vendredi 4 août 2017

la protection de l enfance va mal

Bonjour,
Psychologue dans le cadre de la protection de l'enfance (AEMO, Foyers, Prévention) je ne peux malheureusement que me joindre à vos constats déplorables et témoignages désolants concernant le manque de moyens criant tant dans le secteur social que du côté du médical et ce, pour venir en aide de manière cohérente, ajustée, aux enfants et aux familles en grande souffrance que je rencontre et à qui aucune solution adaptée n'est proposée là où ils en ont besoin et au moment où ils en ont besoin et là où c'est encore possible.
S'accumulent depuis plusieurs années dans les différents lieux où j’interviens des situations inextricables dans lesquelles un simple RDV chez une orthophoniste n’est pas possible (deux ans d’attente durant lesquelles l’enfant va continuer de s’ancrer dans des difficultés d’où il sera plus difficile de l’extraire quand dans une temporalité juste cohérente). Deux CMPP sur les 3 existants dans mon département ont fermé leur liste d’attente après être arrivés à 4 ans d’attente (ce n’est pas une blague ni une exagération de ma part). Les services de pédopsychiatrie oscillent entre 18 mois et 2 années d’attente aussi sur ce même secteur. Imaginez dans un tel contexte ce qu’il se passe quand les plus démunis (dont on s’occupe souvent en protection de l’enfance) loupent un RDV : ils ne sont plus prioritaires et perdent leur place. Un système qui glisse vers ces rigidifications rétorsives parce qu’il est poussé là-dedans, sans aucune souplesse malheureusement (pas du fait des personnes mais du système ! Ces soignants bien souvent n’y peuvent rien !). Et c’est l’enfant qui en pâti tout simplement. Un simple petit coup de pouce lui aurait peut-être permis de relancer sa scolarité, de l’étayer, de soutenir ses parents dans ce recentrage autour de lui… Que sais-je encore ! Là où deux ans plus tard il aura peut-être redoublé (ou pas !) ! Parce que les enfants passent aussi de classe en classe sans orientation adaptée ou étayage suffisant (et diagnostiqué avec finesse et cohérence). 100 places d’IME n’ont pas été trouvées pour des enfants qui en relèvent et ont une notification pour cela. Idem pour les classes ULIS. Je passe sur cette petite fille cette semaine qui m’a bien occupée : « ne relève pas d’une ULIS » car pas considérée comme déficiente, mais qui ne peut prétendre à un maintien non plus en CE1 alors qu’elle n’a pas acquis la moitié d’un niveau de CP. Elle ira en CE2 malgré tout l’an prochain sans avoir de place possible dans le CMPP (dont elle a cruellement besoin) qui n’a même pas pu l’inscrire sur une liste d’attente, et attendra 1 an et demi pour être en pédopsychiatrie (éloigné de son domicile géographiquement avec des parents non véhiculés !!). Sachant que le CMPP était sur sa commune et le lieu le plus adapté à ses difficultés « Psycho-Pédagogiques » (combinant psy et ortho dont elle a besoin). Elle est maintenue dans l'errance.
Les exemples sont les mêmes du côté des lieux de placement : nous accompagnons parfois des familles vers ce chemin douloureux qu’est la séparation d’avec leurs enfants non pas parce que cela nous fait plaisir ou qu’on se débarrasse de la situation mais parce que notre analyse nous permet de penser que cette solution est à mettre au travail, à mettre en œuvre avec la famille (c’est ce qu’on nous demande en plus !). Nous bordons les choses. Nous y mettons du sens pour amortir le vécu douloureux... Or, nous ne trouvons pas les places nécessaires à cette mise en œuvre ajustée : familles d’accueil quand c’est nécessaire pour répondre aux besoins de l’enfant, un petit groupe vertical pour un autre, un foyer éloigné du domicile de la mère (pour créer une séparation réelle et éviter les fugues à répétition…). Tout ça nous l’analysons en amont dans ce qu’on appelle parfois « notre petit laboratoire ». Mais le placement ne peut pas se mettre en œuvre dans une temporalité acceptable, ou tombe à côté du projet. Par conséquent le placement dans une institution (quand il n’y a que ça de possible), une séparation de la fratrie, contre notre gré, où le placement d’un adolescent à côté de chez sa mère ou dans un groupe explosif qui ne va que catalyser ses propres difficultés dument connues tombent à côté. L’enfant s’ancre dans ses difficultés. A un moment donné on n’arrivera plus à avoir d’accroche avec lui, l’espace du travail possible avec certaines familles s’amoindri… Et l’on reproche ensuite aux établissements auxquels on ne donne pas les moyens de fonctionner de manière cohérente (je le répète !) et normale de ne pas être suffisamment protecteurs !! Et là, la boucle est bouclée du cercle infernal où les professionnels sont aussi démunis (ou se vivent comme tels) tout autant que la famille qu’on leur demandait d’aider (et ils ont choisi ce métier pour cela et fait des études pour cela nourrissant le désir d’aider ces personnes). La blessure narcissique et l’épuisement professionnel les guettent (nous guettent). Dans ce contexte nous ne pouvons pas soutenir ces familles, les aider à restaurer un minimum de contenance familiale là où les professionnels eux-mêmes sont impuissants à mettre en œuvre les outils pour lesquels ils ont été formés. Désormais, les TS doivent entrer leurs demandes de placement dans un logiciel froid, distant, sans répondant. Pour optimiser la gestion du flux des boîtes de petits pois cela est sans doute très efficace mais pour les enfants que j’ai nommés précédemment vraiment je ne vois pas ce qu’un logiciel va optimiser !! Ce système abrase la pensée que j’essaie moi-même de faire vivre encore autant que je peux même si la désolation et l’impuissance ne contribuent pas beaucoup au plaisir de penser. C’est pourtant là que l’on trouve encore l’essence de notre travail ou l’essence (en tant que carburant) à mettre dans notre travail !
Je crois très sincèrement que la clinique de ces familles et ces enfants dits « en danger » parle d’elle-même : qu’il suffit de l’écouter et d’y apporter des réponses logiques et cohérentes (qui aient juste du sens parce que je crois que le fond du problème c’est la perte du sens et que c’est ce qui, en partie, met les professionnels en souffrance).
Bien à vous,
Et bon courage à tous.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire