuels, familiaux et sociaux. Parmi les facteurs individuels, on trouvera la génétique, l’autonomie, la faculté d’adaptation, la charge en sérotonine, la sublimation via le théâtre, l’écriture ou les causes humanitaires. Les facteurs familiaux concerneront une qualité de la communication au sein de la famille, un environnement sécurisant, une idéologie, voire un placement dans une famille d'accueil pour les petits orphelins. Et enfin on retrouvera parmi les facteurs sociaux la participation à des groupes de parole (y compris si l'on ne parle pas), l’organisation d’une communauté sociale, la religion, l’investissement dans le sport. La gestion du stress post-traumatique doit se penser de façon systémique et non de façon individuelle.
C’est pour empêcher les ruminations de leur cerveau que ces personnes blessées  prennent de la distance par rapport à la situation aversive.

Nous avons donc compris que la résilience passe par l'altérité !

Dans notre exercice quotidien de soignants, ce concept de résilience est important à connaitre, car il enrichit la clinique en proposant des perspectives dans la compréhension de la souffrance et la prise en charge des patients.  Lorsque l’on sait que le simple fait d'entendre parler d’un  problème aide à prendre de la distance et à l'évacuer (c’est le rôle de la psychanalyse), il est plus aisé de comprendre l’importance de l’accompagnement des patients au travers de leur parcours. Ce peut être une personne atteinte de maladie chronique ou de maladie rare, une  victime d'attentat, des parents qui ont perdu un enfant, une personne en situation de grande précarité. Ainsi, donner une carte de visite avec un numéro de téléphone, offrir un café, une couverture ou juste un espace d'écoute peut suffire pour permettre à la personne d'entamer un processus de réparation. A l'inverse, l’isolement et la rumination ne permettront pas à une personne de sortir de cette dynamique de destruction interne. En libéral, s’assoir 10 minutes chez un patient pour boire un café peut se révéler un soin à part entière, à la lumière de ces développements.
Pour conclure, le principe de résilience n’est pas un effacement du traumatisme mais une attitude de protection, une façon de mettre ses effets dévastateurs à distance pour continuer à vivre. La présence d’un réseau extérieur soutenant est indispensable et les soignants ont un rôle prépondérant dans cette reconstruction.

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