vendredi 10 mars 2017

ANALYSE DE LA PRATIQUE EN PLACEMENT FAMILIAL

            Oxymoron

Oxymoron | 2 Contrôle Supervision 

Xavier Gassmann  : 
Analyse des pratiques en placement familial

Résumé

L’analyse de la pratique à destination des assistantes familiales ouvre un lieu frontière entre différents registres qui touchent tout autant aux enjeux actuels mobilisés par l’enfant accueilli que ceux qui croisent la place qu’il vient occupé dans le complexe familial de l’assistante familiale. Lieu frontière qui ouvre aussi un écart avec un discours objectivant et qui invite les assistantes familiales à entrer de fait dans une expérience autre de la parole.

Index

Mots-clés : dépendance , parole, séparation, violence

Plan

Texte intégral

1Nous aborderons ici le dispositif du placement familial à partir d’interventions d’analyse de la pratique menées dans des institutions inscrites dans le secteur de la protection de l’enfance, c’est-à-dire auprès d’enfants ou d’adolescents qui ont fait l’objet d’une mesure de placement sur décision judiciaire. Ce dispositif, s’il n’est pas nouveau en soi, a fait l’objet de profondes modifications. Il fut un temps où l’enfant était placé dans une famille, ou plus précisément auprès d’une « nounou » quasiment jusqu’à sa majorité et sans véritable reconsidération de la mesure. Aujourd’hui, ces pratiques se sont modifiées mais il reste que ce type de placement possède des spécificités qui lui sont propres. Le placement d’un enfant dans une famille d’accueil suscite des effets variables tant chez l’enfant que pour chacun des membres de la famille d’accueil.  Les familles d’accueil et l’assistante familiale en particulier travaillent en articulation avec une équipe éducative mais ces différents acteurs qui interviennent dans la prise en charge de l’enfant n’opèrent pas dans le même lieu.
2Chacun de ces intervenants est aux prises avec les représentations et les discours qui traversent le secteur de la protection de l’enfance mais quels en sont les effets dans la pratique complexe du placement familial ?
3Discours et représentations mettent sur le devant de la scène l’intrication singulière de chacun avec ce qui émerge du côté de la maltraitance, tant entre les professionnels eux-mêmes que vis-à-vis des enfants accueillis et leurs parents. Cela trouve de plus aujourd’hui une étroite résonance avec ce qui est véhiculé dans le discours social ambiant.
4Si la fenêtre de la maltraitance est prédominante dans ce secteur, chacun se voit convoqué dans sa pratique dans des positions qui mobilisent dans certains cas des mouvements contradictoires, voire projectifs et qui ne sont pas sans laisser sourdre des rigidifications qui peuvent aller jusqu’au clivage. L’un se veut toujours plus protecteur que l’autre, au prétexte que l’un voit et l’autre pas, l’un prend des mesures et l’autre laisse faire, au point d’actualiser dans des scenarii une partition qui distingue les bons des mauvais, comme s’il s’agissait de séparer le bon grain de l’ivraie.
5Dans ce mécanisme, dès que surgit du mauvais qui n’est pas sans rappeler la maltraitance subie par l’enfant dans son milieu familial, la tentation est grande de l’écarter, de la repousser, de la rejeter et si possible de trouver un autre en mesure de l’incarner, et ce d’autant plus lorsque les parents de l’enfant se sont d’eux-mêmes ou par consentement mutuel écartés d’une présence régulière.
6Cet enfant à protéger est source d’investissements multiples, croisés et il mobilise autour de lui un nombre variable d’intervenants. Du juge qui prononce la mesure de placement, en passant par l’aide-sociale à l’enfance qui assure la fonction gardienne, jusqu’au service de placement composé des différents professionnels qui organisent l’accueil de l’enfant dans une famille, voilà déjà une chaîne décisionnaire d’intervenants multiples où ne vont pas manquer de se croiser malentendus et controverses, quant aux décisions à prendre qui ponctuent le quotidien de cet enfant une fois dans sa famille d’accueil.
7L’ensemble de ces acteurs va avoir, à divers titres et divers moments, une incidence plus ou moins directe dans l’évolution de l’accueil de l’enfant et de son placement. Toutefois, ces mouvements ont déjà cours entre les différents intervenants qui officient à l’intérieur de l’institution placement familial.
8Effectivement l’équipe d’un placement familial est multiple et diverse mais avec ceci de particulier qu’elle n’opère pas dans une unité de lieu et de temps mais sur des scènes différenciées et diverses, nous essayerons dans un premier temps d’en appréhender les effets quant à la notion même d’équipe.
9A partir de ce contexte, nous interrogerons les spécificités de l’analyse des pratiques auprès des professionnelles que sont les assistantes familiales en nous appuyant sur différents contextes d’intervention.
10En placement familial, la notion même d’équipe est souvent revendiquée sous la forme d’un leitmotiv ou d’une incantation, comme pour conjurer la menace d’un déséquilibre ou d’un éclatement entre d’un côté ceux qui travaillent dans les locaux du service et appelés dans certains lieux « équipe technique », et de l’autre côté l’ensemble des assistantes familiales dont il est dit qu’elles font partie de l’équipe même si au quotidien, elles ne sont pas présentes à l’endroit où se réunit l’équipe.
11L’équipe technique est le plus souvent composée d’éducateurs, d’un chef de service et dans certains cas de psychologues. Les assistantes familiales sont des professionnelles dont le statut1 a été depuis peu modifié. Depuis lors, elles sont différenciées des assistantes maternelles qui accueillent les enfants à la journée, là où les assistantes familiales les accueillent à temps complet et en étroite association avec une institution de placement familial. C’est depuis cette loi qu’elles sont ainsi nommées, avant l’intitulé de leur profession était aussi « assistante maternelle ».

