vendredi 17 mars 2017

interview de Laurence Rossignol , le 13/03/17

Protection de l'enfance

« Les enfants revenant de Syrie doivent faire l’objet d’une prise en charge »

Publié le • Mis à jour le • Par • dans : A la une, Actu prévention sécurité, France • Club : Club Prévention-Sécurité

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© Ministère de la Santé
Un an après la loi relative à la protection de l'enfant, la ministre des Familles, de l'enfance et des droits des femmes, Laurence Rossignol, tire un premier bilan. Dans un entretien à la Gazette, elle évoque également le plan gouvernemental de prise en charge des "enfants du Djihad". La ministre promet une meilleure prise en charge par l'ASE et un volet formation des travailleurs sociaux dédié à la déradicalisation.

 

Quel bilan tirez-vous de la loi relative à la protection de l’enfant du 14 mars 2016 ?

L’objectif de cette loi était de sortir la protection de l’enfance de l’angle mort des politiques publiques. Bien que mobilisant des financements importants – environ 7 milliards d’euros par an sur le budget des départements – c’est une politique rarement mise au débat. De ce point de vue, je crois qu’on a réussi à faire parler de la protection de l’enfance. Le bilan que je tire est aussi un bilan de méthode.
Pendant un an, nous avons mené un long travail de concertation avec l’ensemble des professionnels mais aussi des usagers, que ce soit les jeunes adultes passés par la protection de l’enfance ou les parents d’enfants placés. Notre objectif était de décloisonner les actions autour de l’enfant en danger. Je pense que nous y sommes parvenus, et le Conseil national de la protection de l’enfance (CNPE) que j’ai installé au mois de décembre vient concrétiser cette volonté de pluridisciplinarités et pluri-institutionnalités. Il regroupe toutes les institutions et les organismes qui sont intéressés par la protection de l’enfance avec, en particulier, la fonction de définir des orientations et des formations pluridisciplinaires et pluri-institutionnelles autour de ce sujet.

Lors des débats parlementaires, le CNPE avait fait craindre aux départements une certaine recentralisation de la compétence. Qu’en est-il ?

Pour préparer la loi, nous avions mis en place un groupe de travail avec les départements, qui rassemblait le plus souvent les vice-présidents chargés de la protection de l’enfance. Ce groupe n’a pas cessé de se réunir. Il rassemble les territoires qui, hors de tout clivage politique, s’intéressent à leurs politiques en matière de protection de l’enfance. Pour ceux-là, la démarche de la loi et la création du CNPE sont considérées comme une étape positive.
Je suis d’ailleurs souvent allée dans des territoires qui ont organisé, au niveau départemental, le même type de réunions qu’au niveau national et mis autour de la table les juges pour enfants, l’Education nationale, les services du département, les médecins… Bref, toutes celles et ceux qui sont des acteurs de la protection de l’enfance.
Les départements qui ont voulu s’inscrire dans l’esprit de la loi ont mis en place des cadres de concertation et d’élaboration qui leur sont propres pour faire avancer la pluridisciplinarité. Je n’ai pas les moyens d’obliger ceux qui ne veulent pas le faire, mais je note que beaucoup prennent à cœur cette politique. Une chose est claire : il y avait un besoin de retour du régalien dans la protection de l’enfance. Et nous sommes arrivés, à mon sens, à redonner à la fois des orientations et une philosophie communes à la protection de l’enfance, tout en respectant la compétence des départements.
Nous sommes arrivés, à mon sens, à redonner à la fois des orientations et une philosophie communes à la protection de l’enfance, tout en respectant la compétence des départements.

Un rapport de l’Observatoire national de la protection de l’enfance a souligné que de nombreux départements n’ont pas mis en place le projet pour l’enfant (PPE) après la loi de 2007. Quelle est la situation aujourd’hui ?

D’abord, nous nous sommes interrogés sur les raisons pour lesquelles les départements n’utilisaient pas davantage cet outil. Probablement parce que c’est un exercice supplémentaire pour les travailleurs sociaux. Nous avons instauré par décret, en septembre dernier, un référentiel commun qui ne s’impose pas mais qui est un guide, une grille, pour aider à la rédaction du PPE et à la méthode de ce projet. Cet outil doit faciliter le travail des éducateurs. Nous n’avons pas suffisamment de recul pour faire une évaluation chiffrée. Mais, ce qu’on a intuitivement senti, c’est une montée sur les PPE.

Vous avez présenté, le 1 er mars, le premier plan interministériel de lutte contre les violences faites aux enfants. Dans quel but ?

