jeudi 20 octobre 2016

RECIT D'UN ANCIEN JEUNE PLACE

J’ai 22 ans et j’ai été un enfant "placé" pendant près de 14 ans. De foyer en foyer, j’ai grandi sans mes parents. Aujourd’hui, je suis sorti du circuit.

Mon histoire, c’est celle d’un enfant né de parents qui n’ont pas pris leurs responsabilités quand ils le devaient. Avoir des enfants, ça demande d’en prendre soin.

Moi, je n’ai rien demandé à personne, je n’ai pas choisi ma famille, mais je l’ai subie de plein fouet.

Je vivais dans un climat malsain

Mes parents se sont rencontrés à Lyon. Leur amour a tout de suite posé quelques problèmes. Il était inconcevable pour la famille de ma mère qu’elle puisse sortir avec un musulman d’origine algérienne.

Ma mère a finalement cédé, sans pour autant renoncer totalement à mon père. Ils ont eu un premier enfant, Christelle. Au bout d’un an, elle a été placée dans une famille d’accueil qui a finalement demandé son adoption. Ma mère a accepté et a abandonné ma sœur. Aujourd’hui, je ne sais pas ce qu’elle est devenue.

Je suis né le 8 juillet 1992. Mon père m’a reconnu, mais je n’ai aucun souvenir de lui car il ne vivait pas avec nous. Ma mère, elle, souffrait d’un handicap mental. Quand j’ai eu trois ans, elle a rencontré un nouveau compagnon et mon demi-frère est né.

Pendant deux ans, j’ai vécu en compagnie de cet homme alcoolique et violent. J’avais conscience que je vivais dans un climat malsain, que je ne mangeais pas suffisamment, que j’étais vêtu d’habits sales et que notre vétuste appartement ne convenait absolument pas à des enfants... Mais ma mère s’en fichait, elle ne cherchait même pas à faire le strict minimum pour nous.

J’étais un vieux chiffon qu’on jette

En 1997, alors que j’étais âgé de 5 ans, j’ai compris que ça ne pouvait plus durer. Ma mère était suivie par une assistante sociale qui avait déjà signalé dans son rapport nos horribles conditions de vie.

Souvent mon beau-père saoul laissait ses magazines pornographiques traîner. Nous, on les feuilletait.

Un jour, en venant à la maison, l’assistante sociale a appris que mon beau-père et son collègue de bistrot étaient soupçonnés de viol. Moi, je ne savais même pas ce que voulais dire le mot "viol".

Ça a été la goutte d’eau. Elle en a immédiatement référé au parquet pour mineurs. Le 10 mai 1997, la justice décidait de retirer à ma mère la garde de ses enfants.

Je ne retiens pas grand-chose de ce moment, juste que ma mère ne s’est pas battue pour me garder. J’avais 5 ans, mon demi-frère un an. J’avais l’impression qu’on se débarrassait de moi, qu’on me jetait comme un vieux chiffon.

Un foyer austère peuplé d’inconnus

Nous avons été envoyés dans un foyer d’urgence, un institut départemental enfance et famille (IDEF). Mon demi-frère et moi étions devenus des "placés". Petit mot sec qui devint en un rien de temps une étiquette indélébile.

Pour sortir de ce type d’établissement, il n’y a que deux options : soit votre situation familiale se stabilise, soit vous trouvez un autre lieu d’accueil.

Face à cette grande bâtisse austère peuplée d’inconnus, j’avais l’impression de rentrer à l’hôpital sans être malade.

Assez rapidement, j’ai été séparé de mon demi-frère. J’ai dû prendre un rythme qui ne laissait aucune place à l’imagination, je me suis retrouvé très rapidement isolé des autres enfants. Sans ami, sans famille.

Les week-ends nous rentrions à la "maison". Mais nous n’étions pas un foyer. Nous ne le serons jamais. J’en voulais toujours à ma mère : pourquoi n’avait-elle rien fait pour nous récupérer ? Elle ne s’est jamais remise en question.

J’espérais encore que ma mère change

Finalement en 1998, mon demi-frère et moi avons été placés dans une famille d’accueil qui avait déjà trois enfants. Elle n’était pas méchante, mais j’ai tout de suite compris que nous ne ferions jamais partie de leur famille. Aucun lien du sang ne nous unissait.

Au bout d’un an et demi, nous sommes retournés à la case départ, au foyer. À ce moment-là, j’espérais toujours que ma mère change, qu’elle décide de quitter son compagnon, de déménager en nous amenant avec elle… En vain.

Quand les choses ne s’améliorent pas, elles s’aggravent.Quelques mois plus tard, nous avons alors été placés dans une nouvelle famille d’accueil près de Villeurbanne. Ses membres étaient de confession musulmane. Au départ, tout semblait bien se passer bien, mais j’ai vite compris que certains sujets restaient tabou (la violence, le sexe, l’alcool).

J’avais l’impression de n’être plus rien

Progressivement, la mère de famille s’est radicalisée. Elle priait sans cesse, me demandait de me comporter comme un individu reniant mes origines. Elle voulait que je sois comme eux. Je me suis renfermé au point de faire, en 2008, une tentative de suicide. C’est grâce à des amis que je m’en suis sorti.

Hospitalisé, j’avais l’impression de n’être plus rien. Juste une chose qu’on se passe de famille en famille. Personne ne se préoccupait de moi ou de mon avenir.

J’ai toujours eu du mal avec les études. Cette année-là, j’ai raté mon brevet. Il a fallu que j’intègre un foyer de jeunes travailleurs pour me reprendre en main (BEP, bac pro et bientôt licence).

Cette soudaine indépendance m’a beaucoup aidé. Je me suis investi dans divers colloques, assises de la jeunesse et je porte à présent des combats politiques.

Mes parents sont des "assistés"

Mon père, je l’ai revu à l’âge de 17 ans, mais nous n’avions plus rien à nous dire. Il a volontairement refusé de m’aider quand j’ai eu besoin de lui.

Je n’ai plus de nouvelles de ma mère depuis quelques mois. Pendant des années, elle a vécu grâce à ses allocations sans jamais chercher à s’en sortir. Moi, je n’ai jamais rien reçu à part des aides des services sociaux et un peu de travail.

Où est la justice dans tout ça ? Mes parents sont des "assistés". Mes mots sont durs, mais ils expriment le fond de ma pensée.

J’ai aussi le droit aux allocations, mais je préfère encore travailler. J’ai tout de même intenté une action en justice à l’encontre de mes parents au titre de l’obligation alimentaire.

Je suis un jeune homme comme un autre

On n’a pas cessé de me faire comprendre que devais me responsabiliser, grandir vite. Aujourd’hui, j’ai mon "chez moi". Quand je sors dans la rue, je n’ai plus l’impression d’avoir cette étiquette de "jeune confié" ou d’"enfant placé".

Je suis enfin devenu un jeune homme comme un autre. J’ai des amis qui sont là  et je les remercie avant tout. Je ne suis qu’au début de ma vie de jeune adulte, j’ai plein de chose encore à découvrir.


Propos recueillis par Louise Auvitu

 

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