Relations parents-enfants : Les compétences du nouveau-né

Un bébé se moque bien du livret de famille et de la biologie quand il crée des liens affectifs. Si ses parents sont défaillants, il sait se détourner de la relation parent-enfant négative et aller vers ceux qui lui veulent du bien. Une extraordinaire intelligence qui laisse admiratif.
Pourquoi ce livre, Le pouvoir des bébés ?
Dr Daniel Rousseau : Je suis pédopsychiatre en libéral et dans une pouponnière d’un foyer de l’enfance. Cela fait vingt-cinq ans que je côtoie les tout-petits de très près. Ils me passionnent et me fascinent... Avec eux, j’en apprends tous les jours ! Il n’y a que dans les pouponnières que l’on peut voir grandir et observer des bébés jour après jour et ce, pendant plusieurs années. C’est d’ailleurs dans ces lieux, autrefois appelés Hôpitaux des Enfants Trouvés, que s’est développée la pédopsychiatrie française. Les tout-petits qui y sont placés – chaque année, ils sont 5 000 de moins de 4 ans – ont des parents défaillants ou maltraitants, ayant des carences affectives ou de graves troubles psychologiques les empêchant de prendre soin au quotidien de leur enfant.
Qu’avez-vous découvert de si extraordinaire sur les compétences du nouveau-né ?

Quand il a des parents défaillants et pour se protéger d’eux, un bébé se tourne vers un adulte de son entourage s’il est attentif, stable et rassurant. Et ce dès ses premiers jours. Je les appelle "les bébés Wi-Fi" qui se connectent à la "borne" la plus proche et la plus réceptive ! Un nouveau-né, dans une dépendance totale à autrui, ne peut survivre que s’il est pris en charge de façon adaptée par un autre être humain. Il se fiche donc royalement du lien biologique s’il n’est pas adéquat et cherche à s’accrocher à un inconnu quand il sent que celui-ci peut subvenir à ses besoins. Il est illusoire de croire que l’attachement affectif aux parents est un processus naturel et logique. Lorsqu’une mère ne répond pas aux sollicitations de son nouveau-né, celui-ci fait le choix de se tourner vers un autre adulte. Et s’il ne rencontre personne, de se laisser mourir.

Relations parents-enfants : Les nouveau-nés s'expriment avec leur corps

A quoi voyez-vous qu’un bébé en situation de détresse "accroche" un inconnu ?
Les nourrissons ne savent pas parler mais s’expriment très bien avec leur corps. Contrairement à ce qu’on pense, un bébé porté est actif. Quand il s’abandonne dans vos bras, ce n’est pas de la passivité mais un geste intentionnel de sa part. Il y est bien et modèle sa musculature aux formes de votre corps. Le meilleur exemple ; c’est un bébé repu qui se laisse aller, confiant, contre sa maman. Quand la relation parent-enfant est négative, que les bras de l’adulte ne sont pas aimants ou sécurisants, le bébé est mou (très lourd), raide (droit comme un bâton) ou bien glissant comme une anguille en tentant de s’échapper. Dans tous les cas, il n’est pas accordé au corps qui le porte. Rappelez-vous des yeux de votre bébé ses premiers jours de vie ! Comment son regard intense s’accrochait à vous et ne vous lâchait pas ! A la pouponnière, j’ai le souvenir d’un nourrisson âgé d’à peine un mois. Alors qu’il était porté par sa mère venue lui rendre visite, je l’ai vu scanner la pièce de gauche à droite pour trouver un regard rassurant auquel s’accrocher...
Vous affirmez que certains nourrissons peuvent même éviter de pleurer pour éviter le pire de leurs parents...
Il m’a fallu dix ans et des observations répétées pour que l’équipe de la pouponnière et moi-même en soyons convaincus ! Un bébé peut tout supporter, la faim, le chaud, le froid, l’inconfort d’une couche salie, l’angoisse du soir et les coliques, la détresse psychique d’être laissé à lui-même... sans rien manifester. Par simple sidération [état de stupeur et d’inertie, ndlr] ou tout simplement pour ne pas se faire repérer. Les tout-petits qui ne ressentent pas la relation parent-enfant et qui ont vécu la maltraitance sont capables de se taire pour en limiter les risques. D’intégrer la notion de danger et trouver le moyen de l’éviter. Un braillard qui se calme vite dans les bras est bien plus rassurant qu’un oisillon qui ne dit plus rien ! Mamans, quand votre nouveau-né crie et hurle, c’est rassurant. Il sait qu’il peut le faire avec vous.

Relations parents-enfants : Une séparation pour un bon développement

Il vaut donc mieux séparer durablement un enfant de ses parents, dans certains cas, plutôt que de s’acharner à maintenir un lien ?
C’est parfois nécessaire. En France, au contraire des pays anglo-saxons, le discours dominant est qu’un enfant est toujours mieux avec ses parents. Dans son intérêt, le rôle parental doit donc être soutenu coûte que coûte. Pourtant, on a vu qu’un bébé peut ne pas se sentir en sécurité dans sa famille. Et ce qui est enseigné à la faculté et véhiculé dans les milieux socio-éducatifs – les professionnels ne doivent pas s’attacher aux enfants placés de crainte d’usurper la place des parents – est à l’opposé des besoins affectifs des tout-petits.
Un tout-petit maltraité physiquement et/ou psychiquement peut-il se relever d’un mauvais démarrage ?
Des études menées sur vingt ans sur des enfants placés montrent qu’un tiers sont considérés comme tirés d’affaire... mais qu’un tiers demeurent toute leur vie sous tutelle ou curatelle. Tout dépend de leur état lorsqu’ils arrivent à la pouponnière. S’ils trouvent sur leur chemin une personne sécurisante, ils peuvent s’en sortir.
Que faut-il à un tout-petit pour bien se développer psychiquement et affectivement ?
Dans le ventre de sa mère, le fœtus a tout ce qu’il lui faut : bonne température, nourriture et confort. Et ceci, 24 heures sur 24 sans variations. A sa naissance, il découvre un monde instable : le froid, la faim, le bruit, la lumière violente, la pesanteur, etc. De quoi a-t-il besoin ? D’être nourri bien sûr ! Mais aussi d’être porté, d’avoir un échange relationnel avec ses parents (ou les adultes qui veillent sur lui), d’encouragements, de sécurité, d’attention et d’un rythme de vie régulier. Pour qu’il ne sombre pas dans l’angoisse, il est nécessaire qu’on réponde rapidement à ses demandes.

Relations parents-enfants : un bébé a deux parents

Vous dites dans votre ouvrage "qu’il n’existe pas de mère seule". Qu’est-ce que cela signifie exactement ?
Un bébé qui naît n’est pas que le bébé d’une seule personne ! C’est à chaque fois l’histoire de l’humanité qui se recrée, une chaîne générationnelle qui se poursuit. Une nouvelle maman a besoin d’être entourée – par son compagnon mais aussi par sa mère, une grand-mère, etc. – pour pouvoir à son tour prendre soin de son enfant. C’est absolument nécessaire ! Si les soutiens sont efficaces, la mère est dégagée de tout tracas et du souci d’elle-même, n’ayant d’autre préoccupation que son bébé et la fierté d’être mère. Elle peut alors "se connecter" à son enfant qui à son tour se "connecte" à elle...