Inspiré des plans de lutte contre les violences faites aux femmes, c’est une mobilisation interministérielle qui couvre plusieurs champs. Le premier est de sensibiliser et d’alerter l’opinion sur l’ampleur des violences faites aux enfants, qu’elles soient physiques, psychologiques ou sexuelles. On a eu plusieurs cas dramatiques récemment. J’observe que ces familles dans lesquelles des enfants sont morts avaient toutes des voisins, qui organisent ensuite des marches blanches. C’est très bien, mais ce qui est mieux encore c’est de signaler avant le drame.
Il y a une culture à changer. A commencer par cette idée que non, la liberté éducative ne va pas jusqu’à la maltraitance. Quand un enfant est victime, nous sommes tous concernés. Signaler, c’est sauver. Nous sommes bien plus avancés dans la dénonciation sociale des violences faites aux femmes, qu’on ne l’est aujourd’hui dans celles faites aux enfants.
Il y a vingt-cinq ans, quand une femme était frappée, on disait que cela ne regardait pas l’extérieur, que c’était une affaire familiale. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Alors que pour les enfants, on le dit toujours, jusqu’à ce que le drame survienne. Le but n’est pas simplement d’empêcher les meurtres, le but est qu’il n’y ait pas d’enfants qui soient élevés dans la terreur des coups et des violences psychologiques. Il faut renoncer à frapper pour élever les enfants. Cela nous concerne tous.

De nombreux département ont coupé dans leurs budgets de prévention spécialisée en 2016. Des annonces avaient été faites. Où en est-on ?

Sur la prévention spécialisée, nous avons signé avec Patrick Kanner une convention nationale sur la prévention spécialisée avec des têtes de réseaux et l’ADF en septembre 2016, qui renforce la collaboration entre l’Etat et les départements. Les instructions financières données par le gouvernement, en particulier grâce au fonds de prévention de la radicalisation, favorise le financement de la prévention spécialisée.
En particulier, des expérimentations renforcent la présence d’adultes en soirée et les week-ends dans les quartiers politique de la ville.
Nous avons confié au CNLAPS [Comité national de liaison des acteurs de la prévention spécialisée] une étude cartographique de la prévention spécialisée avec des recommandations qui viendront alimenter les discussions du groupe de travail interministériel mais je pense qu’il y a un débat politique à avoir autour de la prévention spécialisée.
Nous avons aujourd’hui, dans certains quartiers, des situations difficiles avec des mouvements, voire des manifestations : je crois que les réponses ne sont pas uniquement dans les rapports police-citoyens – les rapports police-jeunes en particulier. Une des réponses, c’est la place du travail social et de la prévention spécialisée dans ces quartiers. Cette question devrait être à mon sens plus présente qu’elle ne l’est dans le débat aujourd’hui.

Toujours dans le contexte de la lutte contre la radicalisation, va progressivement se poser la question des retours d’enfants de Syrie ou d’Irak qui devront être pris en charge par l’ASE…

Un groupe de travail est copiloté par mon ministère et le ministère de la justice. Nous avons mis en place une procédure d’accueil des enfants au moment du retour qui prévoit entre autres que tous les enfants revenant de Syrie doivent faire l’objet d’une prise en charge par l’ASE, soit d’une AEMO, soit d’un placement.
Il est en effet nécessaire de fournir un accompagnement psychologique adapté à la situation de ces enfants. Une instruction interministérielle sera prochainement publiée.

Y aura-t-il des formations particulières pour les travailleurs sociaux pour encadrer ces enfants ?

C’est le travail du comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation et le travail est déjà engagé : la formation spécifique des travailleurs sociaux sur la radicalisation est déjà en cours depuis deux ans. Ce sont des milliers de personnes qui ont été formées.

Donc suffisamment pour encadrer les 400 enfants de retour ?

On estime que ce sont 200 femmes et 400 mineurs qui pourraient revenir. Mais pour le moment, seuls 24 sont rentrés. Les prises en charge dépendent de l’âge des enfants, de la situation de la famille et de l’environnement en France. Dans certains cas, les ressources familiales sont utiles et dans d’autres, elles sont toxiques. C’est le travail du juge pour enfants de le déterminer et, après, de mettre en place, avec l’ASE, l’accompagnement de l’enfant.
Mais il faut aider les départements, en particulier les départements du Val-de-Marne et de la Seine-Saint-Denis – qui sont les départements où arrivent les enfants – dans cette nouvelle responsabilité, presque une nouvelle tâche. C’est ce que nous faisons.


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