Complexe familial et famille d’accueil

12Ce découpage formel entre assistantes familiales et les autres professionnels n’est pas sans effet dans les représentations et les pratiques à l’œuvre. Si les assistantes familiales travaillent à leur domicile et quand bien même sont-elles toujours plus amenées à participer à diverses réunions de travail, elles ne sont pas au quotidien dans le lieu de référence de l’institution.
13Bien au contraire, l’exercice de leur activité professionnelle à leur domicile les conduit à opérer au milieu de leur famille. Famille qui est au demeurant mise à contribution comme cela se dit dans ce secteur d’activité. Si l’assistante familiale est celle qui est salariée, elle est recrutée avant tout en tant que famille d’accueil et par son choix, c’est l’ensemble de sa famille qui entre dans ce projet de travail.
14De fait, l’assistante familiale met sa famille au travail avec l’accueil d’un enfant. Différence notable qu’elles ne manquent pas de relever comparativement aux autres professionnels qui ne mettent pas en direct leur famille à contribution.
15Ils ont de leur côté cette possibilité de différencier vie professionnelle et vie personnelle ; pour elles, bien au contraire, cela est totalement intriqué. Qu’un événement survienne dans leur vie personnelle, cela entre aussitôt dans l’espace de leur activité professionnelle.
16Cette frontière poreuse entre ces deux lieux donne de fait au cadre de l’activité du placement familial une coloration particulière.
17Effectivement, dans ce secteur d’activité, les professionnels entrent dans le territoire singulier de la vie familiale. Que ce soit celui de la famille de l’enfant, cela fait partie de la pratique usuelle des équipes éducatives, mais intervenir sur le territoire de celles qui sont considérées comme leurs collègues, cela est beaucoup moins habituel.
18Comme elles le disent : « on ouvre nos familles ». En premier lieu par l’agrément qu’elles doivent obtenir de l’aide sociale à l’enfance pour pouvoir exercer et qui fait l’objet régulièrement d’un renouvellement. Ensuite, auprès de chacun des services de placement qui prend le temps de savoir avec quelle famille ils vont travailler, ce qui les amènent à rencontrer celle2 qui sera la future salariée mais aussi son conjoint et ses enfants.  
19Lors d’un groupe d’analyse de la pratique, une assistante familiale rapportait la scène suivante : alors qu’elle accueillait un enfant du même âge que l’un des siens, l’éducatrice qui se rendait régulièrement à son domicile saluait l’enfant dont elle avait la référence, mais elle a le souvenir qu’elle ne saluait pas sa fille alors en bas âge.
20Au-delà de la dimension anecdotique et parcellaire de cet événement, ce que vient dire cette assistante familiale, c’est l’attention toute particulière qu’elle attend de ceux à qui elle ouvre la porte de sa famille. Attention qui doit être portée à la famille d’accueil et dont chacun des membres est un des agents particuliers dans le travail exercé auprès de l’enfant accueilli. L’intervention de l’éducateur peut s’apparenter à un travail d’équilibriste dont l’attention doit se montrer bienveillante, délicate mais aussi rigoureuse et précise avec à l’horizon toujours le risque d’apparaître intrusive.
21Effectivement, de multiples enjeux sont à l’œuvre lorsqu’un sujet décide de s’engager dans cette profession et d’engager simultanément sa famille. Que ce soient les composantes actuelles liées à la structuration de la famille, à la place occupée par chacun en terme de différenciation générationnelle et de fonction symbolique entre père et mère mais aussi à l’intérieur du couple et à la manière dont opère la différence sexuée homme/femme ou bien les composantes liées à l’intrication de ce sujet au prise avec son histoire familiale et la manière dont il peut à travers l’accueil d’un enfant tenter d’en mettre à jour ou de réparer quelque chose. Dans tous les cas, l’ensemble de ces mouvements sera à l’œuvre dans l’accueil de l’enfant et participera aux enjeux transférentiels dans lesquels va se nouer la place que cet enfant occupera dans la famille qui se propose de l’accueillir. Lacan n’écrivait-il pas dans « Les complexes familiaux » : « Tels les sentiments où il faut voir des complexes émotionnels conscients, les sentiments familiaux spécialement étant souvent l’image inversée de complexes inconscients. »3
22Dans ce contexte, le travail d’équipe en placement familial peut relever d’une gageure. Il s’agit d’assurer le suivi de l’évolution de l’enfant dans la famille où il est accueilli en s’appuyant sur le travail engagé par l’assistante familiale et sa famille qui intervient comme partenaire. Toutefois, il s’agit aussi de prendre en compte les mouvements inhérents à la famille d’accueil et tels qu’ils se croisent ou non avec la problématique de l’enfant. Dans ce cas, c’est le complexe familial tel que la famille d’accueil le porte qui devient aussi l’objet de l’intervention psycho-éducative.
23Comment s’inscrivent ces particularités dans la structuration du travail de l’équipe ?
24Effectivement, le « faire équipe » croise directement les spécificités du complexe familial de chacun et la scène de la famille d’accueil s’apparente à un lieu où s’entremêlent idéalisations et projections, comme cela peut s’entendre dans la formulation de Lacan.
25Si certains mouvements peuvent être appréhendés dans le cadre du travail de l’équipe psycho-éducative, d’autres relèvent de ce qui se trouve à la frontière entre pratique professionnelle et résonance intime. L’assistante familiale se sent souvent en danger pour les aborder directement avec ceux qui sont à la fois référent de l’enfant mais qui agissent aussi en qualité d’employeur.

La parole au fait du quotidien des assistantes familiales

26De fait, l’introduction de l’analyse de la pratique à destination des assistantes familiales vise à ouvrir un espace dans l’institution où va pouvoir se parler ce qui agit sur cette frontière. Généralement, les assistantes familiales sont réunies entre elles mais il est souvent nécessaire de constituer plusieurs groupes au regard de leur nombre. La constitution de ces groupes peut relever de diverses contingences mais il arrive aussi que la création d’un groupe soit conditionnée par un choix institutionnel explicite ou non.
27Cette précision interroge de nouveau la structuration du travail d’équipe. Si l’analyse des pratiques s’adresse généralement à l’ensemble des intervenants d’un service, dans le cas présent cette réunion de la totalité des acteurs éducatifs du service dont les assistantes familiales font partie n’est pas envisageable : le nombre des intervenants étant bien trop important.
28De fait dans le contexte pris en compte ici, l’analyse des pratiques s’adresse à une catégorie professionnelle qui réunit des spécificités propres à sa pratique.
29Cette forme d'organisation ne permet pas de fait d’engager un travail sur les alliances et mésalliances à l’œuvre entre l’ensemble des assistantes familiales, mais  oeuvre néanmoins dans le groupe constitué.
30En fonction des institutions, l’inscription dans ces groupes ne relève pas nécessairement de la libre adhésion, les assistantes familiales étant généralement soumises à une obligation de participation sous le motif que cela fait partie du contrat de travail.
31La mise au travail dans ces groupes requiert du temps, que ce soit dans la création d’un sentiment groupal de sécurité interne, ou pour dépasser le discours simplement revendicatif à l’égard de l’institution. Toutefois, peut surgir de ce discours une interpellation de l’institution par les assistantes familiales et qui nous invite à interroger quelle peut être la fonction de ces groupes pour et dans l’institution.
32Ces groupes d’analyse de la pratique pour les assistantes familiales équivalent, selon nous, à l’autorisation d’une expérience de la parole.
33Dans un premier temps, ces groupes peuvent fonctionner sous la forme d’une attente d’un savoir objectivé permettant d’apporter une explication et une solution aux difficultés rencontrées par l’assistante familiale dans l’accueil de l’enfant.
34Lacan écrit à ce propos :
« Le troisième paradoxe de la relation du langage à la parole est celui du sujet qui perd son sens dans les objectivations du discours. Si métaphysique qu’en paraisse la définition, nous n’en pouvons méconnaître la présence au premier plan de notre expérience. Car c’est là l’aliénation la plus profonde du sujet de la civilisation scientifique et c’est elle que nous rencontrons d’abord quand le sujet commence à nous parler de lui : aussi bien, pour la résoudre entièrement, l’analyse devrait-elle être menée jusqu’au terme de sa sagesse »4.
35Quand bien même, le groupe d’analyse de la pratique ne peut se confondre avec ce qui relève d’une analyse, il s’agit bien d’ouvrir un espace au sujet où il puisse entendre quelque chose de sa parole. Ouvrir un écart d’avec un discours censé expliquer au point d’enclore la parole, c’est amener les assistantes familiales à un usage de la parole où vient se croiser un savoir autre.
36Comment peut alors se croiser dans ces groupes le rapport au savoir ?
37Lors d’une séance avec un groupe d’assistantes familiales, une d’entre elles qui devait être présente ce jour là, apparaît soudainement de l’autre côté de la vitre. Le groupe est alors occupé par ce qui est en train de se passer pour cette collègue. Si elles n’en parlent pas, leur regard se porte sur ce qui se joue à l’extérieur du groupe. Ce qu’elles voient, c’est cette assistante familiale aux prises avec la séparation et le départ d’un des enfants qu’elle accueille. Dans cette scène apparaissent des mouvements extrêmement vifs où se mêlent éclats émotionnels et tensions mais tout cela reste sur le moment sans parole. Occupées comme elles le sont par ce qui se passe, je leur propose d’en parler, de ramener ce qu’elles voient chacune de leur place dans le groupe et de fait de le faire entrer dans la parole.
38Leur premier mouvement est de s’excuser comme si elles se sentaient en faute. Cela va les amener à parler de la séparation et du départ d’un enfant lorsqu’elles sont dépassées par l’enfant qu’elles accueillent au point de ne plus pouvoir maintenir sa place dans la famille.
39Lors de la séance suivante, l’assistante familiale qui était restée de l’autre côté de la vitre la fois précédente est cette fois présente dans le groupe. Elle commence par critiquer la manière dont les autres professionnels étaient présents auprès d’elle à cette occasion avec cette impression d’être seule. Ses collègues lui rapportent alors ce qui s’est passé lors de la séance précédente et la manière dont elles ont reçu ce qui s’est passé.L’assistante familiale reprend alors ce qui se passait avec cet enfant et notamment la violence qui était la sienne une fois qu’il était en dehors de la maison. « Chez moi tout se passait bien », dit-elle. Je lui propose de reprendre ce « chez moi », comment s’explique-t-elle que ce qui se passe pour cet enfant à l’extérieur ne concerne pas son « chez moi » ?
40Elle laisse entendre que quelque chose devait être maintenu délié, ce qui ne l’empêchait pas d’accourir au plus vite dans tous les lieux où cet enfant éclatait dans sa crise. « Il n’y a que moi qui pouvait l’apaiser », dit-elle. Elle en fait tout à la fois un point d’honneur mais elle dénonce aussi l’incapacité des autres. Elle se pose comme la seule capable, et par extension elle s’accorde par ce privilège une position d’omnipotence.
41Bien difficile de tenter d’appréhender ce clivage, quand bien même le groupe tente de lui faire entendre aussi sa présence au moment où elles la voient en grande difficulté la fois précédente.
42Pour faire surgir ce savoir autre et sortir de cette position réactionnelle et clivée, il faudra en passer cette fois là par un schéma qui puisse figurer ce qui pour ce moi n’est pas admissible. La construction graphique utilisée à cette occasion ressort d’un savoir où vient se figurer comment l’enfant s’inscrit dans une relation à l’Autre maternel, comment se noue un travail de séparation qui permet de se dégager d’une dépendance absolue. Inversement qu'en est-il pour l’enfant lorsqu’il sort démuni de ces traits identificatoires sans avoir pu les intégrer dans un moi différencié ?
43Le passage par cette construction aura pour effet de s’écarter des discours dominants qui visent à expliquer le comportement d’un enfant ou d’un jeune adolescent uniquement sous l’angle de l’hyperactivité ou d’un enfermement pathologisant qui a pour fonction de destituer chacun de sa position de sujet. Il s’agissait au contraire dans le cas présent d’interroger la place occupée par cet enfant dans l’économie familiale mais aussi auprès de cette assistante familiale en particulier.
44Aborder la famille comme première scène de socialisation ainsi que le formulait Lacan nous ramène à un des points de butée fréquemment rencontré dans le cadre des analyses de la pratique auprès des assistantes familiales.
45Effectivement, l’enfant accueilli occupe dans certains cas une place déterminante auprès de l’assistante familiale et dont il ne peut se déprendre sans susciter des remous. La rançon du don illimité dans lequel la relation s’est nouée maintient l’enfant et l’assistante familiale dans un rapport duel où toute intervention tierce est extrêmement périlleuse. Pris dans un rapport de loyauté à l’égard de celle qui se donne ainsi sans limite, l’enfant ne trouve souvent pas d’autre possibilité que d’agir violemment toute tentative pour s’écarter de cet enfermement.
46La loi dominante est alors celle de l’amour de l’Un, comme pour éradiquer tout ce qui a fait violence dans l’histoire de l’enfant, et qui suscite dès que l’enfant s’en écarte une reviviscence des mouvements de haine.
47L’enfant passe alors d’une position d’idéalisation à une position de rebut de la jouissance de l’Autre et finit par être éjecté de la famille d’accueil qui assiste avec  impuissance à la faillite de la parole de l’Autre barré.
48Une assistante familiale amène ainsi une situation critique qu’elle dit vivre avec un petit garçon de 5/6 ans. Elle accueille cet enfant maintenant depuis quelques années. Depuis peu, il ne cesse de se présenter ostensiblement à elle dans des manipulations de son pénis. Il accompagne quelque fois cette manipulation de questions mais dit-elle, elle ne se sent pas à l’aise avec cela et de plus l’enfant insiste ouvertement et seulement lorsqu’il est seul avec elle.
49Elle se sent démunie et ne trouve pas d’appui pour se sortir de ce dans quoi elle se sent prise avec cet enfant.
50Démunie, elle se dit aussi seule face à l’enfant. Repris dans le groupe, ce qui se passe avec l’enfant est interrogé sous l’angle familial et en particulier du côté de la présence du père d’accueil.
51L’assistante familiale dit alors qu’elle ne veut pas déranger son conjoint avec cela, que c’est son travail, qu’elle doit en faire son affaire sans gêner le cours de la vie familiale. Autour de ces échanges, cela amène le groupe à aborder aussi comment elles se sont débrouillées de ces questions avec leurs enfants. Cette assistante familiale dit ne pas avoir souvenir que cela se soit passé ainsi pour elle avec ses enfants et si elle avait dû faire appel à son mari, il n'aurait pas laissé cela perdurer. A la fin de cette séance, elle envisage de lui en parler.
52Plus tard, elle décrit les effets de l’intervention de son mari et la réaction de l’enfant. Si le premier accepte dans un premier temps de prendre position en indiquant à l’enfant qu’il n’a pas à effectuer ces gestes avec sa femme, ce dernier lui rétorque aussi vite que seule son assistante familiale est en droit d’intervenir auprès de lui.
53A la suite de cette scène, le père d’accueil dit à sa femme de se débrouiller seule avec cela et que ce n’est pas son affaire.
54L’assistante familiale avait certainement vue juste mais n’interroge-t-elle pas à travers l’ensemble de ces réactions, les conditions de la structuration d’une intervention tierce où la parole ne peut être conçue dans l’attente d’un effet magique.
55Effectivement, l’enjeu ici n’est pas tant que l’analyse des pratiques apparaisse comme le lieu de trouvaille de solutions magiques, mais bien comme le lieu où une parole puisse advenir sur ce qui est dans l’impasse, une parole qui puisse ouvrir à une interpellation de l’autre à travers les constructions signifiantes que chaque sujet met en œuvre depuis la participation qui est la sienne dans le groupe.
56Cheminement qui passe par le groupe d’analyse de la pratique où, dans le cas spécifique des assistantes familiales, ce lieu frontière permet que des tâtonnements signifiants puissent se formuler jusqu’à esquisser une parole qui puisse s’énoncer dans d’autres espaces.
57Envisager l’analyse de la pratique comme un lieu frontière, c’est tout autant prendre en compte la fonction de l’articulation signifiante que la spécificité du cadre institutionnel dans lequel ces groupes sont inscrits.
58Ces groupes sont nécessairement marqués d’un écart avec l’institution, qui dans le même temps les promeut. Ecart indispensable pour rendre possible le travail singulier de cette mise en parole si délicate en tant qu’elle vient toucher au plus près l’assistante familiale dans l’espace intime de sa vie familiale. Si par cette parole le sujet se dévoile, elle lui sert aussi d’enveloppe, tant pour penser les manifestations de l’enfant qui entre à vif dans son espace familial, que pour la construction d’un discours pour réaménager la position occupée avec l’enfant ; mais cette parole lui sert aussi dans les relations avec les diverses professionnels qui sont engagés dans l’accompagnement de ce même enfant

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